BERGSON: CIVILISATION ET SOCIETE
Extrait du document
Dans Les deux sources de la morale et de la religion, publiée en 1932, Henri Bergson nous livre ses conceptions-clés de la « religion statique » et de « religion dynamique ». Au début de l’ouvrage, Bergson s’intéresse au concept d’obligation morale en retraçant les origines de l’homme dans la société. La société est cette instance qui surplombe, habite et façonne l’homme en sculptant sa mémoire, son imagination… la société fait de l’homme un homme moral. Mais qu’en est-il du vieux rêve, voire de cette utopie, de l’homme isolé du reste du monde ? Robinson n’est-il pas l’homme qui s’est défait de la société ?
Problème : Comment, dans l’isolement physique, l’homme se rattache-t-il à la société et à la moralité ? Cela est-il possible ? Cela a-t-il un sens ?
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Explication de texte
En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale.
Même matériellement, Robinson dans son île reste en contact avec les autres
hommes, car les objets fabriqués qu'il a sauvé du naufrage, et sans lesquels il ne
se tirerait pas d'affaire, le maintiennent dans la civilisation et par conséquent
dans la société.
Mais un contact moral lui est plus nécessaire encore, car il se
découragerait vite s'il ne pouvait opposer à des difficultés sans cesse
renaissantes qu'une force individuelle dont il sent les limites.
Dans la société à
laquelle il demeure idéalement attaché il puise de l'énergie ; il a beau ne pas la
voir, elle est là qui le regarde : si le moi individuel conserve vivant et présent le
moi social, il fera, isolé, ce qu'il ferait avec l'encouragement et même l'appui de
la société entière.
Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion
Dans Les deux sources de la morale et de la religion, publiée en 1932, Henri
Bergson nous livre ses conceptions-clés de la « religion statique » et de
« religion dynamique ».
Au début de l'ouvrage, Bergson s'intéresse au concept
d'obligation morale en retraçant les origines de l'homme dans la société.
La
société est cette instance qui surplombe, habite et façonne l'homme en
sculptant sa mémoire, son imagination… la société fait de l'homme un homme moral.
Mais qu'en est-il du vieux rêve,
voire de cette utopie, de l'homme isolé du reste du monde ? Robinson n'est-il pas l'homme qui s'est défait de la
société ?
Problème : Comment, dans l'isolement physique, l'homme se rattache-t-il à la société et à la moralité ? Cela est-il
possible ? Cela a-t-il un sens ?
1 – Société et isolement (l.1-l.4)
- La vie sociale est inscrite dans l'homme.
Qu'est-ce qu'un individu dégagé de toute vie sociale ? le solipsisme ? Le
solipsisme est cette attitude du sujet pensant pour qui sa conscience propre est l'unique réalité, les autres
consciences, le monde extérieur n'étant que des représentations.
Mais le solipsisme concerne le monde de la
pensée, le monde de Descartes.
Un homme sans vie sociale est un homme sans société.
Le solipsisme, cette forme
de solitude poussée à l'extrême, est un rejet du monde entier en tant qu'il est pure apparence.
Un homme dégagé
de toute vie sociale n'est pas un solitaire ni un solipsiste, ce n'est pas un homme du tout.
En une phrase, Bergson
discerne les nuances dans la différence qui réside entre le fait d'être abstrait de la société et d'envisager un homme
dépourvu de société.
- Le paradigme de Robinson.
Pour asseoir son argument, Bergson cite un exemple qui dans la tradition philosophique
est canonique.
Robinson Crusoé est un roman de Daniel Defoe, publié en 1719.
Le personnage romanesque et
philosophique Robinson thématise différents degrés de la solitude.
La solitude du philosophe est en effet celle d'un
exilé, d'un débarqué du monde.
Sa solitude doit révéler ce qu'est un homme, en dehors d'une nature humaine
héroïque.
Ce sont les vertus de l'homme ordinaire que Robinson doit incarner par sa douloureuse expérience.
- Mais selon Bergson, Robinson est isolé physiquement de la société, il n'est pas pour autant dépourvu de vie
sociale.
Robinson ne cesse de véhiculer la société pour deux raisons : « les objets fabriqués qu'il a sauvé du
naufrage (…) le maintiennent dans la civilisation et par conséquent dans la société ».
Et deuxièmement, il organise
une vie sociale sur l'île baptisée Désespoir : dans la grotte où il se réfugie, il se construit une habitation.
Il
confectionne un calendrier en faisant des entailles dans un morceau de bois.
Il chasse et cultive le blé.
Il apprend à
fabriquer de la poterie et élève des chèvres.
Il lit la Bible.
Tout le rattache à la société.
Et il fait tout ce qui est en
son pouvoir pour ne pas être dépourvu de vie sociale.
Après le passage étudié, Bergson cite un passage d'un roman
de Kipling où le garde
forestier « seul dans sa maisonnette au milieu d'une forêt de l'Inde », et qui chaque soir, « se met en habit noir
pour dîner, afin de ne pas perdre, dans son isolement, le respect de lui-même ».
2 – La société existe même quand l'homme est isolé car elle lui assure une conduite morale (l.4-l.10)
- Solitude et contact moral.
Les objets qu'il a sauvé du naufrage rattachent Robinson à la société et la société à
Robinson.
Mais le contact moral est plus nécessaire encore.
Parce que l'homme ordinaire est le plus enclin aux
relations sociales, il ne peut demeurer seul.
C'est pourquoi l'humanisation progressive de Vendredi vient rétribuer la
condition moyenne de Robinson et faire la démonstration du caractère premier du social chez l'homme.
Or, le ressort
de cette humanisation est le sentiment de sympathie.
La notion de sympathie, de compassion sera thématisée par
David Hume et surtout par Jean-Jacques Rousseau.
Philosophiquement, Vendredi est l'autrui social, l'autre qui fait.
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