Autrui est-il source de verité ?
Extrait du document
«
Autrui :
C'est mon alter ego.
La vérité peut-être définie comme la conformité de l'idée que nous nous faisons des choses à la réalité de ces choses.
Mais le poids
de cette notion dans toute l'histoire de la philosophie et les multiples controverses dont elle fut l'objet, nous impose de souligner
l'aspect provisoire de cette définition.
Cet énoncé interroge à la fois notre rapport à autrui et notre rapport à la vérité.
Nous l'aborderons par le problème de la relation à
autrui afin d'éviter de faire le devoir classique sur la connaissance et le statut de la vérité.
I.
L'expérience primordiale est celle de la conscience immanente
Avant même que faire l'expérience d'autrui (qui reste d'ailleurs à établir, rien n'est moins sûr que l'existence d'autrui !), je fais
l'expérience de ma propre activité de conscience : c'est la découverte du sujet cartésien qui es en même temps l'expérience de la
solitude radicale.
Je peux tout révoquer en doute, le monde et autrui, mais la seule chose dont je ne peux douter, c'est le fait même
que je suis en train de douter, donc de penser, donc de ma propre existence.
C'est l'unique certitude et je n'ai pas eu besoin d'autrui
pour l'acquérir : je suis la source de cette vérité fondatrice.
Il faut même souligner que l'existence d'autrui est problématique : autrui
pourrait n'être que le spectacle d'une ombre sur les parois d'une caverne.
Mais il est possible de sortir de cette impasse en raisonnant
par analogie : à partir de mes propres états de conscience, je peux émettre des hypothèses sur la possibilité de la conscience des
autres et ce qui s'y passe.
C'est donc une solution de type intellectualiste : c'est le raisonnement qui effectue la démonstration d'autrui.
Il parait donc difficile de dire qu'autrui est source de vérité étant donné que c'est moi la prémisse de la démonstration.
Et qu'autrui
comme vérité démontré ne reste que le résultat d'une opération de l'esprit par l'analogie : il n'est toujours pas l'objet d'une
expérience.
Les logiciens eux-mêmes savent que le raisonnement par analogie ne mène qu'à des conclusions probables.
Husserl a
montré qu'à défaut d'être l'objet d'une connaissance exacte, autrui est une certitude originaire, antérieure à toute connaissance.
Sinon,
nous ne nous serions même pas interrogés sur l'existence même d'autrui.
Notre conscience reconnait l'existence d'autres consciences
dans un sentiment originaire de coexistence.
L'intersubjectivité, c'est donc la communauté originaire des consciences au sein de
laquelle chacun se constitue comme sujet vis-à-vis des autres.
S'il y a une intersubjectivité, alors il est possible qu'autrui puisse être la
source d'expériences.
II.
Le rapport à l'autre est d'abord l'expérience du conflit
Hegel a montré que ce n'est effectivement pas dans la solitude du cogito que l'existence d'autrui
peut m'être révélée, mais à travers l'expérience du conflit.
C'est lorsqu'autrui m'a reconnu
comme une conscience autonome que je peux dire « je » et cette reconnaissance passe par
une lutte première des consciences.
C'est dans La Phénoménologie de l'esprit que Hegel a
raconté le développement progressif de l'esprit.
De la certitude sensible immédiate (que
j'acquiers seul), jusqu'au savoir absolu (la réalisation de l'unité de l'objet et du sujet).
Comment
autrui pourrait être une source de vérité si notre rapport primitif est un rapport de force ? Il faut
en fait dire qu'autrui est la source de l'expérience de l'altérité, qui est une structure ontologique
et non une vérité au sens platonicien.
Ce rapport de force est ce qui me fait comprendre
qu'autrui est une personne, autonome, irréductible à moi-même.
Sartre prolonge la perspective
husserlienne en montrant que l'homme est fondamentalement un être-pour-autrui.
L'autre est la
condition et le moyen de ma propre reconnaissance : il est le médiateur entre moi et moi-même
par lequel je peux sortir de l'aporie de la solitude cartésienne.
Je ne me connais jamais qu'à
travers le regard que l'autre pose sur moi.
Je me constitue alors comme sujet, je me réifie aussi
un peu, phénomène illustré par l'expérience emblématique de la honte.
Grâce à autrui, je peux
être plus qu'une simple consciente immanente posée dans le monde : je suis conscience de
quelque chose, je me projette dans le monde, je me constitue en tant qu'identité à l'épreuve de
l'altérité.
III.
Autrui comme interlocuteur sur le chemin de la philosophie
Est-ce que l'on peut réduire notre relation à autrui à un rapport d forces ? Que fait-on de la communication au sein de laquelle les
esprits peuvent parfois s'accorder ? Sinon comment pourrions-nous organiser la cité ? Platon montre que l'entretient contradictoire est
une bonne façon d'accorder les esprits, le dialogue permet de vivre en bonne intelligence.
Socrate ne prétend être source de vérité
pour autrui : il ne transmet pas de savoir déjà constitué.
Il sait qu'il ne sait rien.
C'est pourquoi il a besoin d'interroger pour réfléchir
sur les valeurs.
L'interrogation est alors élevée au rang d'art : a force de poser des questions, ceux qui croyaient détenir la vérité sont
obligés de céder et d'admettre eux aussi qu'ils ne savent pas.
C'est la maïeutique : l'art de faire accoucher les esprits.
Autrui est donc
absolument nécessaire pour falsifier nos certitudes, au sens popperien du terme : c'est lorsque nos certitudes sont falsifiables qu'elles
sont perfectibles, rectifiables et donc proche de ce que l'on entend par science.
Un savoir qu'on ne peut réfuter est suspect, et c'est
plus une idéologie qu'une véritable science.
Autrui n'est donc qu'une source indirecte de vérité : il ne nous la donne pas, il nous montre
ce qui est assurément faux.
Autrui est donc en tout cas absolument nécessaire.
Il faut aussi souligner que le dialogue au sein de la cité
ne sert pas à établir la vérité mais le consensus : le consensus c'est l'accord des esprits sur ce qu'il faut faire, non sur ce que sont les
choses.
Les relativistes iront même jusqu'à dire qu'il n'y a aucun fondement essentiel de la connaissance (la vérité en soi), mais
uniquement un consensus possible sur ce que sont les meilleurs fins souhaitables et les procédures les plus efficaces pour un parvenir.
Dès lors autrui apparait comme le partenaire de la concertation.
Autrui peut être l'objet de différentes expériences, la source de différentes expériences, le partenaire de la discussion ou la même le
co-contractant.
Mais il semble difficile de dire qu'il peut être source de vérité car le statut même de la vérité est mis à mal par la
réflexion philosophique depuis plus d'un siècle..
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