Bachelard: La science ne progresse que par obstacles et ruptures
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PRESENTATION DE "LA FORMATION DE L'ESPRIT SCIENTIFIQUE" DE BACHELARD
Gaston Bachelard (1884-1962), de formation scientifique et philosophique, a profondément renouvelé
l'approche de l'histoire des sciences.
La révolution introduite en physique par la théorie de la relativité
l'a conduit à critiquer la conception linéaire du progrès scientifique : celui-ci suppose au contraire des
ruptures épistémologiques (changement de méthode et de concepts), résultant d'une victoire de
l'esprit sur ses propres blocages.
C'est précisément autour de la notion d'« obstacle épistémologique
» que s'articule La Formation de l'esprit scientifique.
L'auteur entreprend une « psychanalyse de la
connaissance objective », pour rendre à la pensée scientifique son pouvoir d'invention.
Quelles sont les conditions psychologiques de la formation de l'esprit scientifique ? La question, qui
concerne à la fois l'histoire des sciences et la pédagogie, doit être posée en termes d'obstacles :
quelles sont les différentes entraves à la constitution de la science et comment l'esprit peut-il les
surmonter ? Cela va permettre de distinguer la démarche propre à l'esprit scientifique de celle de
l'esprit préscientifique.
Bachelard: La science ne progresse que par obstacles et ruptures
Si l'on doit à Descartes une philosophie de la conscience qui fonde la vérité dans le sujet pensant,
ainsi qu'une méthode, la démarche scientifique moderne n'est pas cartésienne.
L'analyse du morceau
de cire montre le caractère fugace des propriétés matérielles.
Rien de ce qui relève de la sensation
immédiate ou de l'impression d'ensemble ne demeure permanent.
Tout ce que l'entendement prétend connaître du morceau de cire, il ne
fait que le tirer de luimême, sans aucun apport de l'expérience : comme n'importe quel autre corps matériel, le morceau de cire est une portion d'étendue.
Cette étendue est proprement intelligible car elle ne se définit pas même par une grandeur ou une figure déterminée.
Descartes refuse
l'expérience comme base de la connaissance.
Or la connaissance scientifique procède par expériences progressives, classe les aspects de
la diversité, immobilise afin de les distinguer les variables du phénomène.
Dans cette analyse du morceau de cire, Descartes ne fait pas
preuve d'esprit scientifique, car il commence par douter de tout, n'ayant pu immédiatement saisir la simplicité et la constance de la chose
observée.
La pensée scientifique ne se coupe jamais de l'expérience, elle s'unit à elle pour découper l'objet en sa diversité et en ses
multiples caractères - c'est le rôle de l'expérimentation - et elle reconstruit ensuite l'objet dans son caractère entier et organique pour
restituer la totalité du phénomène.
La science ne connaît pas sur la base immédiate de l'expérience, elle connaît en additionnant à
l'expérience un grand nombre de techniques, d'hypothèses, de constructions mathématiques.
Ce qui est fugace et changeant, ce sont les
circonstances décousues de l'expérience, et non pas ses qualités matérielles qui peuvent être, par un travail de l'esprit, exprimées en des
relations coordonnées.
La science ne progresse que par obstacles et ruptures
La connaissance scientifique ne fait des progrès qu'à l'aide des obstacles auxquels elle se heurte.
Ces obstacles ne sont pas simplement
issus de la complexité des phénomènes, ni imputables à la faiblesse de nos sens et de notre esprit, ils sont inhérents à l'acte même de
connaître.
"La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres." Aucune connaissance ne se donne de
manière immédiate et pleine mais se révèle après coup.
Il faut au préalable mettre en oeuvre un appareil de raisons pour que
l'expérience puisse dévoiler quelque chose de clair et de certain.
Toute connaissance vraie s'établit ainsi par correction et réfutation de
connaissances préalables erronées.
La vérité ne s'atteint que par la réfutation d'erreurs, et l'histoire de la science en son progrès est une
longue et patiente correction d'erreurs.
La vérité de la science consiste dans un véritable repentir intellectuel.
Connaître, c'est connaître
contre une connaissance antérieure.
Nulle pensée scientifique ne démarre d'un point zéro ou d'une table rase des connaissances
antérieures.
Une conception polémique de la science
La science ne prolonge pas la connaissance commune — elle n'en est ni la capitalisation ni la systématisation, mais rompt avec elle.
Elle
suppose une révolution spirituelle par laquelle l'esprit accepte de « reconstruire tout son savoir » (I), en comprenant qu'il n'y a « pas de
vérité sans erreur rectifiée » (XII, I).
Pour devenir scientifique, il doit lutter contre ses tendances spontanées, remettre en question ses
intuitions, prendre conscience de ses préjugés et de ses illusions.
La formation de l'esprit scientifique passe donc par la victoire sur les «
obstacles épistémologiques » qui bloquent la pensée, en fournissant des réponses séduisantes à des questions qu'elle n'a pas fait l'effort
de préciser.
La science se construit contre l'observation première
Le premier obstacle au progrès de la science, c'est l'illusion du savoir immédiat : l'esprit préscientifique ou « concret » croit qu'il lui suffit
d'observer et de décrire les faits pour les connaître.
Il ignore alors que ce qu'il prend pour l'expérience directe et objective de la réalité
n'est en fait qu'une projection subjective de son expérience intime, une interprétation issue de ses passions et de ses désirs inconscients.
La science exige donc que l'esprit s'arrache aux évidences premières et comprenne que son objet ne lui est pas donné dans l'intuition
mais doit être méthodiquement construit à partir de la position d'un problème : en science, « rien ne va de soi.
Rien n'est donné.
'l'out est
construit.
» (I, I)..
»
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