Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
D'ailleurs, tous les préjugés que j'entreprends de signaler ici dépendent d'un seul : les hommes
supposent communément que toutes les choses naturelles agissent, comme eux-mêmes, en vue d'une
fin, et bien plus, ils considèrent comme certain que Dieu lui-même dispose tout en vue d'une certaine fin,
car ils disent que Dieu a fait toutes choses en vue de l'homme, mais il _a fait l'homme pour en recevoir
un culte.
C'est donc ce seul préjugé que je considérerai d'abord, en cherchant en premier lieu pourquoi la
plupart des hommes se plaisent à ce préjugé et pourquoi ils sont tout naturellement enclins à l'adopter ;
j'en montrerai ensuite la fausseté, et enfin je montrerai comment en sont issus les préjugés relatifs au
bien et au mal, au mérite et à la
faute, à la louange et au blâme, à l'ordre et à la confusion, à la beauté et à la laideur, et aux autres
choses de même genre.
Ce n'est cependant pas le moment de déduire ces choses de la nature de l'esprit humain.
Il me suffira ici
de poser en principe ce qui doit être reconnu par tous : tous les hommes naissent ignorants des causes
des choses, et tous ont envie de rechercher ce qui leur est utile, ce dont ils ont conscience.
D'où il suit, en premier lieu, que les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs volitions
et de leur appétit, et qu'ils ne pensent pas, même en rêve, aux causes qui les disposent à désirer et à
vouloir, parce qu'ils les ignorent.
Il suit, en second lieu, que les hommes agissent toujours en vue d'une fin, c'est-à-dire en vue de l'utile
qu'ils désirent ; d'où il résulte qu'ils ne cherchent jamais à savoir que les causes finales des choses une
fois achevées et que, dès qu'ils en ont connaissance, ils trouvent le repos, car alors ils n'ont plus aucune
raison de douter.
S'ils ne peuvent avoir connaissance de ces causes par autrui, il ne leur reste qu'à se
retourner vers eux-mêmes et à réfléchir aux fins qui les déterminent d'habitude à des actions semblables, et à juger ainsi nécessairement,
d'après leur naturel propre, celui d'autrui.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Nature: ensemble de la réalité.
Elle est soumise à des lois déterminées, elle ne comporte aucune finalité et elle est infinie.
Totalement
autonome et unique, elle comporte une infinité d’aspects différents dont deux nous sont connus parce qu’ils nous constituent directement ce
sont la Pensée et l’Étendue, Attributs de la substance, qui est Dieu, c’est-à-dire cette Nature même.
Utile (propre): objet du Désir correspondant réellement à ce Désir, et donc à l’essence de l’individu qui le poursuit.
Il est donc spécifique et
produit un réel accroissement d’être, cohérent et permanent.
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est
pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Esprit: idée du corps constituant « l’esprit humain ».
C’est donc un mode fini de l’Attribut Pensée («Âme»).
Dieu: nom donné par Spinoza à la substance infinie (Être) en tant qu’elle est constituée par un nombre infini d’attributs infinis.
Dieu est
donc la Nature elle-même.
Ce terme (Dieu) est équivalent au terme vérité.
Conatus: l'effort par lequel chaque chose tend à persévérer dans son être.
Il est donc la puissance d’exister (vim existendi) et l’essence
même du Désir.
Désir: mouvement concret fondé sur le conatus et par lequel l’individu poursuit des biens qui accroîtront sa puissance d’exister, c’est-àdire sa perfection et son être.
Un tel accroissement produit la Joie (et ses dérivés) ; sa réduction produit au contraire la Tristesse (et ses
dérivés).
Le Désir est l’essence de l’homme.
Cause: tout événement produit un effet et est donc une cause, en même temps qu'il a une cause.
Mais les séries causales n’agissent que
dans le cadre de l'Attribut auquel elles appartiennent : les idées produisent des idées et agissent sur des idées (Attribut Pensée), les corps
et leurs modifications produisent des modifications et agissent sur les corps (Attribut Étendue).
Appétit (appetitus): identique au Désir (cupiditas) et donc à l’effort pour exister (conatus).
Une intention, chez celui qui parle, fait préférer
Appétit (s’il songe au corps) ou Désir (s’il songe au corps et à l’esprit).
Âme (anima): chez Descartes, principe substantiel lié au corps et formé de l’entendement et de la volonté; elle est indépendante du corps
et immortelle.
Spinoza n’emploie pas ce terme pour désigner l’individu humain singulier : il utilise le terme Mens (esprit).
Action adéquate: action découlant de l’essence de l’individu, c’est-à-dire de son Désir et de sa causalité interne.
Elle exprime l’autonomie
et par conséquent la liberté véritable de cet individu.
Pour Spinoza, l'univers (satura/ est compréhensible.
Ce que produit a nature obéit au principe de causalité.
Il n'y a pas de distinction à
faire entre Dieu et a nature (Deus sive natura).
l'homme, comme mode de a nature, est une partie de celle-ci.
De ce fait, a nature ne fait
rien pour l'homme, il n'y a pas de finalité en elle.
Pourtant, les hommes s'imaginent que les choses sont organisées à leur image.
C'est
cette idée que Spinoza, dans l'appendice du livre I de l'Ethique, remet clairement en cause.
Problématique
Les hommes se font une fausse représentation de la nature.
Ceci s'explique par le fait qu'ils ne disposent pas naturellement d'une
connaissance adéquate.
Pour y parvenir, ils doivent dépasser la simple conscience de leurs actes, car ils croient que les buts qu'ils
poursuivent ordinairement sont un modèle auquel obéit la nature.
Enjeux
Tant que les hommes sont dans l'ignorance de ce qu'est la nature, ils croient qu'elle obéit à une finalité.
Il leur est dans ces conditions
impossible d'accéder à une tranquillité de l'esprit.
La philosophie spinoziste est en fait une recherche de la connaissance adéquate de la
nature en vue de permettre à l'homme de se libérer de ses illusions et de ses passions.
La liberté n'est pas un état, elle est le fruit d'une
libération..
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