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Bergson

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J'estime que les grands problèmes métaphysiques sont généralement mal posés, qu'ils se résolvent souvent d'eux-mêmes quand on en rectifie l'énoncé, ou bien alors que ce sont des problèmes formulés en termes d'illusion, et qui s'évanouissent dès qu'on regarde de près les termes de la formule. Ils naissent, en effet, de ce que nous transposons en fabrication ce qui est création. La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel, un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. Mais notre intelligence s'en représente l'origine et l'évolution comme un arrangement et un réarrangement de parties qui ne feraient que changer de place ; elle pourrait donc, théoriquement, prévoir n'importe quel état d'ensemble : en posant un nombre fini d'éléments stables, on s'en donne implicitement, par avance, toutes les combinaisons possibles. Ce n'est pas tout. La réalité, telle que nous la percevons directement, est du plein qui ne cesse de se gonfler, et qui ignore le vide. [...] Or, si la méconnaissance de la nouveauté radicale est à l'origine des problèmes métaphysiques mal posés, l'habitude d'aller du vide au plein est la source des problèmes inexistants. Bergson

« "J'estime que les grands problèmes métaphysiques sont généralement mal posés, qu'ils se résolvent souvent d'eux-mêmes quand on en rectifie l'énoncé, ou bien alors que ce sont des problèmes formulés en termes d'illusion, et qui s'évanouissent dès qu'on regarde de près les termes de la formule.

Ils naissent, en effet, de ce que nous transposons en fabrication ce qui est création.

La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel, un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues.

Mais notre intelligence s'en représente l'origine et l'évolution comme un arrangement et un réarrangement de parties qui ne feraient que changer de place ; elle pourrait donc, théoriquement, prévoir n'importe quel état d'ensemble : en posant un nombre fini d'éléments stables, on s'en donne implicitement, par avance, toutes les combinaisons possibles.

Ce n'est pas tout.

La réalité, telle que nous la percevons directement, est du plein qui ne cesse de se gonfler, et qui ignore le vide.

[...] Or, si la méconnaissance de la nouveauté radicale est à l'origine des problèmes métaphysiques mal posés, l'habitude d'aller du vide au plein est la source des problèmes inexistants." BERGSON. L'introduction au recueil, qui date de 1922, intitulée « De la position des problèmes », annonce déjà l'idée exprimée ici : une métaphysique bien comprise a pour tâche de poser correctement les problèmes qui absorbent l'esprit humain, sinon elle risque de tourner éternellement autour des mêmes questions insolubles. En effet, ses problèmes naissent de deux façons : soit ils sont mal formulés, et dans ce cas la réforme de la métaphysique consiste à rectifier la formule qui les pose, comme dans l'exemple du possible et du réel, soit ils sont formulés « en termes d'illusion », ce qui signifie, dans ce cas, qu'il s'agit de dévoiler leur origine, comme dans l'exemple du vide et du plein ou du désordre et de l'ordre.

Deux types de problème, donc, mais qui viennent d'une substitution commune : on transpose en « fabrication » ce qui est « création ». Ces deux concepts demandent explication.

Depuis L'Évolution créatrice (1907), Bergson oppose ces deux termes pour signifier deux réalités différentes.

D'un côté, l'homme fabrique (homo faber) parce que son intelligence le destine naturellement à inventer des outils pour expliquer la matière ; d'un autre côté, la vie est « création continue d'imprévisible nouveauté » (in « Le possible et le réel », p.

1344), mais l'homme ne participe à cet élan vital que par un effort que Bergson nomme « l'intuition » (cf.

la conférence de 1911, intitulée « L'intuition philosophique »). D'où cette double postulation de l'homme, constante dans la pensée de Bergson.

Il tend vers la science, qui découpe dans la réalité des éléments stables, les combine mathématiquement et peut prévoir leur évolution, mais la métaphysique (dont l'« intuition » est la méthode ; cf.

Introduction au même recueil, p.

1277) lui apprend que la réalité ne correspond pas au discours de la science, parce que ses caractères s'y opposent : « croissance » (contre changement), « invention » (contre combinaison), « durée » (contre prévision), « plein » (contre « vide »).

Or, chaque fois que l'intelligence se substitue à l'intuition pour comprendre la réalité, elle traduit alors sa « nouveauté radicale » en termes de préexistence, et donne ainsi naissance au problème métaphysique mal posé du possible et du réel.

Ou bien encore, ayant l'illusion que le vide représente moins que le plein, elle s'imagine que le néant précède l'existence et pose alors un problème inexistant, celui du néant et de l'origine de l'être. Au contraire, une métaphysique intuitive (car « penser intuitivement est penser en durée » ibid.

p.

1275), sait poser les problèmes comme ils doivent l'être.. »

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