Bergson
Extrait du document
«
« L'art suffirait donc à nous montrer qu'une extension des facultés de percevoir est possible.
Mais
comment s'opère-t-elle? Remarquons que l'artiste a toujours passé pour un "idéaliste".
On entend
par là qu'il est moins préoccupé que nous du côté positif et matériel de la vie.
C'est, au sens propre
du mot, un "distrait".
Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il à y voir plus de choses ?
On ne le comprendrait pas, si la vision que nous avons ordinairement des objets extérieurs et de
nous-mêmes n'était une vision que notre attachement à la réalité, notre besoin de vivre et d'agir,
nous a amenés à rétrécir et à vider.
De fait, il serait aisé de montrer que, plus nous sommes
préoccupés de vivre, moins nous sommes enclins à contempler, et que les nécessités de l'action
tendent à limiter le champ de la vision.
» BERGSON
POUR DÉMARRER
L'art n'est-il pas lié à une faculté d e contemplation d'autant plus vive que l'artiste est moins
préoccupé des urgences pratiques ? L'action limite l'accès à la vision profonde de l'être des choses,
que seule la contemplation permet d'atteindre: vous retrouvez ici une position analogue à celle des
Grecs qui mettaient la contemplation bien au-dessus de l'action.
CONSEILS PRATIQUES
Un texte à la fois consacré à l'art et à la contemplation profonde du réel.
Rappelez-vous que, pour
Bergson, l'urgence pratique signifie toujours limitation du champ de vision.
L'art dévoile le réel
authentique parce que l'artiste ne se situe pas du côté de l'action.
Définissez l'art avec précision comme création de choses belles
liée à un certain désintéressement par rapport au réel.
Bergson veut montrer que l'extension des facultés d e perception est possible.
Que faut-il entendre par cette expression ? La
perception est le contact immédiat que nous avons avec le monde par les moyens sensoriels.
On est tenté de privilégier le sens de la
vue, mais les autres facultés sensibles, l'odorat, le goût, le toucher, l'ouïe, se coordonnent avec la vue pour constituer la perception.
On remarque que l'auteur lui-même n'utilise dans ce texte que des termes relatifs à la faculté de voir.
L'extension de ces facultés
désigne l'élargissement d e leur pouvoir qui est traduit par les expressions : "voir plus d e choses", "contempler" ou "champ de
vision".
L'affirmation de Bergson est donc qu'il est possible de percevoir mieux la réalité qui nous entoure.
Pour le montrer, il pose la question : comment cette extension est-elle possible ? et trouve une réponse dans l'art.
"Comment
s'opère-t-elle" dans l'art ? Pour le savoir il faut analyser ce qu'est un artiste, quelle est sa manière d'être au monde.
Bergson semble
s'appuyer sur une opinion commune.
Il est en effet courant qu'on voie l'artiste comme un "distrait", mais il donne tout son sens à
cette image.
L'artiste est un "idéaliste", un "distrait" en ce sens que par rapport aux hommes ordinaires il est "moins préoccupé ...
du
côté positif et matériel de la vie".
On dirait volontiers qu'il n'a pas le sens des réalités, qu'il n'a pas les pieds sur terre, qu'il vit dans
son propre univers.
S'il en est ainsi, nous sommes devant un paradoxe : comment un homme "distrait", "idéaliste" peut-il mieux que
nous voir et percevoir la réalité ? Ce paradoxe est à surmonter.
Bergson analyse alors le mode ordinaire de la vision et de la perception pour y déceler une limitation, un rétrécissement, un vide.
En
effet l'homme ordinaire est attaché à la réalité dans la seule optique de satisfaire ses besoins et de répondre aux nécessités de la
vie et de l'action.
Deux conséquences s'en suivent.
D'une part, il ne perçoit des choses que leur aspect utile et pratique, leur "côté
positif".
D'autre part, il ne connaît de lui-même que la superficie de sa propre nature, l'aspect de sa vie intérieure qui est orientée
vers la vie, c'est-à-dire vers l'action nécessaire à la vie.
Par contraste, l'artiste, détaché des préoccupations de la vie et de l'action, est capable de voir les choses pour elles-mêmes, d'arrêter
son regard sur la chose pour la voir en ce qu'elle est, non plus en ce qu'elle peut être utilisée.
Alors que nous prenons le couteau,
sans l'observer, pour couper, l'artiste est capable d'en admirer la matière, les formes et les couleurs.
On comprend ainsi la relation établie par l'auteur entre le souci de "vivre" et "les nécessités de l'action" d'une part, et d'autre part la
limitation de notre "champ de vision" et notre impuissance à "contempler", contempler signifiant saisir l'être-même de la chose, ce
qui exige le désintéressement.
Par cette explication le paradoxe est levé.
Pour dégager l'intérêt philosophique de ce texte, s'interroger sur ce qui fait son originalité, soit par rapport à la pensée commune,
soit par rapport à d'autres philosophes.
Repartir du thème.
Le thème est le contact avec le réel, autrement dit la connaissance d e l'être.
Sur ce plan Bergson s'inscrit dans la tradition des
philosophes soucieux de la recherche de la vérité.
Pour mettre en lumière ce qui propre à Bergson, on pourrait donc développer une
étude parallèle entre la pensée de Bergson et celle d'un philosophe que vous connaissez.
Par exemple montrer les ressemblances et
dissemblances avec Platon en comparant ce texte avec l'Allégorie de la caverne.
Lire : Platon, République, livre VII.
En effet Bergson à sa manière invite l'homme à une conversion.
Ce point les rapproche, comme il rapproche d'autres philosophes.
A
partir de là on peut examiner brièvement quelle est la situation originelle de l'homme, en quoi consiste la conversion, quels en sont
les obstacles et qu'est-ce que l'être auquel l'un et l'autre aboutissent.
Pour l'un comme pour l'autre, l'homme est d'abord enfermé dans un monde d'apparences.
Bergson voit dans la nécessité de vivre et
d'agir la raison de cet aveuglement.
L'un et l'autre appellent donc à une purification de l'âme, purification par laquelle l'âme doit se
libérer des pesanteurs qu'impose le corps.
Mais tandis que Platon voit dans le corps l'obstacle à la quête de l'intelligible, puisqu'il
enferme l'âme dans la pensée des choses sensibles, Bergson en fait l'instrument du contact avec le réel authentique, puisqu'il s'agit
d e le percevoir.
L'obstacle n'est donc pas le corps, mais la disposition intéressée de l'âme elle-même.
On s'aperçoit donc que
fondamentalement ils divergent sur la conception d e l'être.
Pour l'un l'être est Idée purement intelligible, pour l'autre l'être est
concret, sensible, à découvrir dans l'originalité de chaque chose ou de chaque état de la conscience.
De ce bref parallèle, on peut déduire comment l'un et l'autre considèrent l'art.
Alors que Platon tend à le négliger parce qu'il ne fait
que retarder l'accès à l'Idée, imitant dans une matière la chose sensible qui n'est elle-même que la pâle copie de l'intelligible,
Bergson y voit l'accès le plus direct au réel.
S'il en est ainsi quel est le statut du philosophe ? Pour l'un il est le seul, par sa démarche
intellectuelle, capable d'atteindre l'être ; pour l'autre il restera embarrassé de ses outils intellectuels : concepts, idées, langage.
Ne
pourrait-on pas dire que pour Bergson le philosophe regrette de ne pas être artiste ?.
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