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Bergson

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En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale. Même matériellement, Robinson' dans son île reste en contact avec les autres hommes, car les objets fabriqués qu'il a sauvés du naufrage, et sans lesquels il ne se tirerait pas d'affaire, le maintiennent dans la civilisation et par conséquent dans la société. Mais un contact moral lui est plus nécessaire encore, car il se découragerait vite s'il ne pouvait opposer à des difficultés sans cesse renaissantes qu'une force individuelle dont il sent les limites. Dans la société à laquelle il demeure idéalement attaché il puise de l'énergie ; il a beau ne pas la voir, elle est là qui le regarde : si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera, isolé, ce qu'il ferait avec l'encouragement et même l'appui de la société entière. Ceux que les circonstances condamnent pour un temps à la solitude, et qui ne trouvent pas en eux-mêmes les ressources de la vie intérieure profonde, savent ce qu'il en coûte de se « laisser aller », c'est-à-dire de ne pas fixer le moi individuel au niveau prescrit par le moi social. Bergson

« « En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale.

Même matériellement, Robinson' dans son île reste en contact avec les autres hommes, car les objets fabriqués qu'il a sauvés du naufrage, et sans lesquels il ne se tirerait pas d'affaire, le maintiennent dans la civilisation et par conséquent dans la société. Mais un contact moral lui est plus nécessaire encore, car il se découragerait vite s'il ne pouvait opposer à des difficultés sans cesse renaissantes qu'une force individuelle dont il sent les limites.

Dans la société à laquelle il demeure idéalement attaché il puise de l'énergie ; il a beau ne pas la voir, elle est là qui le regarde : si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera, isolé, ce qu'il ferait avec l'encouragement et même l'appui de la société entière.

Ceux que les circonstances condamnent pour un temps à la solitude, et qui ne trouvent pas en eux-mêmes les ressources de la vie intérieure profonde, savent ce qu'il en coûte de se « laisser aller », c'est-à-dire de ne pas fixer le moi individuel au niveau prescrit par le moi social. » BERGSON [Introduction] Les personnes se plaignant du poids des exigences de la société sont nombreuses, et il peut leur arriver de rêver d'une vie enfin délivrée de toute vie sociale.

Outre qu'elles ne conçoivent peut-être pas, même sans en avoir conscience, une délivrance intégrale qui paraît impossible, on peut leur objecter qu'ainsi débarrassées de ce qui, en elles, représente la société, elles risqueraient d'être fort démunies, et de perdre du même coup la plus grande part de ce qui fait leur valeur, leur intérêt, ou leur dignité.

Du moins est-ce ce que Bergson considère ici. [I.

L'imprégnation sociale] [A.

Le collectif dans l'individuel] Affirmer que l'homme est un être social (ou, comme le définissait Aristote, un « animal politique ») a pour conséquence qu'en lui, la société est en effet présente de multiples façons, ou qu'elle le constitue en majeure partie.

C'est en effet par un héritage de culture commune que l'individu se constitue : de son environnement, il reçoit une mentalité, une langue, des façons de voir le monde et de penser, tout autant qu'un certain nombre de valeurs morales, qui finissent par en faire un être correspondant à la « moyenne » que demande sa société. Les sociologues, et Durkheim en tout premier, ont amplement décrit cette influence du social sur l'individu, au point d'admettre l'existence d'une véritable « conscience collective », sur l'horizon de laquelle la conscience individuelle peur seulement inscrire ses marques d'originalité.

Mais avant eux, Marx avait déjà montré combien la classe dont on fait partie forme les possibilités de la conscience — tant ses structures que ses contenus. Bergson préfère ici envisager les choses de manière plus globale : c'est de la « vie sociale » en général qu'il souligne l'influence, indépendamment des clivages éventuels qu'y dessinent les classes ou les différents groupes. [B.

L'exemple de Robinson] Pour indiquer cette incontestable présence des autres dans un sujet, la preuve la plus fiable consiste à en montrer l'existence jusque chez un individu isolé.

Le cas de Robinson, mélange de réalité historique et de fiction puisque le roman de Defoe est fondé sur une anecdote authentique, a l'avantage de proposer une sorte d'expérience dans un domaine où l'expérimentation n'est évidemment pas possible.

L'allusion à son histoire est habile, qui permet d'affirmer que, jusque sur son île déserte, le naufragé reste en contact avec la société.

C'est d'abord par les outils et objets qu'il récupère après son naufrage, et qui proviennent bien d'une activité commune ; mais c'est aussi sur un plan qualifié de « moral » : Si Robinson ne sentait pas « idéalement » la présence de la société à ses côtés, son comportement ne serait pas le même.

La présence, même fantomatique, de la société, lui apporte un certain courage et de l'énergie, dans la mesure où il continue à suivre les directives de son « moi social ».

L'expression désigne l'ensemble des liens établis avec les autres dans la vie antérieure : un réseau de normes, d'attitudes, de valeurs qui structurent le sujet et donnent au moi individuel » une cohérence et une solidité qui lui feraient défaut en leur absence. Au-delà du cas de Robinson, on peut envisager pire : les « enfants sauvages », qui n'ont bénéficié d'aucun apport social, et chez lesquels il n'existe en conséquence pas de « moi social », ont un comportement qui paraît non humain.

Dénués de langage, de sentiments, et à plus forte raison de morale, ils sont extérieurs à ce qui fait l'humanité ordinaire.

Si Robinson conserve, bien qu'isolé sur son île, sa dignité d'homme, c'est parce qu'il a la chance d'avoir d'abord vécu en société. [C.

Rôle des valeurs transmises] Ce qu'apporte ordinairement la société est en effet beaucoup plus que ce qui facilite la simple action : cela. »

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