Bergson
Extrait du document
«
"Quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une
communication en vue d'une coopération.
Le langage transmet des ordres
ou des avertissements.
Il prescrit ou il décrit.
Dans le premier cas, c'est
l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la
chose ou de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future.
Mais,
dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale,
militaire, toujours sociale.
Les choses que le langage décrit ont été
découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain.
Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité
humaine.
Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la
démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses
diverses la même propriété, se les représentera, les groupera enfin sous la
même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même
action à faire, suscitera le même mot.
Telles sont les origines du mot et de
l'idée.
L'un et l'autre ont sans doute évolué.
Ils ne sont plus aussi
grossièrement utilitaires.
Ils restent utilitaires cependant.
La pensée sociale
ne peut pas ne pas conserver sa structure originelle [...] C'est elle que le
langage continue à exprimer.
Il s'est lesté de science, je le veux bien ; mais
l'esprit philosophique sympathise avec la rénovation et la réinvention sans
fin qui sont au fond des choses, et les mots ont un sens défini, une valeur
conventionnelle relativement fixe ; ils ne peuvent exprimer le nouveau que
comme un réarmement de l'ancien.
On appelle couramment et peut-être imprudemment "raison" cette
logique conservatrice qui régit la pensée en commun : conversation ressemble beaucoup à conservation."
BERGSON.
a) Situation du texte.
Bergson oppose l'intelligence à l'intuition.
La première a été donnée à l'homme par la nature afin
de le guider dans ses activités de fabrication.
Quand l'esprit en revanche se détourne de ce qui l'entoure dans l'espace
pour se retourner sur lui-même, il met en oeuvre une autre de ses facultés : l'intuition.
La philosophie n'est que le
développement de cette intuition ou « attention que l'esprit se prête à lui-même ».
Or tout le problème est de savoir
d'où vient le langage : est-il de par sa nature instrument de l'intelligence ou auxiliaire de l'intuition ? Et si la première
hypothèse est la bonne, comment le philosophe pourra-t-il encore user du langage ?
b) Mouvement du texte.
• 1 er moment (- « les origines du mot et de l'idée ») : hypothèses sur l'origine du langage.
Le langage, qui est naturel
à l'homme, est originairement destiné à rendre plus aisée la vie pratique, et donc essentiellement la manipulation et la
transformation des choses matérielles extérieures.
La formation et l'évolution des langues auront ainsi été ordonnées à
la satisfaction de fins utilitaires.
• 2e moment (de « L'un et l'autre ont sans doute » jusqu'à la fin) : ce qui a changé et ce qui n'a pas changé dans le
langage.
Le développement des deux facultés fondamentales de l'esprit (intelligence 'et intuition) a-t-il imprimé au
langage sa marque ? Oui, souligne Bergson, pour ce qui est de la science.
Mais celle-ci se situe dans la continuité de la
vie pratique naturelle : elle ne fait que développer et rendre plus précise l'attention que l'esprit porte à la matière.
Dépositaires d'une pensée sociale qui tend surtout (au même titre que les institutions politiques) à la stabilité, les mots
ne se prêtent toujours pas aisément à l'effort du philosophe pour coller au jaillissement continu d'imprévisible
nouveauté que sont la durée pure et la vie même.
c) Conclusion.
Le philosophe devra donc pour retourner aux choses elles-mêmes, pour en retrouver les articulations
naturelles, se dégager des mots.
Au langage abstrait de la science il devra préférer un langage imagé, qui au moins ne
l'invitera pas à se représenter l'esprit sur le modèle de la matière.
« Comparaisons et métaphores suggéreront ce qu'on
n'arrivera pas à exprimer »..
»
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