Avons-nous des responsabilités envers des générations futures ?
Extrait du document
«
Que ce soit moralement ou juridiquement, chacun doit répondre de ses actes devant autrui, par exemple pour les
torts qu'il aurait pu lui causer.
La responsabilité suppose donc qu'existe un autre, qui ait des droits et qui puisse les
défendre.
Mais qu'en est-il de la responsabilité devant des personnes virtuelles ? Y en a-t-il seulement une ? La
question se pose notamment lorsqu'il s'agit de se demander si les hommes peuvent être responsables devant les
générations futures.
Elle se pose parce que les hommes sont aujourd'hui, pour la première fois de leur histoire, en mesure d'endommager
ou de modifier gravement la vie sur terre, rendant problématique l'existence et les conditions de vie des hommes du
futur.
Dans ces conditions, doit-on penser qu'une nouvelle responsabilité nous lie réellement aux générations à venir
? Ou bien, doit-on penser cette responsabilité comme une fiction utile à nous faire prendre conscience de la
nécessité et de l'urgence à limiter l'action des hommes ici et maintenant ?
Partie I.
Une responsabilité non réciproque.
Nous avons tous en mémoire les désastres écologiques ou nucléaires modernes : marées noires, accident de la
centrale de Tchernobyl, endommagement de la couche d'ozone sous l'effet de la pollution, pour n'en citer que
quelques-uns.
Ces quelques exemples de catastrophes technologiques suffisent à montrer leurs principales
caractéristiques : leur ampleur est sans précédent, tant en ce qui concerne leur puissance dévastatrice que leurs
répercussions sur la planète entière.
Si l'on ajoute à cela la maîtrise de plus en plus grande de la vie humaine, le
recul de la mortalité et la possibilité d'intervenir sur le code génétique de l'espèce humaine, on comprendra que
l'action actuelle de l'homme engage son futur autant que son présent.
Un philosophe contemporain, Hans Jonas, tente de prendre toute la mesure de ces phénomènes.
Selon lui, ils
justifient la constitution d'une éthique inédite, qui prenne en compte les conséquences de l'activité humaine sur
terre.
Il fait alors la théorie de ce qu'il appelle «le principe responsabilité », et qu'il oppose à toutes les éthiques
précédentes.
Ces dernières avaient pour tâche de définir la conduite juste dans les relations inter-humaines, sans
jamais avoir à prendre en considération la condition globale de la vie humaine, ni l'avenir lointain, ni l'existence de
l'espèce elle-même, qui semblait acquise.
Le nouvel impératif, celui du principe responsabilité, «invoque une autre
cohérence: non celle de l'acte en accord avec lui-même, mais celle de ses effets ultimes en accord avec la survie
de l'activité humaine dans l'avenir».
L'éthique traditionnelle nous commande, par exemple, d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, ou encore de faire
aux autres ce qu'on souhaite qu'ils nous fassent.
Ces impératifs, et d'autres, constituent une éthique de la
réciprocité dans laquelle soi-même et l'autre partageons un présent commun.
Au contraire, le nouvel impératif,
adapté à la puissance technologique de l'activité moderne de l'homme, tient dans ces commandements : «Agis de
façon que les effets de ton action soient
compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre»; ou encore : «Agis de façon que les
effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie.
» (Le Principe
Responsabilité, chapitre I).
On le voit, le principe responsabilité pose à la base même de la nouvelle éthique le principe d'une responsabilité des
hommes à l'égard des générations humaines futures.
Pour bien comprendre la nature de cette responsabilité inédite,
il faut, avec l'auteur, distinguer la responsabilité naturelle, et la responsabilité contractuelle.
La première, comme
son nom l'indique, est instituée par la nature, et l'exemple par excellence en est la responsabilité des parents à
l'égard des enfants qu'ils ont engendrés.
Au contraire, la responsabilité instituée par contrat est artificielle.
La
différence essentielle avec la première consiste en ce que le caractère obligatoire de la responsabilité ne tient pas à
la cause elle-même, mais simplement à un accord, comme peut l'être un contrat de travail, fixant à chacun ses
devoirs et ses droits.
Or, aucun contrat ne m'oblige à veiller à maintenir le nouveau-né en vie; le caractère
obligatoire de la responsabilité que j'ai, en tant que père ou mère, à son égard trouve sa source dans la cause ellemême : je dois vouloir que mon enfant vive.
Certes, «...
l'obligation à l'égard des enfants et l'obligation à l'égard des générations ultérieures, ce n'est pas la
même chose», pense Jonas.
L'enfant, en tant qu'il existe, a des droits à revendiquer.
Les générations futures, du
fait même qu'elles n'existent pas actuellement, n'ont aucun droit à faire valoir.
Par conséquent, la responsabilité que
j'ai à leur égard ne relève pas du devoir, en tant qu'il est toujours l'envers d'un droit.
Il n'existe pas, à proprement
parler, de droits que l'humanité future pourrait faire valoir et revendiquer devant les hommes d'aujourd'hui.
Cependant, comme pour l'enfant, la responsabilité vis-à-vis des générations futures se fonde aussi sur la cause ellemême.
Nous avons, nous, hommes d'aujourd'hui, la responsabilité sans réciproque de l'humanité future.
«L 'avenir de l'humanité est la première obligation du comportement collectif humain à l'âge de la civilisation
technique devenue "toute -puissante"...
»
Cette obligation s'énonce dans deux principes : le premier impératif, catégorique, sans condition, «commande
simplement qu'il y ait des hommes », même si les générations futures n'ont rien qui ressemble à un quelconque droit
à la vie.
Le second dit que, «Si dans l'avenir il y a des hommes...
alors valent telles obligations à leur égard que
nous devons observer par anticipation ».
Par exemple, nous avons l'obligation de veiller à ce que les cultures
agricoles intensives actuelles n'appauvrissent pas les sols de demain, que nos déboisements ne compromettent pas
les ressources en oxygène, que les pollutions industrielles ne réchauffent pas trop le climat sous l'action de «l'effet
de serre», etc.
Ainsi se monnaie en mesures pratiques et réalisables qu'il revient aux «responsables» politiques de.
»
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