Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
Il nous reste à montrer, en conclusion, qu’entre la foi et la théologie d’une part,
la philosophie de l’autre, il n’y a aucun rapport, aucune affinité.
Pour ne point
savoir cela, il faudrait tout ignorer du but et du principe de ces deux disciplines,
radicalement incompatibles.
La philosophie ne se propose que la vérité, et la foi,
comme nous l’avons abondamment démontré, que l’obéissance, la ferveur de la
conduite.
En outre, la philosophie a pour principes des notions généralement
valables et elle doit se fonder exclusivement sur la nature ; la foi a pour
principes l’histoire, la philologie, et elle doit exclusivement se fonder sur
l’Écriture, la révélation.
[…] La foi laisse donc à chacun la liberté totale de
philosopher.
Au point que chacun peut, sans crime, penser ce qu’il veut sur
n’importe quelle question dogmatique.
Elle ne condamne, comme hérétiques et
schismatiques, que les individus professant des croyances susceptibles de
répandre parmi leurs semblables l’insoumission, la haine , les querelles et la
colère.
Elle considère comme croyants, au contraire, les hommes qui prêchent
autour d’eux la justice et la charité, dans la mesure où leur raison et leurs
aptitudes le leur rendent possible.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Vérité: ce n’est pas seulement l’accord de l’idée et de son objet extérieur: c’est aussi et surtout l’accord de cette
idée avec elle-même, et l’évidence intérieure et immédiate d’une idée adéquate (index sui).
Les concepts «Dieu» et «
vérité» sont identiques.
Liberté: elle n’est pas un acte de la volonté qui n’est qu’une faculté (entité abstraite, en fait inexistante).
La liberté
concrète est l’autonomie d’un individu, atteinte lorsque ses actions ne résultent que de causes internes (celles qui
résultent de l’essence même de cet individu, c’est-à-dire de son Désir).
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
La question
« Quelles doivent être les relations entre la philosophie et la théologie ? » Un célèbre adage du Moyen Age définit la
philosophie comme la servante de la théologie.
Celle-ci énonce les vérités qu'il faut croire, celle-là travaille à mieux les
comprendre à la lumière de la raison naturelle.
Or, une telle conception menace évidemment l'indépendance du
philosophe, et autorise même sa condamnation par les institutions
ecclésiastiques si d'aventure il en arrive à des conclusions jugées « téméraires ».
On peut voir aisément qu'un problème
analogue se pose à propos du pouvoir politique.
L'État n'est-il que le « bras séculier » de l'Église, selon l'expression
consacrée, ce qui veut dire qu'il serait au service de la propagation de la foi, ou bien doit-il être indépendant ? On
reconnaîtra dans ces deux questions qui n'en font qu'une tout l'enjeu de la notion de laïcité.
Défendre l'idéal de laïcité,
c'est exiger que la religion reste confinée dans son domaine propre, et n'intervienne en aucune façon dans les
questions qui ne sont pas directement de nature religieuse.
Il faut cependant en arriver à délimiter ce domaine réservé
qui serait celui de la religion.
C'est ce à quoi s'attache Spinoza, dans le but de fonder philosophiquement la tolérance.
Pour mener sa réflexion, il ne s'appuie pas sur la réalité effective des relations entre pouvoir civil ou philosophie d'une
part et institution religieuse ou théologie d'autre part, car celle-ci serait plutôt à changer.
Il lui faut donc raisonner a
priori, à partir des définitions respectives de la philosophie et de la théologie.
Pour comprendre le texte
L'analyse de ce que sont par définition la philosophie et la théologie révèle un paradoxe : il n'y a entre elles « aucun
rapport, aucune affinité ».
Cette affirmation de Spinoza peut même sembler insoutenable : qu'on s'en réjouisse ou
qu'on s'en afflige, il paraît incontestable que la réflexion théologique se soucie de dire le vrai, même si l'on pose que ses
points de départ sont illusoires.
Il nous faudra donc y revenir.
Mais pour l'instant, entrons d'abord dans la
démonstration de notre auteur, en prenant acte de ce que les conclusions qu'il promet renversent totalement la
perspective apparemment « naturelle ».
Et pourtant, ce paradoxe est une évidence pour qui considère simplement le « but » et le « principe » de ces deux
disciplines.
Nous nous trouvons donc dans une situation où l'étonnement s'inverse, situation caractéristique de la levée
des préjugés.
En effet, il arrive fréquemment que la vérité présente un aspect totalement étonnant, voire incroyable, à
celui qui est nourri de préjugés, alors qu'elle devient ce qu'il y a de plus évident et de plus normal, au point que c'est
son contraire cette fois qui serait incroyable, chez celui qui en a la science.
Qu'est-ce donc que ne comprend pas celui qui croit que philosophie et théologie ont à collaborer ? Tout d'abord, que «
la philosophie ne se propose que la vérité, et la foi (...) que l'obéissance, la ferveur de la conduite ».
Ces deux
affirmations ne sont pas également convaincantes.
La première sera sans doute admise par tous, même par ceux qui
penseraient que la philosophie n'atteint jamais son but.
Elle n'est pas sans conséquence, car affirmer que la philosophie
devrait tenir compte de la théologie impliquerait alors que cette dernière ait une voie d'accès particulière à la vérité
susceptible d'informer le philosophe et de nourrir sa réflexion.
Tant que ceci n'est pas établi, il devrait s'ensuivre que le
philosophe doit être indépendant, et ne reconnaître nul droit supérieur à ceux de la vérité..
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