Bergson
Extrait du document
«
« Radicale est la différence entre la conscience de l'animal, même le
plus intelligent, et la conscience humaine.
Car la conscience
correspond exactement à la puissance de choix dont l'être vivant
dispose ; elle est coextensive à la frange d'action possible qui
entoure l'action réelle : conscience est synonyme d'invention et de
liberté.
Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur
le thème de la routine.
Enfermé dans les habitudes de l'espèce, il
arrivera sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il
n'échappe à l'automatisme que pour un instant, juste le temps de
créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se referment
aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu'à l'allonger.
Avec l'homme, la conscience brise la chaîne.
Chez l'homme, et chez
l'homme seulement, elle se libère.
» BERGSON.
[Introduction]
Contrairement à la thèse qui ne reconnaît de conscience qu'à l'homme,
Bergson admet ici l'existence d'une conscience animale.
Ce n'est pas
cependant pour affirmer une continuité entre les deux modes d'existence :
il déplace en fait le point de rupture entre animalité et humanité, en
suggérant que ce qui caractérise l'homme, c'est la conscience libre, qui ne
peut se manifester chez l'animal en raison de sa dépendance à l'égard de son espèce.
[I — La conscience est puissance de choix]
Ce que Bergson nomme « conscience » est assez strictement repéré : il s'agit de la « puissance de choix dont
l'être vivant dispose ».
Dans une situation donnée, les éléments considérés ouvrent la possibilité d'une action.
Mais celle-ci, lorsqu'elle est opérée, apparaît comme privilégiée par rapport à d'autres actions possibles.
Ainsi, à côté ou autour de ce qui est fait, il existe une « frange d'action possible ».
Cette « frange » est perçue
ou conçue plus ou moins confusément ; mais elle signifie toujours que la réponse apportée à la situation n'est
pas entièrement déterminée par cette dernière.
La conscience, comme ensemble des représentations d'action possible, est alors « synonyme d'invention et de
liberté ».
Invention car l'action promue par un être n'est pas la simple conséquence mécanique des données :
elle ajoute quelque chose à ces dernières.
Liberté car, dès lors que plusieurs actions sont possibles, il y a
intervention nécessaire d'un choix qui n'en réalisera qu'une, et là où se propose un choix authentique, on admet
l'absence d'un déterminisme strict, c'est-à-dire l'intervention d'une liberté.
[II — Animalité et espèce]
Même l'animal, affirme Bergson, est capable de tels choix.
Toutefois, son invention n'est rien de plus « qu'une
variation sur le thème de la routine ».
Le terme de variation indique que la possibilité d'inventer sa réponse est
déjà limitée : c'est autour d'une réponse en quelque sorte pré-formée que l'animal ajoute « individuellement »
de légères variantes.
Le principal de la réponse est en effet imposé à l'animal par les «habitudes de l'espèce» à laquelle il appartient,
par ce qu'on appelle ordinairement l'instinct.
À chaque animal, Bergson attribue une certaine « initiative
individuelle », mais dont les effets ne sont guère considérables : elle « élargit » la réponse instinctive, mais ne
s'en détache pas
totalement.
La réponse est, au mieux, adaptée aux caractères particuliers d'une situation, mais le principal de
ce qui la constitue demeure inchangé.
Bergson affirme ainsi que l'animal n'échappe à l'automatisme provenant de son hérédité « que pour un instant ».
Non seulement l'animal retombe aussitôt dans cet automatisme, mais la variante qu'il a introduite dans sa
réponse risque de ne faire apparaître rien d'autre qu'un « automatisme nouveau » ; elle devient vite obligatoire
et interdit en conséquence toute autre invention ultérieure.
[III — Conscience et liberté]
Contrairement à la conscience de l'animal, qui ne réussit qu'à « allonger la chaîne » le liant aux autres
représentants de son espèce, celle de l'homme «brise» cette même chaîne.
C'est dire que l'individu humain est
seul responsable de son invention : il n'est pas déterminé par une hérédité, mais met librement au point des
solutions radicalement nouvelles aux problèmes qu'il rencontre.
Ainsi, pour l'homme seul, la conscience est synonyme de liberté.
Cette dernière est donc saisie, de manière en
quelque sorte prémétaphysique, à un niveau anthropologique.
La liberté signifie l'absence de déterminisme, non
seulement par rapport à l'ordre des choses données et des situations naturelles, mais aussi relativement à
toute transmission biologique d'un acquis antérieur..
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