Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
Les philosophes conçoivent les affections(1) qui se livrent bataille en nous, comme
des vices dans lesquels les hommes tombent par leur faute ; c'est pourquoi ils ont
accoutumé de les tourner en dérision, de les déplorer, de les réprimander, ou, quand
ils veulent paraître plus moraux, de les détester.
Ils croient ainsi agir divinement et
s'élever au faîte de la sagesse, prodiguant toute sorte de louanges à une nature
humaine qui n'existe nulle part, et flétrissant par leurs discours celle qui existe
réellement.
Ils conçoivent les hommes en effet, non tels qu'ils sont, mais tels qu'euxmêmes voudraient qu'ils fussent : de là cette conséquence, que la plupart, (...) n'ont
jamais eu en politique de vues qui puissent être mises en pratique, la politique, telle
qu'ils la conçoivent, devant être tenue pour une chimère, ou comme convenant soit
au pays d'Utopie, soit à l'âge d'or, c'est-à-dire à un temps où nulle institution n'était
nécessaire.
Entre toutes les sciences, donc, qui ont une application, c'est la politique
où la théorie passe pour différer le plus de la pratique, et il n'est pas d'hommes qu'on
juge moins propres à gouverner l'État, que les théoriciens, c'est-à-dire les
philosophes.
(1).
Passions.
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Sagesse: attitude sereine de l’homme libre, atteinte par la connaissance
philosophique.
Elle est caractérisée par le sentiment d’être, et d’être éternel, cette
conscience d’être étant permanente et active.
Elle est donc joie.
Affect: l'affect (affectus, qu'on traduit parfois par «sentiment») est une idée confuse par laquelle l'âme affirme une force
d'exister de son corps, ou d'une de ses parties, plus ou moins grande qu'auparavant.
Il est à rapprocher et à distinguer de
l'affection (affectio), qui n'est qu'une modification de la substance, ou de tel de ses modes.
En pratique, l'affection se dit
plutôt du corps; et l'affect, de l'âme.
Les trois affects fondamentaux sont le désir, la joie et la tristesse.
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un
homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
DIRECTIONS DE RECHERCHE • Que signifie ici « affections » ? • Pourquoi les « philosophes » croient-ils » ainsi agir
divinement et s'élever au faîte de la sagesse ? Que signifient, dans le texte, ? • Pourquoi, pour Spinoza, ont-ils tort de «
croire » cela ? • Spinoza pense-t-il que « la nature humaine » n'existe pas ? • Qu'est-ce qu'écrire « une Éthique » ? •
Pourquoi, pour Spinoza, la plupart des philosophes ont-ils écrit une «Satire» aux lieux et place d'«une Éthique» ? • Sont-ce
les philosophes dont parle Spinoza qui pensent que « la Politique » doit être « tenue pour une Chimère, etc..
» ou est-ce
Spinoza qui pense que « la Politique telle qu'ils la conçoivent » doit être tenue pour une Chimère, etc.
? • Qu'est-ce qu'une «
Chimère », le « pays d'Utopie », l'« âge d'or » ? • En raison de quoi peut-on dire que Y « âge d'or » « est» « un temps où
nulle institution n'était nécessaire » ? • Y a-t-il un lien de cause à effet, pour Spinoza, entre la façon dont « les philosophes
conçoivent les affections » et leur incapacité à écrire une « Éthique », à concevoir « en politique des vues qui puissent être
mises en pratique » ? En cas de réponse positive, comment rendre compte de « la plupart » ? • Spinoza est-il « un
philosophe » ? • L'intérêt philosophique du texte vient-il moins de la thématique du texte que de la façon de poser la
thématique ?
Analyse de la structure du texte:
A) "Les philosophes conçoivent les affections(1) qui se livrent bataille en nous, comme des vices dans lesquels les hommes
tombent par leur faute ; c'est pourquoi ils ont accoutumé de les tourner en dérision, de les déplorer, de les réprimander, ou,
quand ils veulent paraître plus moraux, de les détester.
Ils croient ainsi agir divinement et s'élever au faîte de la sagesse,
prodiguant toute sorte de louanges à une nature humaine qui n'existe nulle part, et flétrissant par leurs discours celle qui
existe réellement.
Ils conçoivent les hommes en effet, non tels qu'ils sont, mais tels qu'eux-mêmes voudraient qu'ils fussent":
les philosophes ont un point de vue non réaliste: nos passions ne sont pas considérées par eux comme des choses
naturelles, mais comme des vices moraux.
B) "de là cette conséquence, que la plupart, (...) n'ont jamais eu en politique de vues qui puissent être mises en pratique, la
politique, telle qu'ils la conçoivent, devant être tenue pour une chimère, ou comme convenant soit au pays d'Utopie, soit à
l'âge d'or, c'est-à-dire à un temps où nulle institution n'était nécessaire": Les philosophes, étant théoriciens, sont jugés
impropres à faire de la politique et à gouverner.
C) "Entre toutes les sciences, donc, qui ont une application, c'est la politique où la théorie passe pour différer le plus de la
pratique, et il n'est pas d'hommes qu'on juge moins propres à gouverner l'État, que les théoriciens, c'est-à-dire les
philosophes": Les philosophes, étant théoriciens, sont jugés impropres à faire de la politique et à gouverner l'État.
Idée générale du texte: Le point de vue des philosophes versant soit dans la dénonciations moralisante, soit dans l'utopie,
ne saurait s'appliquer au champ politique.
Problématique: La philosophie n'est-elle pas trop théorique et abstraite ? Ne tend-elle pas à considérer le réel sous un
angle non réaliste et beaucoup trop utopique ? La théorie politique doit-elle ou non être utopique ?
Enjeu du texte: Il tend à nous assumer un gain philosophique: un réalisme philosophique débouchant sur un réalisme
politique.
Dès lors, vous serez conduit à souligner le grand intérêt philosophique d'un texte qui étend au champ politique
l'analyse des mécanismes passionnels de l'Éthique..
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