Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
«Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être.
[...]
L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence actuelle de
cette chose.
[...]
L'Âme, en tant qu'elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu'elle a des idées confuses, s'efforce de
persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort.
[...]
Cet effort, quand il se rapporte à l'Âme seule, est appelé Volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l'Âme et au
Corps, est appelé Appétit ; l'appétit n'est par là rien d'autre que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle
suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l'homme est ainsi déterminé à le faire.
De plus, il n'y a nulle
différence entre l'Appétit et le Désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu'ils ont
conscience de leurs appétits, et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le Désir est l'Appétit avec conscience de luimême.
Il est donc établi par tout cela que nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n'appétons et ne désirons aucune
chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous
efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons.» SPINOZA.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Nature: ensemble de la réalité.
Elle est soumise à des lois déterminées, elle ne comporte aucune finalité et elle est infinie.
Totalement autonome et unique, elle comporte une infinité d’aspects différents dont deux nous sont connus parce qu’ils nous
constituent directement ce sont la Pensée et l’Étendue, Attributs de la substance, qui est Dieu, c’est-à-dire cette Nature
même.
Idée: concept conscient, activement formé par l’esprit (et non pas «image muette sur un tableau»).
Les idées n’agissent
que sur les idées.
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un
homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Conatus: l'effort par lequel chaque chose tend à persévérer dans son être.
Il est donc la puissance d’exister (vim existendi)
et l’essence même du Désir.
Désir: mouvement concret fondé sur le conatus et par lequel l’individu poursuit des biens qui accroîtront sa puissance
d’exister, c’est-à-dire sa perfection et son être.
Un tel accroissement produit la Joie (et ses dérivés) ; sa réduction produit au
contraire la Tristesse (et ses dérivés).
Le Désir est l’essence de l’homme.
Corps: mode fini de l’Attribut Étendue.
Il est composé de parties dont les actions internes et réciproques sont constantes,
formant ainsi un Individu stable.
Le corps humain est l’objet de l’idée constituant l’esprit humain.
Appétit (appetitus): identique au Désir (cupiditas) et donc à l’effort pour exister (conatus).
Une intention, chez celui qui
parle, fait préférer Appétit (s’il songe au corps) ou Désir (s’il songe au corps et à l’esprit).
Âme (anima): chez Descartes, principe substantiel lié au corps et formé de l’entendement et de la volonté; elle est
indépendante du corps et immortelle.
Spinoza n’emploie pas ce terme pour désigner l’individu humain singulier : il utilise le
terme Mens (esprit).
Spinoza montre ici que l'homme est un être de désir qui se définit de façon dynamique par son « effort » pour « persévérer
dans l'être », c'est-à-dire pour conserver et accroître sa puissance d'agir.
Le désir ne se subordonne pas au bien, c'est lui au
contraire qui est créateur de toute valeur pour l'homme.
Chaque chose fait toujours un « effort » (conatus) pour persévérer dans son être, c'est-à-dire produit un effort existentiel
pour se conserver et accroître sa puissance.
Elle exprime une partie de la puissance de Dieu et, en ce sens, n'a rien en elle
par quoi elle pourrait être détruite : rien de ce qui est en elle n'est contre elle, tout y tend à sa conservation et à
l'augmentation de sa puissance.
Chaque chose produit cet effort « autant qu'il est en elle », c'est-à-dire selon sa puissance d'être, mais ni plus ni moins, parce
que cet effort qualifie proprement ce qu'elle est, il n'est rien d'autre que son « essence actuelle », ce qu'elle est en acte (ce
qui existe réellement, par opposition à ce qui est « en puissance », seulement susceptible d'exister).
Spinoza donne une définition dynamique de l'homme en identifiant son âme et ce désir d'accroître sa puissance d'agir de
façon « indéfinie ».
Aucune limite temporelle ne l'entrave, et la mort vient toujours des causes extérieures.
Ce désir n'est pas
seulement désir de conservation (puisqu'il s'agit pour chaque être d'accroître sa puissance d'agir), ni de possession (puisque
la joie qui résulte de la possession d'un bien se définit comme conscience d'un accroissement de la puissance intérieure
d'exister) : c'est un désir d'être, non pas de survivre ou de posséder.
Désir, volonté et appétit sont bien la même chose, le même effort, mais envisagé de points de vue différents, de même que le
corps et l'âme expriment la même essence respectivement sous les attributs de l'étendue et de la pensée.
L'idée d'une
volonté libre qui pourrait venir s'opposer à l'appétit n'est qu'une illusion puisque tous deux se rangent sous la dénomination
générale du désir.
Enfin, puisque l'homme est d'abord un être de désir et non pas un sujet de la connaissance ou de la morale, l'essence de
l'esprit est d'être désir.
Le désir est coextensif à l'esprit, il est donc toujours conscient, et détermine tout jugement de
connaissance ou de valeur.
Ce texte illustre le renversement moderne qui consiste à montrer que c'est le désir qui crée les
valeurs, et non la valeur qui détermine le désir.
Pour les Anciens, le désir résulte de l'amour ; pour les Modernes, c'est
l'inverse..
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