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Beaux-Arts: La peinture contemporaine

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Si l'expressionnisme, dont les origines remontent au moins à Goya et à Daumier, et à qui l'apport de Van Gogh, de Toulouse-Lautrec, d'Ensor et de MunchA095 donna une décisive impulsion, est la caricature passionnée et tragique qui définit l'art de Rouault, de Soutine, de Kokoschka, de Permeke, de Solana, de Diego Rivera, etc., mais aussi celui de Vlaminck, de Kirchner et de leurs émules, il n'est guère contestable qu'il faille voir en lui une des idées-forces les plus actives de la peinture de notre temps. D'autant que l'on n'en épuise pas par cette définition la réalité complexe, contradictoire. Expression fougueusement, frénétiquement subjective d'un artiste qui crie, qui hurle son expérience du monde ­ expérience visuelle, intellectuelle, spirituelle, viscérale, expérience de tout son être ­ l'expressionnisme n'est pas seulement cet art tourné exclusivement vers un moi égocentrique, il est aussi effort pour pénétrer la réalité cachée des idées et des choses, tentative parfois désespérée pour ne faire qu'un avec elle. Et le miracle, c'est que ce subjectivisme outrancier soit aussi prise de possession de ces secrets, de ces essences. En se disant, le peintre les dit. Parce qu'il se dit, il les dit, et parce qu'il les dit, il se dit. Cette plongée en lui lui permet de les atteindre. Le moi et le non-moi profonds coïncident dans leurs racines. En descendant à celles de l'un, le peintre rencontre celles de l'autre. D'être subjectif avec exaspération, de ne pas pouvoir ne pas l'être, son art nous explique le mystère intérieur aux choses extérieures, dans le même temps qu'il est, selon le mot de Rouault, " confession ardente ", aveu passionné par le peintre de sa vie intérieure tragique.

« La peinture contemporaine Si l'expressionnisme, dont les origines remontent au moins à Goya et à Daumier, et à qui l'apport de Van Gogh, de Toulouse-Lautrec, d'Ensor et de MunchA095 donna une décisive impulsion, est la caricature passionnée et tragique qui définit l'art de Rouault, de Soutine, de Kokoschka, de Permeke, de Solana, de Diego Rivera, etc., mais aussi celui de Vlaminck, de Kirchner et de leurs émules, il n'est guère contestable qu'il faille voir en lui une des idées-forces les plus actives de la peinture de notre temps.

D'autant que l'on n'en épuise pas par cette définition la réalité complexe, contradictoire.

Expression fougueusement, frénétiquement subjective d'un artiste qui crie, qui hurle son expérience du monde expérience visuelle, intellectuelle, spirituelle, viscérale, expérience de tout son être l'expressionnisme n'est pas seulement cet art tourné exclusivement vers un moi égocentrique, il est aussi effort pour pénétrer la réalité cachée des idées et des choses, tentative parfois désespérée pour ne faire qu'un avec elle. Et le miracle, c'est que ce subjectivisme outrancier soit aussi prise de possession de ces secrets, de ces essences.

En se disant, le peintre les dit. Parce qu'il se dit, il les dit, et parce qu'il les dit, il se dit.

Cette plongée en lui lui permet de les atteindre.

Le moi et le non-moi profonds coïncident dans leurs racines.

En descendant à celles de l'un, le peintre rencontre celles de l'autre.

D'être subjectif avec exaspération, de ne pas pouvoir ne pas l'être, son art nous explique le mystère intérieur aux choses extérieures, dans le même temps qu'il est, selon le mot de Rouault, " confession ardente ", aveu passionné par le peintre de sa vie intérieure tragique. Art douloureux, comment cet art expressionniste aurait-il pu ne pas prospérer de nos jours ? Tant de raisons poussent partout à l'angoisse ou à la colère.

Menaces de guerre, guerres, révolutions matées, manquées, trahies, spectacle de la misère, de la faim, de l'oppression, et l'épée de Damoclès du danger atomique, impossible à la peinture de rester indifférente en face de tous ces périls.

De fait, il n'y a pas de solution de continuité entre l'expressionnisme qu'alimentèrent le spectacle et le souvenir de la Première Guerre mondiale et celui qui s'est développé un peu partout aujourd'hui : un GruberA1224 jette le pont entre l'un et l'autre, en France, où, après la fin de la Seconde, leva une nouvelle moisson de peinture expressionniste : de ses champions Bernard BuffetA1082 est le coryphée, auprès de qui l'on pourrait citer vingt, trente, cinquante noms. Favorisée par la sympathie du public qui s'accroche à ce qui reste de réalisme si interprété soit-il dans cette peinture ; encouragée par des critiques tels que Jean Bouret, auteur du Manifeste de l'Homme Témoin (1948) ; trouvant un théâtre fort achalandé dans le Salon des Peintres Témoins de leur temps, cette tendance expressionniste a connu, depuis la guerre, en France, plus de fortune et moins de résistances qu'en leur temps l'art de RouaultA111 et celui, plus tardif, de GromaireA1221, de GoergA1210, de SoutineA1489.

Face au raz de marée non-figuratif et abstrait, en prenant la relève d'un réalisme devenu peut-être désormais impossible, il a défendu les droits de la figuration et proposé des versions de la réalité où, pour déformée que celle-ci fût, elle n'en demeurait pas moins présente et reconnaissable.

Comme, jadis, les fervents du néoclassicisme davidien se jetèrent, par peur du romantisme, dans les bras d'IngresA063, qu'ils honnissaient naguère pour ses infidélités aux exemples de DavidA030 et traitèrent ensuite en sauveur pour ce qu'il subsistait de néoclassicisme chez lui, de même les amateurs de peinture réaliste, pour qui la peinture doit offrir une image de la réalité, firent fête, par horreur de l'abstrait, à cet expressionnisme, auquel ils reprochaient quelque trente ans plus tôt d'interpréter à l'excès cette réalité, et à qui ils sont maintenant reconnaissants de ne point rompre avec elle.

Ainsi s'explique, tout au moins en partie, la faveur de cette tendance dans une France qui avait toujours semblé n'éprouver auparavant pour elle qu'une assez tiède sympathie. Étrange contradiction : au moment où l'expressionnisme a acquis droit de cité de ce côté-ci du Rhin, il s'est étiolé et se flétri de ce côté-là, où il formait pourtant la tradition par excellence, disons davantage : l'être même de l'art allemand.

Semblablement, il a cessé de prospérer dans les pays qui avaient été ses principaux bastions au cours de la décennie 1920-1930 : Belgique, Pays-Bas, Scandinavie, États-Unis : les PermekeA1378, les de SmetA1483, les BrusselmansA1080, les Sluyters ne paraissent avoir guère plus de postérité que les Max WeberA1561, tandis que d'autres pays se sont ouverts à cet expressionnisme qu'ils n'avaient guère cultivé jusqu'alors.

Ainsi la Grande-Bretagne de BaconA004, de Stanley SpencerL1853, et l'Italie de GuttusoA1232. Parti d'Allemagne à la conquête du Nouveau Monde, où les persécutions racistes des Nazis obligèrent maints de ses champions israélites à chercher un refuge, l'expressionnisme trouva un terrain favorable dans les pays inclinés vers le pathétique par leur tradition ibérique et leur tradition autochtone.

S'il prospéra dans le Brésil de PortinariA1404 et de Lasar SegallA1471, il fit surtout florès au Mexique : la relève des OrozcoA1368 et des Diego RiveraA1434 y est assurée par SiqueirosA117, le plus frénétique des tribuns picturaux, dont le lyrisme et la rhétorique s'épanchent en oeuvres colossales, vociférant es et forcenées.

Ayant ainsi compensé ici les pertes qu'il avait faites là, l'expressionnisme est devenu une force mondiale, qui a gagné en étendue et en audience ce qu'il a peut-être perdu en incisive âpreté. Le surréalisme présente des ressemblances avec l'expressionnisme, dont il constitue, d'un certain point de vue, l'apogée, voire l'exaspération. Même conception subjective de l'art.

Même confession du peintre.

Même abandon aux forces irrationnelles.

Même conviction qu'en plongeant au plus profond du moi, on y trouve également l'essentiel des choses, leur essence cachée, leur vérité fondamentale.

Seulement, le surréalisme fait la place plus belle que l'expressionnisme au subconscient, à l'inconscient, à toutes ces forces obscures dont la psychanalyse de FreudD014 a révélé l'importance et qu'un certain snobisme avait mises à la mode vers 1925.

Mais voici qu'en regardant par cette " fenêtre " l'image est d'André BretonL026 lui-même en s'engageant à travers elle dans le paysage sur quoi elle ouvrait, l'adhérent du surréalisme entre dans un monde fantastique que l'expressionnisme n'avait guère exploré.

L'univers de celui-ci demeurait l'univers de la réalité.

Celui de celui-là est l'univers de l'imaginaire ou, plutôt, celui d'un certain au-delà perceptible aux seuls visionnaires.

Des formes étranges, inconnues, nouvelles peuplent la peinture du surréaliste, d'autant plus déroutantes qu'il les suscite plus froidement, plus objectivement, comme mieux vues à distance et plus extérieures, plus étrangères à lui. C'est qu'il procède tout autrement que l'expressionnisme.

L'un donnait libre cours à des passions qu'il ne contrôlait pas, mais sur lesquelles il projetait le regard lourd et douloureux de sa conscience.

Pratiquant l'écriture automatique, l'autre se fait médium, consent à une manière de passivité supérieure, et cherche peut-être moins à connaître son drame individuel qu'à enregistrer les confidences d'un monde extérieur mystérieux.

Moins tourné vers soi-même, plus attentif aux révélations du non-moi, ce sont des réalités moins psychologiques et plus métaphysiques qu'il entend capter et emprisonner dans un art qui se charge davantage de magie.

L'expressionniste était douloureux, frénétique, exalté.

La transe des surréalistes est plus calme.

Précisément parce qu'ils sont seulement médiums, instruments d'autre chose, ils se confondent moins avec ce qu'ils expriment, prennent leurs distances vis-à-vis d'un message qui leur est partiellement étranger, distinguent mieux entre ce qui est eux et ce qui vient d'ailleurs, ou plutôt savent. »

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