Bergson
Extrait du document
«
Qu'est-ce qu'un jugement vrai ? Nous appelons vraie l'affirmation qui
concorde avec la réalité.
Mais en quoi peut consister cette concordance ?
Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait
au modèle : l'affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité.
Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c'est seulement dans des
cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son
application.
Ce qui est réel, c'est tel ou tel fait déterminé s'accomplissant
en tel ou tel point de l'espace et du temps, c'est du singulier, c'est du
changeant.
Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et
impliquent une certaine stabilité de leur objet.
Prenons une vérité aussi
voisine que possible de l'expérience, celle-ci par exemple : "La chaleur
dilate les corps." De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible,
en un certain sens, de copier la dilatation d'un corps déterminé, en la
photographiant dans ses diverses phases.
(...) Mais une vérité qui
s'applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux
que j'ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien.
Questions
1.
a.
Formulez la thèse critiquée par Bergson.
b.
Quel argument lui oppose-t-il ?
2.
Expliquez :
a.
« Ce qui est réel, (...) c'est du singulier, c'est du changeant » ;
b.
« nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet ».
3.
Faut-il renoncer à connaître ce qui est changeant ?
Question 1
Bergson développe dans ce texte une critique de la manière dont nous pensons la réalité ou plus exactement dont
nous nous représentons la vérité.
D'après celle-ci, est vraie toute proposition qui est en rapport de conformité ou
d'adéquation avec la réalité.
La vérité serait ainsi comme l'image ou la copie intellectuelle des choses.
Or cette
problématique qui revient à considérer la pensée vraie sur le modèle optique du reflet ou de l'image est
contradictoire.
En effet la pensée ne saurait être la copie fidèle de la réalité puisque tout ce qu'elle représente est
général et statique tandis que la réalité est toujours singulière et dynamique.
La copie, si copie il y a, est donc
toujours mauvaise.
La conclusion vers laquelle tend cette critique est qu'il y a dissemblance et non ressemblance
entre le réel et les représentations qu'elle s'en forme ; l'intelligence ne parvient pas à penser ce que le réel a de
singulier et de changeant.
Question 2
a.
On ne rencontre jamais de généralités dans la réalité.
On ne croise jamais l'Homme mais tel ou tel homme.
Notre
expérience du monde consiste toujours en la perception de choses ou d'êtres concrets : « ce qui est réel, c'est du
singulier, c'est du changeant ».
Ce sont des êtres particuliers, singularisés par leurs qualités propres mais aussi par
leur situation dans l'espace et dans le temps.
Mais ils n'existent pas non plus sans changer, soit par eux-mêmes
(usure, modification interne spontanée), soit sous l'effet de causes extérieures.
L'immobilité consiste donc toujours
en une apparence trompeuse.
Si je contemple sans bouger un objet matériel posé sur une table, un vase par
exemple, je pourrai avoir l'impression qu'il reste fixe, immuable pendant tout le temps où je l'observerai.
En réalité
cette impression se fonde sur le choix de ne retenir de l'objet perçu que des caractéristiques durables et de faire
abstraction de celles qui changent.
Par exemple je retiendrai son volume, stable, et j'écarterai ses couleurs qui
changent, elles, selon les variations de la lumière.
Il est vrai que si la lumière reste fixe et si je ne bouge pas, le vase
que je percevrai restera effectivement immuable.
La science nous fait toutefois savoir que dans sa constitution
interne, imperceptible à l'oeil, tout objet matériel est composé d'atomes dont certains éléments (les électrons) sont
en mouvement permanent.
Mais revenons à l'échelle de l'observation macroscopique.
La tendance de notre esprit à
effacer le changement se manifeste par exemple dans le fait que même si le vase était renversé, déplacé, détruit...
sous mes yeux, je continuerai à parler du même vase, vase qui serait seulement renversé, posé ailleurs ou détruit en
mille morceaux.
En continuant à parler du vase alors que la chose que nous nommions initialement ainsi est devenue
un tas d'éclats, nous témoignons de notre tendance à nier le changement dans notre perception des choses.
b.
Nos affirmations, comme nos négations, sont des jugements.
Elles composent des phrases, elles combinent des
mots.
La signification d'un mot est par définition générale.
Elle ne se rapporte à aucun référent particulier.
Le mot «
chien » par exemple peut s'appliquer à un très grand nombre d'individus concrets et ne renvoie pas plus au basset
de ma voisine qu'au Rantanplan de Lucky Luke.
La généralité du sens des mots a pour effet, nous l'avons déjà relevé.
»
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