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Bergson, dans un article publié en 1923, estime la France "prénétrée de classicisme, d'un classicisme qui a fait la netteté de son romantisme". Vous semble-t-il que la littérature française ait en effet toujours préservé l'essentiel de l'apport classique

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  • Introduction

  Bergson, préoccupé de retrouver par la souplesse de l'intuition les mouvements divers de la vie, constatait en 1923 le caractère volontiers systématique et un peu rigide de l'art français : notre littérature, lui semblait-il, loin de se disperser dans le réel, préfère soumettre celui-ci à l'unité; en un mot, elle est « pénétrée de classicisme, d'un classicisme qui a fait la netteté de son romantisme ». Sans doute bien des Écoles qui se veulent révolutionnaires ont en fait gardé à l'œuvre littéraire une cohérence, une unité toutes classiques. Mais Bergson n'est-il pas injuste en ne reconnaissant pas que, périodiquement et surtout au XIXe siècle, de nombreux efforts ont été tentés pour donner à la littérature, au prix même de la dispersion et de l'incohérence, une souplesse et un mystère qui rendent mieux compte de la vie?  

  •  I L'unité volontiers classique des œuvres françaises

   1 Il est peu d'oeuvres qui n'aient une unité. La plupart des grands écrivains français ont le goût de la composition et presque tous proclament la nécessité de la concentration. Balzac affirme que c'est la loi de l'art: Maupassant prétend qu'elle est indispensable au réalisme (Préface de Pierre et Jean, 1888) et c'est vrai à plus forte raison des auteurs du XVIIIe siècle, héritiers directs du classicisme : sans doute ceux-ci ne savent-ils pas toujours très bien composer (des faiblesses à ce point de vue chez Montesquieu, chez Voltaire), mais au moins font-ils le plus souvent court, et ils pourraient dire comme La Fontaine: «Les longs ouvrages me font peur.» (Fables, Livre VI. Épilogue.) D'une façon générale, il n'y a guère chez nous de ces « longs ouvrages » comme La Divine Comédie de Dante ou Le Paradis perdu de Milton, ou tout au moins ils n'ont pas bonne presse et payent souvent très cher aux yeux de la postérité leur allure de « somme » : les longs romans en prose du Lancelot Graal, les vingt-deux mille vers du Roman de la Rose, les interminables volumes de L'Astrée d'Honoré d'Urfé, de la Cléopâtre de La Calprenède, de la Clélie de Mlle de Scudéry traînent derrière eux une réputation souvent injustifiée d'écrasant ennui et d'insupportable monotonie. Si précisément le moyen âge a longtemps souffert d'une sorte d'ostracisme, c'est parce qu'il eut trop le goût de ces vastes ensembles sans composition véritable (songeons aux trente-cinq mille vers de la Passion d'Arnoul Gréban ou aux soixante-cinq mille vers de la Passion de Jean Michel et aux trois ou quatre journées qu'en durait la représentation).  

« Introduction Bergson, préoccupé de retrouver par la souplesse de l'intuition les mouvements divers de la vie, constatait en 1923 le caractère volontiers systématique et un peu rigide de l'art français : notre littérature, lui semblait-il, loin de se disperser dans le réel, préfère soumettre celui-ci à l'unité; en un mot, elle est « pénétrée de classicisme, d'un classicisme qui a fait la netteté de son romantisme ».

Sans doute bien des Écoles qui se veulent révolutionnaires ont en fait gardé à l'œuvre littéraire une cohérence, une unité toutes classiques.

Mais Bergson n'est-il pas injuste en ne reconnaissant pas que, périodiquement et surtout au XIXe siècle, de nombreux efforts ont été tentés pour donner à la littérature, au prix même de la dispersion et de l'incohérence, une souplesse et un mystère qui rendent mieux compte de la vie? I L'unité volontiers classique des œuvres françaises 1 Il est peu d'oeuvres qui n'aient une unité.

La plupart des grands écrivains français ont le goût de la composition et presque tous proclament la nécessité de la concentration.

Balzac affirme que c'est la loi de l'art: Maupassant prétend qu'elle est indispensable au réalisme (Préface de Pierre et Jean, 1888) et c'est vrai à plus forte raison des auteurs du XVIIIe siècle, héritiers directs du classicisme : sans doute ceux-ci ne savent-ils pas toujours très bien composer (des faiblesses à ce point de vue chez Montesquieu, chez Voltaire), mais au moins font-ils le plus souvent court, et ils pourraient dire comme La Fontaine: «Les longs ouvrages me font peur.» (Fables, Livre VI.

Épilogue.) D'une façon générale, il n'y a guère chez nous de ces « longs ouvrages » comme La Divine Comédie de Dante ou Le Paradis perdu de Milton, ou tout au moins ils n'ont pas bonne presse et payent souvent très cher aux yeux de la postérité leur allure de « somme » : les longs romans en prose du Lancelot Graal, les vingt-deux mille vers du Roman de la Rose, les interminables volumes de L'Astrée d'Honoré d'Urfé, de la Cléopâtre de La Calprenède, de la Clélie de Mlle de Scudéry traînent derrière eux une réputation souvent injustifiée d'écrasant ennui et d'insupportable monotonie.

Si précisément le moyen âge a longtemps souffert d'une sorte d'ostracisme, c'est parce qu'il eut trop le goût de ces vastes ensembles sans composition véritable (songeons aux trente-cinq mille vers de la Passion d'Arnoul Gréban ou aux soixante-cinq mille vers de la Passion de Jean Michel et aux trois ou quatre journées qu'en durait la représentation). 2 Le goût de l'unité ne doit pas seulement s'entendre de la composition, il doit encore s'entendre de la façon d'appréhender le réel : très souvent la littérature française, au lieu de suivre celui-ci dans sa diversité, aime le ramener à quelques lois générales.

Le classicisme, admet-on habituellement, s'intéresse à la nature humaine, à la psychologie, comme on dirait maintenant, mais il ne s'intéresse pas à l'homme en tant que ce dernier est imprévu et mystérieux.

Même s'il étudie un cas pathologique, il veut surtout en connaître les lois et les ressorts fondamentaux. Il serait plus juste de remarquer que notre littérature est une littérature de « moralistes », c'est-à-dire d'écrivains qui visent plutôt à faire la géométrie des passions ou leur algèbre, selon le mot de Stendhal, qu'à nous étonner devant un cas particulier.

De même, l'attention d'un Montesquieu se portera plutôt sur les lois des sociétés que sur la couleur individuelle de tel moment du passé. 3 Au fond, et même chez les romantiques, on n'est guère sensible à l'évolution mystérieuse de la vie et du temps, à la singularité de l'être.

Le goût de l'unité devient volontiers goût de l'universalité, à condition de bien entendre par ce mot, non pas une totalité des lieux ou des instants, mais une vérité générale qui échappe au temps : ainsi procède Racine quand il étudie une héroïne de la guerre de Troie.

Tel est le sens exact des fameuses unités: non pas réduire à vingt-quatre heures et à un seul lieu toute une action, mais faire en sorte que le problème du temps et du lieu ne se pose pas.

Il ne faut pas qu'une nuit s'écoule, parce qu'une nuit, c'est du temps à l'état pur.

Et c'est pourquoi le théâtre français, même le plus récent, même le plus orienté vers l'avant-garde, hésite toujours à présenter dans la même pièce un héros à deux âges très différents de sa vie (alors que dès le XVIIe siècle, un Lope de Vega.

par exemple dans L'Animal de Hongrie, n'est nullement gêné de mettre vingt ans d'intervalle entre l'acte I et l'acte II et par conséquent de vieillir d'autant ses héros: Boileau le lui reproche du reste). 4 Cette façon d'appréhender le réel en le dépouillant de sa singularité pour le transformer en une idée générale, un concept, explique l'usage classique de la langue : le mot.

la phrase signifient plus qu'ils ne suggèrent.

On a souvent noté soit pour l'en louer soit pour l'en blâmer l'aspect analytique et clairement didactique de la langue française (cf. par exemple Rivarol, XVIIIe Siècle).

Le romantisme en sera gêné dans sa volonté de renouvellement poétique et le vers français en gardera longtemps quelque chose de rhétorique que le symbolisme aura beaucoup de mal à tuer. II Les efforts pour coïncider avec la dispersion du réel Ce qui brouille les cartes, c'est que la révolution romantique a été confuse: elle parle sans cesse de rejoindre la vie : en théorie donc, elle se propose de briser l'unité pour rejoindre en art la dispersion et la multiplicité du réel (c'est le sens de la théorie « du sublime et du grotesque »).

Mais, en pratique, les romantiques écrivent dans une langue des plus classiques, avec une unité de composition souvent assez rigoureuse et un désir mal dissimulé de donner à leurs sentiments une valeur universelle.

En fait, la véritable révolution romantique, celle qui brise l'unité, est l'œuvre de tout le XIXe siècle, non sans hésitations et retours en arrière. 1 Le XIXe siècle découvre l'histoire ou plutôt (car la méthode historique avait commencé à se constituer au XVIIIe siècle), il découvre le temps comme facteur de nouveauté irréductible.

C'est le sens des grands systèmes philosophiques du Temps (Hegel, Marx) qu'engendre le XIXe siècle.. »

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