Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
Une société, garantie par les lois et par le pouvoir de se conserver, s'appelle
cité, et ceux qu'elle défend de son droit, citoyens; par où l'on comprend
aisément qu'il n'y a dans l'état naturel rien qui soit bien ou mal de l'avis unanime;
puisque chacun, dans l'état naturel, ne veille qu'à son utilité, et décide du bien
et du mal selon son tempérament et en n'ayant pour règle que son utilité, et que
personne ne l'oblige à obéir à une loi, que lui seul.
Et, par suite, dans l'état
naturel le péché ne peut se concevoir; mais bien dans l'état civil, où il est
décidé d'un commun accord de ce qui est bien et de ce qui est mal, et où
chacun est obligé d'obéir à la cité.
Et donc le péché n'est rien d'autre que la
désobéissance, qui pour cette raison est punie par le seul droit de la cité, et au
contraire l'obéissance est comptée au citoyen comme un mérite, parce qu'on le
juge par là même digne de jouir des commodités de la cité.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée
de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est pas logiquement
nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Droit: possibilité légitime d’accomplir une action.
La puissance de fait des
individus définit et légitime leur droit de nature (ou droit naturel), tandis que leur
puissance délimitée réciproquement, par les individus contractant un Pacte social, définit le droit civil.
Âme (anima): chez Descartes, principe substantiel lié au corps et formé de l’entendement et de la volonté; elle est
indépendante du corps et immortelle.
Spinoza n’emploie pas ce terme pour désigner l’individu humain singulier : il utilise
le terme Mens (esprit).
1) Thèse du texte et étapes de l'argumentation:
Spinoza entend montrer comment le passage de l'état de nature à la société donne naissance aux normes juridiques et
morales.
Le bien et le mal au sens moral ne seraient donc pas des valeurs éternelles, intemporelles, mais des normes
issues de la structure même de la société.
Le texte est construit à la manière d'une démonstration mathématique la forme de la démonstration géométrique était
d'ailleurs pour Spinoza le modèle par excellence de toute pensée rigoureuse.
Il commence ainsi par une définition et en
déduit une série de conséquences articulées très clairement ( « par où...
» , « et, par suite...
», « et donc...
» ).
La définition est celle de la cité et des citoyens, son concept principal celui du droit.
La première conséquence,
rétroactive si l'on peut dire, vaut pour l'état de nature : il ne comporte aucune loi.
D'où l'on peut déduire que la notion
de péché n'y existe pas.
De cette nouvelle étape on peut donc à nouveau déduire que c'est avec la société et ses
conventions qu'apparaissent le bien et le mal, le péché et la bonne action, facteurs de l'obéissance et de la
désobéissance aux normes de la cité.
2.
Expliquez:
a.
" dans l'état naturel le péché ne peut se concevoir": Explication littérale : si l'on définit le péché comme un acte de
transgression, comme l'action de se détourner du bien pour choisir le mal, il ne peut y avoir de péché que s'il y a une
connaissance du bien et du mal.
Or comme dans l'état de nature une telle connaissance ne peut exister puisque les
seuls impératifs sont ceux de la survie, la notion de péché n'y aurait aucun sens.
La seule notion plausible dans l'état
de nature est celle d'erreur ou d'imprudence, qui désigneraient des actes nuisibles pour la conservation de soi.
Commentaire philosophique : en proposant cette thèse, Spinoza fait preuve d'audace à l'égard des autorités religieuses
: selon les théologies monothéistes, le péché ne consiste pas à désobéir à une loi de la société mais à Dieu lui-même :
le péché consiste à se détourner de Dieu.
Comme Dieu est éternel et peut être connu de tout homme, le péché est
indépendant de toute structure sociale.
L'affirmation de Spinoza s'oppose donc à une vision théologique du bien et du
mal.
b.
Pourquoi obéir rend-il "digne de jouir des commodités de la cité ?": L'obéissance est le signe d'une contribution à
l'équilibre du système social.
Spinoza a rappelé au début du texte que le citoyen se définit comme l'individu protégé par
le droit de la cité; l'individu protégé par la cité mais agissant contre elle en désobéissant à ses règles fait preuve d'un
comportement parasitaire nuisible à la conservation du système; l'idée est donc que la société ne dispense pas
protection et avantages de façon totalement gratuite, mais en échange d'un comportement conforme à son intérêt
bien compris.
3) Faire le mal, est-ce seulement désobéir aux lois ?
Le sujet de discussion porte sur la limite entre le droit et la morale.
Pour bien comprendre la question, il faut se
rappeler que les lois définissent en général non pas le bien et le mal, mais le juste et l'injuste; le bien et le mal
appartiennent plus au registre moral et religieux qu'au registre juridique.
On tâchera de trouver, pour appuyer la
discussion, des exemples d'actions qui ne sont pas interdites par la loi et qui pourtant peuvent être condamnées.
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