Bachelard: La discontinuité du temps

« Le temps n'est donc réel que dans l'instant.

Seul le présent, objectivement, "est", et se donne en équilibre sur deux néants.

Si le temps renaît pour se faire avenir, l'instant présent doit mourir au préalable.

Le temps n'est donc pas la continuité fluide du passage d'un instant à un autre, une durée coulante, mais un rythme pulsatoire et biologique.

Le propre de chaque instant est de se donner comme seul et isolé des autres, lorsque tous les instants passés sont morts et que le futur gît encore dans le non-être.

L'instant, dans sa force vitale créatrice, nous isole radicalement des autres et de nous-mêmes : il nous coupe du passé.

Dans son intensité, chaque instant coupe la continuité de la durée. L'instant scande par des moments remarquables une durée monotone où nous ne saisissons pas réellement le temps, mais où nous l'oublions plutôt.

Une vie se fait ainsi d'instants où adviennent brutalement des éléments nouveaux, la force de l'instant est celle d'une vitalité première, d'une jeunesse qui rompt l'ordre existant en le renouvellant.

C'est en supprimant le passé que tous les instants renouvellent la durée.

La vie se définit ainsi par une discontinuité parfois tragique, où la mort apparaît la condition de la vie.. »