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Bergson: attention, passé, présent et durée.

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Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée: Notre conscience nous dit que, lorsque nous parlons de notre présent, c'est à un certain intervalle de durée que nous pensons. Quelle durée ? Impossible de la fixer exactement ; c'est quelque chose d'assez flottant. Mon présent, en ce moment, est la phrase que je suis occupé à prononcer Mais il en est ainsi parce qu'il me plaît de limiter à ma phrase le champ de mon attention. Cette attention est chose qui peut s'allonger et se raccourcir, comme l'intervalle entre les deux pointes d'un compas. Pour le moment, les pointes s'écartent juste assez pour aller du début à la fin de ma phrase ; mais, s'il me prenait envie de les éloigner davantage, mon présent embrasserait, outre ma dernière phrase, celle qui la précédait : il m'aurait suffi d'adopter une autre ponctuation. Allons plus loin : une attention qui serait indéfiniment extensible tiendrait sous son regard, avec la phrase précédente, toutes les phrases antérieures de la leçon, et les événements qui ont précédé la leçon, et une portion aussi grande qu'on voudra de ce que nous appelons notre passé. La distinction que nous faisons entre notre présent et notre passé est donc, sinon arbitraire, du moins relative à l'étendue du champ que peut embrasser notre attention à la vie. Le « présent » occupe juste autant de place que cet effort. BERGSONLa limite entre passé et présent ne dépend pas de l'étendue des événements vivants que nous sommes capables de saisir, que de notre attention, cette concentration de l'activité mentale sur un objet déterminé. Si cette dernière était indéfiniment extensible, elle se porterait sur une durée englobant présent et passé. D'où le caractère arbitraire de ces limites. Réfléchissez bien sur la notion bergsonienne de durée, d'interpénétration du passé, du présent et du futur. Cette durée est qualitative. Autre idée importante : celle d'attention, comme concentration spirituelle entraînant telle ou telle saisie psychique. La notion de « présent » résulte du travail de cette faculté.

« Thème 3971 Notre conscience nous dit que, lorsque nous parlons de notre présent, c'est à un certain intervalle de durée que nous pensons.

Quelle durée ? Impossible de la fixer exactement ; c'est quelque chose d'assez flottant.

Mon présent, en ce moment, est la phrase que je suis occupé à prononcer Mais il en est ainsi parce qu'il me plaît de limiter à ma phrase le champ de mon attention.

Cette attention est chose qui peut s'allonger et se raccourcir, comme l'intervalle entre les deux pointes d'un compas.

Pour le moment, les pointes s'écartent juste assez pour aller du début à la fin de ma phrase ; mais, s'il me prenait envie de les éloigner davantage, mon présent embrasserait, outre ma dernière phrase, celle qui la précédait : il m'aurait suffi d'adopter une autre ponctuation.

Allons plus loin : une attention qui serait indéfiniment extensible tiendrait sous son regard, avec la phrase précédente, toutes les phrases antérieures de la leçon, et les événements qui ont précédé la leçon, et une portion aussi grande qu'on voudra de ce que nous appelons notre passé.

La distinction que nous faisons entre notre présent et notre passé est donc, sinon arbitraire, du moins relative à l'étendue du champ que peut embrasser notre attention à la vie.

Le « présent » occupe juste autant de place que cet effort.

BERGSON • Dans l'histoire de la philosophie, la réflexion sur le temps a pu prendre différents aspects, selon qu'il s'agit d'en comprendre la nature (de Platon à Kant) ou d'en distinguer les aspects, tels que les analyse déjà saint Augustin : le passé, le présent et le futur.

Au lieu de procéder à un découpage de la temporalité qui isole clairement ces trois instances, Bergson propose ici une méditation sur le présent, qui montre que ses limites sont relatives à notre champ d'attention à la vie. • Bergson envisage le phénomène temporel tel qu'il existe pour la conscience : il s'agit de saisir comment le présent se manifeste à l'intérieur de cette conscience, lorsqu'elle tente d'éclairer son affleurement.

Le premier repérage consiste à cerner, sous le nom de « présent », « un certain intervalle de durée ». • Immédiatement, la mesure exacte de cet intervalle, la connaissance de ses limites, fait problème.

La conscience du présent s'inscrit dans une extrême variabilité.

Et c'est ce qu'illustre sans attendre l'exemple de « la phrase que je suis en train de prononcer », qui propose une sorte d'introspection, un retour sur soi de l'activité consciente, au terme duquel il est clair que le présent coïncide , dans le sentiment qu'on peut en prendre, avec les besoins d'un fonctionnement mental lui-même actuel : c'est parce que je suis attentif à la phrase que je prononce (ou que j'écris) que sa durée définit mon présent du moment. • Mais le champ d'attention est lui-même variable, il peut s'allonger ou se raccourcir «comme l'intervalle entre les deux pointes d'un compas ».

La métaphore est intéressante en ce qu'elle désigne à la fois un espacement et la capacité de l'agrandir ou de le diminuer, non de manière arbitraire ou capricieuse, mais en fonction de la tâche pour laquelle j'utilise le compas. • On doit donc en déduire que le présent pourrait par exemple se ramasser sur un mot au lieu d'une phrase (par exemple si je dois faire effort pour en retrouver l'orthographe exacte), aussi bien, à l'inverse, que remonter de la phrase actuelle à la phrase précédente.

Simple question, dit Bergson, de « ponctuation » : si je lie, graphiquement ou mentalement, deux phrases entre elles, mon attention qui les englobe d'un même mouvement définit un présent plus étendu. • Si l'on pousse l'expérience plus avant comme le propose ensuite Bergson, on en vient à penser qu'à une attention indéfiniment extensible correspondrait aussi un présent capable d'inclure la totalité de ce qui est sans cela perçu comme « passé ».

Sans doute n'y a-t-il là qu'une pure hypothèse, dans la mesure où l'attention semble incapable d'embrasser la totalité d'un vécu — et laisse dans ce cas place à une mémoire, par laquelle se réintroduit un passé repéré comme tel.

Mais ce qui importe, c'est de comprendre que l'ampleur de l'attention est suffisamment variable pour s'étendre sur le passé, même si ce dernier reste relativement proche : cela suffit pour en déduire une extensibilité parallèle du sentiment du présent, et surtout que la distinction ordinairement faite entre le présent et le passé n'est ni claire ni fiable.

Elle est en tout cas insituable de façon permanente...

On peut donc en conclure que le « présent » occupe autant de «place » (Bergson lui-même se trouvant obligé d'évoquer le temps en termes d'espace) que le champ de notre attention à la vie. • Le plus notable dans cette analyse est l'insistance sur la relation qui existe entre conscience du présent et attention à la vie ou effort, ainsi que la conséquence selon laquelle il n'existe pas de distinction en soi entre présent et passé. • Cela permet en effet d'affirmer que la temporalité se présente pour la conscience sous l'aspect d'un « flux » continu, à l'intérieur duquel tout découpage ayant pour but d'isoler un « moment » est déterminé par notre relation à la vie, c'est-à-dire par l'effort que nous faisons pour confirmer notre efficacité. • L'attention à ce qui a lieu est en effet relative à un projet ou une action.

C'est ainsi pour des raisons d'ordre pratique que nous admettons la différence entre le passé et le présent — mais selon la durée de la tâche à accomplir (et donc selon l'ampleur de notre champ d'attention) aussi bien qu'en fonction d'une absence de tâche précise (lorsque l'attention n'est plus précisément orientée vers l'environnement mais reste en quelque sorte disponible ou flot-tante), nous pouvons constater que le sentiment d'un passé recule ou s'efface plus ou moins durablement.

La conscience rêveuse fait par exemple l'expérience d'un présent qui s'étend dans des proportions inhabituelles : le temps « ne passe pas ».

Au contraire, la conscience occupée à une multitude de tâches éprouve une temporalité qui passe très vite, et à l'intérieur de laquelle chaque moment, éventuellement très bref, recule rapidement dans le passé. • Il apparaît ainsi que plus l'action est exigeante et plus elle monopolise l'attention sur un point précis, plus le temps paraît sécable en moments successifs.

Mais ce n'est là que le résultat d'une détermination des repères temporels par les exigences de la pratique et de l'efficacité.

En elle-même, la durée reste dotée de la même fluidité ininterrompue, et ce n'est que la relation que nous entretenons, ou croyons entretenir, avec elle, qui change. • Si dans la durée en elle-même, une séparation entre passé et présent est introuvable, elle ne se forme que relativement aux tâches qu'accomplit la conscience.

Plus ces tâches sont orientées intellectuellement et recourent à des protocoles abstraits, plus le découpage ou la mesure du temps s'impose : ainsi aboutit-on à une différence marquée entre le temps mathématisé (notamment par les attitudes scientifiques) et la durée authentique.. »

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