Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme
libre celui qui agit selon son bon plaisir.
Cela cependant n’est pas
absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de
rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage et la
liberté n’est qu’à celui qui, de son entier consentement, vit sous la seule
conduite de la Raison.
Quant à l’action par commandement, c’est à dire à
l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait
cependant pas sur le champ un esclave, c’est la raison déterminante de
l’action qui le fait ; si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent luimême, mais de celui qui commande, alors l’agent est un esclave ; inutile
à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour
lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui
commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un
esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet.
Ainsi, cet État est le
plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État,
chacun, dès qu’il le veut, peut être libre, c’est à dire vivre, de son entier
consentement sous la conduite de la Raison.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Utile (propre): objet du Désir correspondant réellement à ce Désir, et donc à
l’essence de l’individu qui le poursuit.
Il est donc spécifique et produit un réel accroissement d’être, cohérent et
permanent.
Liberté: elle n’est pas un acte de la volonté qui n’est qu’une faculté (entité abstraite, en fait inexistante).
La liberté
concrète est l’autonomie d’un individu, atteinte lorsque ses actions ne résultent que de causes internes (celles qui
résultent de l’essence même de cet individu, c’est-à-dire de son Désir).
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Droit: possibilité légitime d’accomplir une action.
La puissance de fait des individus définit et légitime leur droit de
nature (ou droit naturel), tandis que leur puissance délimitée réciproquement, par les individus contractant un Pacte
social, définit le droit civil.
Action adéquate: action découlant de l’essence de l’individu, c’est-à-dire de son Désir et de sa causalité interne.
Elle exprime l’autonomie et par conséquent la liberté véritable de cet individu.
QUESTIONNEMENT INDICATIF
• Que signifie « cela n'est pas absolument vrai »? Cela signifie-t-il que c'est totalement faux ou que c'est vrai à une
certaine condition, relativement à une condition ?
• A quelle(s) condition(s) peut-on être « vraiment » libre selon Spinoza ?
• En quoi peut-on dire, selon Spinoza lui-même, que l'obéissance « ôte bien d'une certaine manière la liberté »?
• En quoi « c'est la raison de l'action »...
qui « rend immédiatement esclave » ?
• Quel est le sens de « sujet » ici ?
• Pourquoi, selon Spinoza, chacun dans l'État « qui se soumet à la droite raison » « peut y être libre »?
Y est-il nécessairement « libre »?
• Pourquoi, finalement, « l'État le plus libre est celui qui se soumet à la droite raison »?
• Que pensez-vous de l'argumentation et de la thèse de Spinoza ? Sur quoi est-elle fondée, en dernière analyse ?
• Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte ?
— En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique ?
Dans un texte consacré aux thèmes de l'esclavage et de la liberté, Spinoza se demande si les définitions communes
de ces deux réalités sont pertinentes, c'est-à-dire si l'esclavage consiste dans l'obéissance et la liberté dans le bon
plaisir.
A travers cette question, il soulève deux problèmes conjoints : l'indépendance suffit-elle pour se dire libre,
puisqu'on peut devenir l'esclave de ses plaisirs ? La soumission sociale fait-elle esclave, puisqu'il ne semble pas que
tous ceux qui obéissent soient déclarés tels ? Ces deux problèmes se ramenant ainsi à un seul : y a-t-il des
soumissions légitimes? En prenant en compte à la fois les mobiles de l'action d'un point de vue psychologique et les fins
de cette action du point de vue de ces bénéficiaires, Spinoza va s'opposer à l'opinion en soutenant qu’il existe des
soumissions légitimes parce qu’elles rendent libres, lorsque c’est à la Raison que l’on se soumet, ou parce qu’elles sont
utiles à ceux qui sont soumis, et ce, en critiquant successivement les définitions de l'homme libre et de l'esclave
donnée par l'opinion.
Une fois cette double thèse expliquée, nous tâcherons d’en éprouver la pertinence..
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