Bergson
Extrait du document
«
L'instrument fabriqué intelligemment est un instrument imparfait.
Il ne
s'obtient qu'au prix d'un effort.
Mais, comme il est fait d'une matière
inorganisée, il peut prendre une forme quelconque, servir à n'importe quel
usage, tirer l'être vivant de toute difficulté nouvelle qui surgit et lui conférer
un nombre illimité de pouvoirs [...].
Surtout, il réagit sur la nature de l'être
qui l'a fabriqué, car, en l'appelant à exercer une nouvelle fonction, il lui
confère, pour ainsi dire, une organisation plus riche, étant un organe
artificiel qui prolonge l'organisme naturel.
Pour chaque besoin qu'il satisfait,
il crée un besoin nouveau, et ainsi, au lieu de fermer, comme l'instinct, le
cercle d'action où l'animal va se mouvoir automatiquement, il ouvre à cette
activité un champ indéfini où il la pousse de plus en plus loin et la fait de plus
en plus libre.
Le texte peut être découpé de la façon suivante :
L'instrument fabriqué [...] d'un effort.
Mais, comme [...] de pouvoirs.
Surtout, il réagit [...] de plus en plus libre.
Ce passage fait suite à une analyse, par Bergson, de l'instinct animal : L'instinct trouve à sa portée l'instrument
approprié : cet instrument, qui se fabrique et se répare lui-même, qui présente, comme toutes les oeuvres de la
nature, une complexité de détail infinie et une simplicité de fonctionnement merveilleuse, fait tout de suite, au moment
voulu, sans difficulté, avec une perfection souvent admirable, ce qu'il est appelé à faire.
En revanche, il conserve une
structure à peu près invariable, puisque sa modification ne va pas sans une modification de l'espèce.
L'instinct est
donc nécessairement spécialisé, n'étant que l'utilisation, pour un objet déterminé, d'un instrument déterminé.
»
Ainsi, l'instrument fabriqué est le contraire de l'instrument approprié à la disposition de l'instinct.
Concernant l'instrument fabriqué par l'homme, Bergson passe de son imperfection à son perfectionnement et, de là, à
son rôle dans la libération de l'homme dans ses actions.
Ce qui, au départ, pouvait apparaître comme un défaut un
manque de perfection, se révèle un élément majeur du progrès et de la liberté.
Là où l'instinct ferme les possibilités
d'agir, l'intelligence fabrique un instrument perfectible, ce qui ouvre un
champ indéfini à l'activité humaine.
Le progrès technique montre en effet que l'inventivité de l'esprit, l'imagination,
l'originalité des innovations techniques ont libéré les hommes de bien des difficultés.
Toutefois, les conséquences de ce progrès montrent qu'il y a une inversion de ce que l'on pouvait attendre.
En
progressant, la technique modifie le rapport de l'homme à la nature et les rapports entre les hommes.
Rousseau, dans
le Discours sur les sciences et les arts et dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les
hommes, exprime une vision très négative des effets du progrès.
Car la liberté humaine est en jeu.
Aliéné, étranger à
lui-même, l'homme perd sa moralité, sa conscience, sa bonté, sa vertu.
La vision optimiste du progrès est contredite
par les faits, par l'histoire.
C'est ce qui amène Rousseau à mettre en place les principes du droit politique dans le
Contrat social, afin que des limites justes soient instaurées politiquement pour préserver l'homme et l'humanité en lui.
Cependant, il ne faut pas faire dire à Bergson ce qu'il ne dit pas.
S'il explique comment le perfectionnement de
l'instrument fabriqué va de pair avec une plus grande liberté, il laisse aussi penser que l'homme est d'autant plus
responsable de ce qu'il fabrique et de l'usage qu'il fait de sa technique.
Ainsi, la liberté pose en particulier un problème
politique et moral à l'homme.
Si la technique accroît ses moyens, son pouvoir, elle ne doit pas lui faire perdre de vue
les principes et les fins qui doivent être les siennes.
Ces fins sont morales.
Les comités de bioéthique sont l'exemple
d'une réflexion qu'il est nécessaire de mener..
»
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