Autrui est-il le médiateur indispensable entre moi et moi-même ?
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RECHERCHER UNE PROBLÉMATIQUE
Ce sujet est une affirmation de Sartre dans "L'Etre et le Néant" mise sous une
forme interrogative.
Kant, évoquant l' « insociable sociabilité » de l'homme, renvoyait à une
expérience trop commune : je suis fait pour vivre avec l'autre , j'ai besoin de
lui pour partager le travail, des émotions, le plaisir et la peine, ou même
simplement mon sentiment d'exister.
Mais des faits innombrables prouvent
combien la cohabitation est désespérément difficile : depuis les conflits entre
les individus jusqu'aux guerres entre les peuples, tout montre que si autrui se
révèle être l'allié le plus indispensable, il est aussi mon plus implacable ennemi.
Autrui renvoie à un objet du monde qui est donc autre que moi (un homme
que je rencontre n'est pas moi) mais pas de la même façon dont une chose
ou même un animal sont autres : autrui est en même temps comme moi, il
m'est semblable et je lui ressemble, c'est un homme comme moi, un autre moi
(alter ego).
Cette notion est contradictoire, puisqu'elle signifie en même
temps l'identité et la différence.
Autrui est à la fois semblable à moi et différent de moi, le même et autre que
moi.
Comme moi, il est un être raisonnable, c'est une conscience.
Mais comme
autre, il est « alter ego », cad un autre moi et un autre que moi.
Mais, puis-je
me passer du médiateur qu'est autrui ? Dois-je passer par lui pour me
découvrir et me reconnaître ? La connaissance de soi passe-t-elle par la
reconnaissance de l'autre ? Une conscience isolée des autres aurait-elle
conscience d'elle-même ?
Sous la forme affirmative, c'est la formule textuelle par laquelle Sartre, dans L'Être et le Néant (3e partie, ch.
I, I),
pose que la présence d'autrui est essentielle à la prise de conscience de soi.
Il en fait la démonstration par l'analyse de la honte.
J'ai honte de moi tel que
j'apparais à autrui, par exemple si je suis surpris à faire un geste maladroit ou
vulgaire.
La honte dans sa structure première est honte devant quelqu'un.
Elle est immédiate, non réflexive.
La honte est un frisson immédiat qui me
parcourt de la tête
aux pieds sans préparation discursive.
L'apparition d'autrui déclenche aussitôt
en moi un jugement sur moi-même comme objet, car c'est comme objet
qui j'apparais à autrui.
La honte est, par nature, reconnaissance.
Je reconnais
que je suis comme autrui me voit.
La honte est honte de soi devant autrui ;
ces deux structures sont inséparables.
Ainsi j'ai besoin d'autrui pour saisir à
plein toutes les structures de mon être.
Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire le
moi qui n'est pas moi et que je ne suis pas.
La présence d'autrui explicite le
«Je suis je» et le médiateur, c'est-à-dire l'intermédiaire actif, l'autre
conscience qui s'oppose à ma conscience, c'est l'autre.
Le fait premier est la
pluralité des consciences, qui se réalise sous la forme d'une double et
réciproque relation d'exclusion : je ne suis pas autrui et autrui n'est pas moi.
C'est par le fait même d'être moi que j'exclus l'autre comme l'autre est ce qui
m'exclut en étant soi.
Avec la honte nous sommes en présence d'un de ces exemples-types, qui,
comme nous l'avons dit', font preuve.
La même analyse pourrait être faite,
comme Sartre lui-même le suggère, sur la fierté ou l'orgueil, et ce serait un
bon exercice pour le lecteur de la tenter.
Sur cette médiation entre moi et moi par l'autre, Sartre se reconnaît
tributaire de Hegel, qui a montré, dans la Phénoménologie de l'Esprit, que la lutte pour la reconnaissance doit avoir
pour aboutissement cette certitude : je suis un être pour soi qui n'est pour soi que par un autre.
L'intérêt de la
formule de Sartre, c'est qu'elle pose le problème d'autrui en deçà, en quelque sorte, de la question de la
connaissance de soi et qu'elle en apparaît comme le fondement..
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