Autorité légitime
Publié le 14/12/2024
Extrait du document
«
Dans ses récits de bagne, réunis dans les Carnets de la maison morte, Dostoïevski signale, par
opposition au major, dont le personnage est marqué par la brutalité et par la cruauté, les qualités
humaines qui font que le commandant du bagne se distingue par sa droiture, sa justice et le respect
dont il fait preuve envers les prisonniers.
C’est ainsi une figure de l’autorité digne d’être suivie,
reconnue pour sa moralité et sa compétence, que l’auteur oppose à l’autorité illégitime, laquelle ne
tiendrait à rien si elle n’était pas entérinée par un statut et obéie par la force.
Il apparaît ainsi qu’une
autorité légitime est une autorité qui n’a pas besoin de la contrainte pour susciter l’obligation –
ressentie par d’autres individus – d’obéir à ses injonctions ; mais l’autorité, le pouvoir exercé par un
individu ou un groupe d’individus sur d’autres personnes, tient peut-être moins à des critères de
légitimité qui lui seraient intrinsèques – comme la légalité, la compétence ou encore la moralité –
qu’à la reconnaissance de cette légitimité, exprimée par ceux qui lui obéissent.
Dès lors, s’il faut
bien voir qu’une autorité légitime ne peut pas subsister, comme autorité, si elle n’est pas reconnue
comme telle, il faut également noter que la reconnaissance seule ne suffit peut-être pas à la
formulation d’une autorité légitime.
Pourquoi en effet une instance de pouvoir serait-elle plus
légitime du seul fait qu’elle est reconnue par un plus grand nombre de gens ? Enfin, nous pouvons
faire cette remarque qu’une autorité n’est peut-être légitime que dans la mesure où elle est amenée à
circuler, car toute autorité qui voudrait se pérenniser, tant dans sa forme que dans son contenu,
devrait du même coup avouer son incapacité à présenter les compétences nécessaires pour répondre
à tous les problèmes possibles.
Nous nous demanderons donc par quels critères on peut distinguer,
parmi les autorités possibles, celles qui pourraient être comprises comme légitimes et obéies en
conséquence.
Pour commencer, nous verrons qu’une autorité acquiert une légitimité certaine lorsqu’elle est
suivie, non pas par peur ou par contrainte, mais plutôt lorsqu’elle suscite une obligation qui lui
donne sens et la rend tout à fait acceptable ; ainsi, une autorité ne serait légitime qu’à condition
qu’on lui obéisse volontairement.
Dans un deuxième temps, nous verrons que c’est justement la
reconnaissance de l’autorité et la représentation du pouvoir qui constituent le pouvoir lui-même, ce
qui peut nous amener à penser que l’autorité est légitimée par le sujet en même temps qu’il la
reconnaît, quelle que soit sa nature.
Finalement, on pourrait se dire que toute autorité peut avoir
l’occasion d’être légitime et qu’ainsi, l’autorité légitime n’existe pas comme une chose en soi mais
est amenée à être incarnée de différentes manières selon les situations et les domaines dans lesquels
son exercice est requis.
C’est pourquoi la question de la compétence réelle de l’autorité est peut-être
plus centrale – pour penser sa légitimité – que celle de sa seule reconnaissance.
Tout d’abord, nous pouvons faire cette remarque que les êtres humains ne suivent pas innocemment
n’importe quelle autorité et que celle-ci, pour s’affirmer, doit avoir à la fois une raison d’être et la
capacité de faire ce pour quoi elle existe.
Or, l’autorité apparaît dans un premier temps comme un
pouvoir exercé sur des individus par d’autres qu’eux, et en ce sens elle semble être liée à une
dimension de contrainte, d’usage réglé de la force, qui rend difficile une entreprise théorique de
légitimation de l’autorité.
Néanmoins, on peut remarquer que c’est justement parce qu’elle
représente une forme de contrainte que l’autorité peut-être recherchée.
Que se passerait-il en effet,
s’il n’existait aucune autorité, aucune contrainte pour régler les relations humaines ? Peut-être le
genre humain serait-il plongé dans une condition malheureuse et qui ne serait absolument pas
souhaitable.
C’est cette situation, où il n’existe aucune autorité stable et où tout est affaire de force
et d’arbitraire, que décrit l’anthropologie de Hobbes, formulée dans la première partie du
Léviathan : cet état, que l’auteur nomme « état de nature » et où les êtres humains n’ont pour
encadrer leurs relations aucune loi ni aucune autre autorité que leurs opinions propres et leur
jugement, est défini par Hobbes comme une condition malheureuse où rien de stable ni de sûr ne
peut voir le jour, puisque tout autre que moi a le pouvoir et la légitimité de m’en déposséder s’il
juge cela nécessaire à sa survie.
L’idée du Léviathan est donc de montrer que toute autorité
politique, si tant est qu’elle soit légale et fondée par un contrat – par lequel les hommes acceptent de
sortir de l’état de nature –, est légitime dans la mesure où elle nous tient éloignés de cette condition
malheureuse dans laquelle « la violence et la ruse sont […] les deux vertus cardinales ».
Toutefois, nous pouvons remettre en question cette assimilation de la légitimité à la légalité, en
faisant remarquer le hiatus qu’il existe entre l’une et l’autre.
En effet, si la légalité permet de poser
une mesure commune à tous les membres d’une société de ce qu’on a le droit de faire ou non, la
légitimité de la loi semble toujours problématique, notamment si on considère que c’est la loi qui
s’inspire de ce dont on juge qu’on devrait avoir le droit de le faire, plus que nos jugements moraux,
de la loi elle-même.
Ainsi, l’autorité légitime ne serait pas simplement celle posée et soutenue par la
loi, mais bien plus celle pour laquelle l’obéissance des sujets à cette autorité est affaire de volonté,
et non de contrainte.
On pourrait donc penser à nouveaux frais l’autorité de la loi et affirmer qu’elle
est légitime, non pas pour toute loi, mais du moins pour celle qui incarne la volonté de tous ceux
auxquels elle s’applique.
C’est ce type de définition de la légalité que tente de formuler JeanJacques Rousseau, notamment dans Du contrat social, où l’auteur exprime ainsi l’idée selon
laquelle les sujets d’une nation ne peuvent être libres que s’ils formulent eux-mêmes en un vote la
loi qui doit s’appliquer à tous ; cette loi devient alors l’expression de la volonté générale, qu’il ne
faut pas comprendre comme la somme des volontés particulières, mais comme la volonté de tous,
en tant que chacun, au moment de voter, aurait à considérer l’intérêt général plutôt que son intérêt
particulier.
Ainsi, on comprend pourquoi Rousseau définit la liberté comme « obéissance à la loi
que l’on s’est fixée », et l’obéissance des citoyens à la loi comme une expression de la liberté.
A ce
niveau de notre réflexion, nous pouvons donc considérer l’autorité qui fait l’objet de notre volonté
comme la seule qui soit légitime, en tant qu’elle permet à la fois de conserver la paix et de faire que
tous vivent ensemble le plus librement possible.
Enfin, nous pouvons donc concevoir l’autorité légitime comme issue d’une obligation et pas
simplement d’une contrainte, laquelle peut être pensée comme légale, mais ne peut en aucun cas
acquérir une légitimité, puisque dans son origine même, elle apparaît comme une violence faite aux
individus qui lui sont soumis.
Il faudrait donc comprendre la légitimité de l’autorité comme
essentiellement liée à la façon qu’on les individus d’obéir en toute connaissance de cause à cette
instance de pouvoir.
Mais on peut se demander pourquoi une autorité raisonnable est pensée comme
ce qui permet à chacun de vivre libre et de faire ce qu’il veut ; en quoi la volonté du sujet est-elle un
élément déterminant la légitimité de l’autorité ? Afin de comprendre la volonté comme un critère
essentiel de légitimation de l’autorité, on pourrait définir celle-ci comme étant fondamentalement
liée à la distinction entre le bien et le mal ; la raison aurait donc par elle seule le pouvoir de penser
ce qui doit être fait et de vouloir le faire comme un devoir, lequel serait alors une obligation.
C’est
en ce sens que Kant, dans la Critique de la raison pratique, émet l’idée que le devoir moral est la
source de l’obligation et que dans la raison de chaque individu se trouve une loi morale, laquelle est
fondamentalement un critère de distinction du légitime et de l’illégitime, et à ce titre fait autorité.
Dès lors, on pourrait affirmer que l’autorité légitime première, et dont dépendent toutes les autres,
est celle de la loi morale, de cet impératif catégorique du devoir que le sujet ne peut pas ne pas
vouloir comme un bien.
Néanmoins, nous sommes en droit de remarquer que l’autorité semble trouver ainsi sa légitimité,
moins dans des qualités, qui lui seraient inhérentes, de légalité ou encore de moralité, que dans la
volonté dont fait preuve le sujet qui lui obéit.
C’est pourquoi on se doit de penser l’autre face de
l’exercice de l’autorité, que constitue la relation de pouvoir (que toute autorité suppose) ; en effet, le
pouvoir peut être pensé, non pas comme une chose en soi qui serait objectivement mesurable à
l’aune de certaines caractéristiques, mais bien plutôt comme essentiellement dû à la reconnaissance
dont font....
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