Bergson
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Commentaire de Bergson
Introduction :
Au début du chapitre II de Matière et mémoire, intitulé « de la reconnaissance des
images, la mémoire et le cerveau », Bergson s’interroge sur la manière dont le
passé continue à exister en l’homme.
La mémoire est précisément la manière dont
le passé continue à exister en l’homme.
Or si l’on se réfère à l’expérience que l’on a
soi-même de cette existence, il semble à Bergson qu’il y a deux formes apparentes
de la mémoire : la mémoire –habitude et la mémoire-souvenir.
La première serait
une mémoire du corps où le passé survivrait dans des mécanismes moteurs, tandis
que la seconde serait une mémoire de l’esprit où le passé se survivrait dans des
souvenirs indépendants.
Pourtant nous n’avons pas de connaissance immédiate de
deux formes de la mémoire.
Au contraire, dans la vie quotidienne, nous ne semblons
expérimenter qu’une seule forme de mémoire comme le prouve notre usage
unilatéral du mot souvenir.
Ces deux formes de la mémoire existent-elles et quelles sont les expériences
psychiques qui nous permettent de déduire leur existence ? Il s’agit en effet de
faire apparaître une différence de nature entre deux types de souvenir pour déduire
une différence de nature entre deux formes de mémoire.
Or cette différence de
nature entre deux types de souvenirs est masquée par une confusion résultant du
langage: « on emploie les mêmes mots dans les deux cas .
S’agit-il bien de la
même chose ? » ( ligne 12-13) Par conséquent, la stratégie argumentative de Bergson consiste à opposer à la
confusion du langage la réalité hétérogène des faits psychiques afin de faire apparaître deux formes de mémoire
différentes par nature.
Pour ce faire, il procède dans une première partie ( ligne 1 à 13) à l’analyse d’une situation d’apprentissage l’étude
d’une leçon où il distingue deux points de vue : celui par lequel j’apprend par cœur, puis celui par lequel je cherche
comment la leçon a été apprise.
C’est après avoir douté de l’identité de ces expériences psychiques confondues sous
le mot souvenir qu’il distingue deux formes de souvenirs par une comparaison analogique avec l’habitude ; une qui lui
ressemble, l’autre qui en diffère.
I Analyse d’une situation d’apprentissage
_ L’apprentissage d’une leçon est symptomatique du fonctionnement de la mémoire.
Il s’agit donc d’analyser la manière
dont l’apprentissage s’effectue dans l’étude d’une leçon à apprendre par cœur.
Qu’est-ce que c’est qu’apprendre une
leçon avec pour objectif de la connaître par cœur ? Apprendre par cœur, c’est s’approprier un contenu jusqu’à ce qu’il
ne fasse plus qu’un avec soi à la manière de notre organe vital.
Cette appropriation de la leçon se fait par un
processus de mémorisation.
Qu’est-ce qui se passe dans ce processus de mémorisation ? Ce processus s’échelonne en
plusieurs étapes dont le moteur est la répétition.
Répéter une leçon, c’est la réitérer à l’identique jusqu’à ne plus avoir
besoin de la répéter pour la connaître.
Entre temps, chaque nouvelle lecture permet un progrès, c’est à dire une
connaissance plus étendue et plus facile de la leçon.
A force, « les mots se lient de mieux en mieux », c’est à dire que
la mémorisation se fait plus fluide jusqu’à constituer une réorganisation complète de la leçon à l’intérieur de la mémoire.
Ainsi, lorsque la leçon a été apprise de telle manière qu’on n’a plus besoin de la réapprendre pour la connaître, on peut
dire qu’on la sait par cœur.
Ce savoir par cœur grâce à la mémorisation est alors appelé souvenir.
En effet, savoir sa
leçon, c’est s’en souvenir et si on l’a oublié, c’est qu’il faut la réapprendre.
_ De l’optique spontanée et irréfléchie de l’élève concentrée sur l’apprentissage de sa leçon, Bergson passe alors à une
perspective réflexive sur le processus de l’apprentissage : « je cherche maintenant comment ma leçon a été apprise «
( ligne 5).
Si je cherche alors à me rappeler les phases successives de mon effort pour apprendre ma leçon, chaque
lecture de ma leçon, plutôt que de se fondre avec les autres en un seul souvenir indifférencié et indivisé, se présente
à mon esprit dans son individualité.
Qu’est ce que l’individualité ? L’individualité d’un souvenir désigne une spécificité
qualitative, une chose qui est elle et pas une autre ; elle s’oppose à l’indifférenciation des lectures comprises dans la
leçon apprise par cœur.
En effet si les moments de l’apprentissage se fondaient ensemble jusqu’à s’identifier
absolument, par ma réflexion, ils se distinguent des uns des autres.
En quoi consiste leur individualité ? L’individualité
de chaque lecture se distingue par ces circonstances géographiques ( par exemple, j’ai commencé à apprendre seul
chez moi, puis j’ai achevé de la mémoriser avec les autre élèves au milieu de la cour), et de sa place temporelle par
opposition à celle qui la suit et qui la précède ( cette lecture suit celle que j’ai faite en classe et précède celle que j’ai
accompli à mon domicile).
Ainsi, pour résumer, Bergson compare chacune de ses lectures avec un événement de ma
propre biographie : « bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un événement déterminé de mon
histoire » (ligne 10 à 11)
Or si l’individualité de ce type de souvenir s’oppose complètement à l’indifférenciation de la leçon apprise par cœur, on
lui donne encore le nom de souvenir en ajoutant qu’il s’est imprimée dans ma mémoire.
Mais peut-on encore accepter
d’appeler d’un nom identique deux expériences psychiques si différentes ? Comme le souligne Bergson à la ligne 13 «
on emploie les mêmes mots dans les deux cas.
S’agit-il bien de la même chose ? ».
Pour dénoncer la confusion que
produit le langage, il se réfère à la ligne 4 de notre texte « on dit qu’elle est devenue souvenir, qu’elle s’est imprimée
dans ma mémoire ».
L’utilisation du « on » a ici une valeur polémique qui révèle le statut antiphilosophique et irréfléchi
de celui qui parle ainsi.
Puisque l’analyse de la situation d’apprentissage nous a permis de faire apparaître deux types
de souvenirs antithétiques, il s’agit à présent de combattre l’unilatéralité du langage en révélant leur différence de.
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