Benjamin Constant a écrit : « Cette fureur de reconnaître dans les ouvrages d'imagination des individus qu'on rencontre dans le monde est pour les ouvrages un véritable fléau. Elle les dégrade, leur imprime une direction fausse, détruit leur intérêt et a
Extrait du document
INTRODUCTION. - On lit parfois, à la première page d'un roman, une note de ce genre : « Les personnages que présente ce livre et les événements qu'il raconte sont imaginaires. Si certains croyaient y reconnaître des individus réels, ce fait s'expliquerait par une pure coïncidence. » En effet, sachant que l'imagination transforme plus qu'elle ne crée, quiconque connaît un auteur et fréquente le milieu qui lui est familier cherche tout naturellement quels sont les modèles dont il s'est inspiré, Ainsi se forme parfois tout un système de clés qui, par l'intermédiaire des critiques, passent peu à peu dans le domaine public. Cette pratique a provoqué de la part de Benjamin CONSTANT une violente sortie « Cette fureur de reconnaître... ». Ces remarques, dont la vivacité surprend d'abord le lecteur, ne manquent sans doute pas de tout fondement. Mais on peut se demander si elles sont tout à fait légitimes.
«
Benjamin Constant a écrit : « Cette fureur de reconnaître dans les ouvrages d'imagination des individus qu'on
rencontre dans le monde est pour les ouvrages un véritable fléau.
Elle les dégrade, leur imprime une direction fausse,
détruit leur intérêt et anéantit leur utilité.
Chercher des allusions dans un roman, c'est préférer la tracasserie à la
nature et substituer le commérage à l'observation du coeur humain.
» Jusqu'à quel point la protestation de Constant
vous paraît-elle légitime ?
INTRODUCTION.
- On lit parfois, à la première page d'un roman, une note de ce genre : « Les personnages que présente ce livre et
les événements qu'il raconte sont imaginaires.
Si certains croyaient y reconnaître des individus réels, ce fait s'expliquerait par une pure
coïncidence.
»
En effet, sachant que l'imagination transforme plus qu'elle ne crée, quiconque connaît un auteur et fréquente le milieu qui lui est
familier cherche tout naturellement quels sont les modèles dont il s'est inspiré, Ainsi se forme parfois tout un système de clés qui, par
l'intermédiaire des critiques, passent peu à peu dans le domaine public.
Cette pratique a provoqué de la part de Benjamin C ONSTANT une violente sortie « Cette fureur de reconnaître...
».
Ces remarques, dont la vivacité surprend d'abord le lecteur, ne manquent sans doute pas de tout fondement.
Mais on peut se
demander si elles sont tout à fait légitimes.
I.
— EXPLICATION.
C e qu'affirme Constant.
— Remarquons-le d'abord : l'auteur d'Adolphe ne prétend pas que le romancier ne s'inspire pas de
personnages qu'il connaît, d'événements qui sont arrivés, ni que, par conséquent, il soit impossible à un critique pénétrant de remonter
à ces sources.
Il est bien évident que l'imagination ne crée pas de rien et qu'elle se contente d'élaborer les données de l'expérience.
Benjamin CONSTANT ne porte même pas de condamnation absolue sur la recherche des modèles, et on peut croire qu'il ne verrait pas
d'inconvénients aux curiosités dont font toujours preuve les historiens de la littérature.
Tout ce qu'il prétend c'est qu'une telle curiosité nuit à la compréhension de l'oeuvre, détourne de sa signification réelle, lui fait perdre
son intérêt et son utilité véritables.
Le fondement de ces affirmations.
— En effet, quelque particuliers que puissent être les matériaux qu'une analyse pénétrante pourrait
découvrir à l'origine d'une oeuvre, cette oeuvre transcende les contingences individuelles et les conditions particulières d'existence :
elle se situe au plan du général.
Parfois c'est un type que l'écrivain veut camper devant l'esprit de son lecteur.
Dans d'autres cas, son
but est de faire prendre conscience de la situation de toute une catégorie d'humains.
Il y a aussi le roman à thèse qui cherche à faire
des adhérents à une certaine doctrine.
Même lorsque la visée du général est absente, même si le narrateur semble s'en tenir au plan
du récit concret et n'avoir aucun souci de faire connaître par là les tendances fondamentales de l'homme, cette connaissance de
l'homme en général se profile nécessairement derrière les portraits qu'il esquisse et les observations qu'il note : ce sont ces vues
générales qui sont intéressantes et instructives.
Or, qui s'adonne au petit jeu critiqué par Benjamin CONSTANT ne cherche pas à observer en lui-même la vérité de ce qui est dit des
autres.
Il ne voit même pas les personnages tels que le narrateur les présente : dans leurs paroles, leurs attitudes, les menues
circonstances de leur vie, il cherche le détail qui permettra de les identifier ou de confirmer une identification déjà faite.
La lecture,
dans ces conditions, n'est guère plus qu'un jeu de devinettes et elle perd sa vertu formatrice.
II.
— CRITIQUE.
Le travers contre lequel s'insurge Benjamin CONSTANT n'est pas imaginaire et il peut aboutir au résultat d'incompréhension qu'il lui
attribue.
Mais il s'en faut que les dégâts qu'il peut occasionner méritent une aussi acerbe mercuriale.
1.
Tout d'abord les affirmations de notre critique ne se vérifient que dans des cas extrêmement rares.
La plupart du temps les lecteurs
ne songent même pas à se demander si l'auteur vise quelqu'un de ses contemporains ou qui a pu lui servir de modèle : comment
d'ailleurs pourraient-ils faire des hypothèses sur ce sujet s'il ne fréquentent pas les milieux familiers à l'écrivain ? Ceux-là mêmes qui
remplissent cette condition peuvent bien dans certains cas procéder à des identifications et faire part à d'autres de leurs trouvailles ou
de leurs hypothèses : de là le « commérage » dont parle CONSTANT.
Mais il est exceptionnel qu'on observe cette « fureur » qui l'irrite.
Enfin, si jamais fureur il y a, elle n'est que passagère et ne sévit qu'au moment où l'ouvrage est lancé dans le publie : nous ne mettons
aucune « fureur » à mettre des noms de personnes réelles sous Tartuffe, Philaminte ou monsieur Bergeret.
2.
Ensuite, à la condition de ne pas tourner en manie et à plus forte raison en « fureur », la curiosité de connaître d'après quels
personnages réels l'écrivain a construit ses types n'est pas toujours vaine et conditionne souvent une meilleure compréhension de
l'oeuvre au lieu d'en détourner.
La remarque vaut d'oeuvres qui se donnent comme purement imaginaires : Le monde ou l'on s'ennuie d'Édouard PAILLERON est plus
intéressant à lire quand on connaît quelque peu Caro qui, sans le savoir, posa pour le philosophe qui figure dans la pièce; il comprend
mieux Le disciple de Paul BOURGET, celui pour qui Adrien Sixte évoque TAINE.
Mais c'est surtout dans les ouvrages assez nombreux qui, sous le voile d'une affabulation romanesque, décrivent un milieu déterminé
ou même contiennent une part importante d'autobiographie qu'il importe de procéder à toutes les identifications possibles.
Qu'il nous
suffise de citer les noms de PRousT et de GIDE.
3.
Enfin, il est d'un grand intérêt et même indispensable à la bonne compréhension d'une œuvre d'imagination d'observer autour de soi
des types ou des comportements qu'elle décrit.
C'est refaire en sens inverse le travail effectué par l'auteur : d'observations concrètes il
a tiré ses personnages plus ou moins schématiques ou stylisés, à ces personnages nous donnons une vie nouvelle en nous rappelant
tels ou tels individus réels qui, eux aussi, auraient pu servir de modèle à un peintre de la nature humaine.
CONCLUSION.
- La « fureur » dont Benjamin CONSTANT fait le procès, c'est plutôt chez lui que nous serions portés à la voir.
Il
semblerait que, victime lui-même de cette curiosité indiscrète qui cherche partout intentions secrètes et allusions cachées, il ait réagi
avec violence et, sous le coup de l'irritation, porté un jugement qui manque de mesure.
De là aussi sans doute ces imperfections de forme dont certaines rendent difficile l'interprétation de sa pensée : la première phrase en
particulier exprime mal ce qu'elle veut dire; quant à l'expression « préférer la tracasserie à la nature », on ne voit pas bien ce qu'elle
signifie.
Il n'y a donc pas grand-chose à retenir de cette critique furieuse des lecteurs qui cherchent autour d'eux les individus correspondant
aux personnages des oeuvres d'imagination..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Depuis son apparition, le coronavirus ne cesse de faire des ravages dans le monde ; Et la maladie n’en finit pas d’évoluer symptomatiquement. Face à ce fléau, d’aucuns soutiennent que la science a atteint ses limites. Partagez-vous cet avis ?
- Corneille a écrit de la tragédie : « Sa dignité demande quelque grand intérêt d'Etat ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d'une
- Montaigne, dans un chapitre de son grand livre Les Essais, écrit au XVIe siècle : « La force, la violence peuvent quelque chose, mais non pas toujours tout. » Vous expliquerez cette formule et vous direz si, à votre avis, le spectacle du monde actuel jus
- Racine écrit dans la Préface de Phèdre: "Je n'ose encore assurer que cette pièce soit la meilleure de mes tragédies. Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix." Plus que des formules conventionnelles de modestie, ne faut-il pa
- Un penseur contemporain a écrit : « l'Histoire justifie ce que l'on veut. Elfe n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et elle donne des exemples de tout. » (Paul Valéry, « Regards sur le monde actuel »). Ce scepticisme touchant la portée