Aurais-je pu savoir que César franchirait le Rubicon ?
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Introduction
Aurais-je pu savoir que César franchirait le Rubicon ? Cette question revient à se demander si les actions humaines,
ici celle de César, sont prévisibles au même titre que n'importe quelle donnée scientifique.
Y a-t-il une science
possible de l'humain ? Peut-on prévoir que César franchira le Rubicon comme on peut prévoir que l'eau gèle à 0° ?
Les leçons d'histoire elles-mêmes tendent souvent à nous donner cette impression : en effet, une leçon intitulée
« les causes de la seconde guerre mondiale » ne nous donne-t-elle pas l'impression que nous sommes devant une
relation de cause à effet nécessaire et par là même prédictible ? Pourtant, nous voyons bien que la question se
pose toujours après coup : c'est une fois que César a franchit le Rubicon que l'on se demande si l'on aurait pu le
savoir, c'est-à-dire le prédire, et non pas simplement avoir des doutes ou le supposer.
Dire que l'on aurait pu savoir
que César franchirait le Rubicon, est-ce être victime d'une illusion rétrospective, ou au contraire être en accord
avec la réalité ?
I.
L'hypothèse déterministe : il était écrit que César franchirait le Rubicon
A.
Cet exemple historique de César franchissant ou ne franchisant pas le Rubicon est un exemple donné par
Leibniz.
Leibniz part de la distinction entre les jugements analytiques et les jugements synthétiques.
Un jugement
analytique est un jugement dans lequel le prédicat est contenu dans le sujet, il faut, pour trouver le prédicat,
simplement déplier ce que l'on pense nécessairement quand on pense un sujet.
Le jugement analytique de base,
c'est A=A.
Ce type de jugement ne nous apprend rien, mais il est nécessairement vrai, il consiste à dire que telle
chose est telle chose.
Un jugement synthétique au contraire est un jugement tiré de l'expérience : la rose est
rouge.
On voit qu'ici on lie deux concepts qui ne sont pas nécessairement liés entre eux, toutes les roses ne sont
pas rouges, et tous les rouges ne sont pas des couleurs de fleurs.
Un jugement synthétique n'est donc pas
scientifique, puisqu'il est toujours relatif à une expérience particulière, on ne peut en déduire que toutes les roses
sont rouges.
Par contre, quand je dis qu'un triangle est une figure composée de trois côtés, je sais que ce que je
dis est vrai et universel, puisque je ne peux penser le concept de triangle sans penser « figure qui a trois côtés ».
il y a donc d'un côté les jugements synthétiques tirés de l'expérience mais qui ne sont pas nécessairement vrais,
et de l'autre les jugements analytique toujours vrais et scientifiques, puisqu'universels.
B.
Or, le coup de force de Leibniz, c'est d'inverser les données, en disant que si une proposition analytique
est par définition toujours vraie, peut-être que toute définition vraie est analytique.
Autrement dit, si la proposition
« César a franchi le Rubicon » est vraie, cela veut dire qu'elle est analytique, et qu'il était contenu dans le concept
« César » qu'il franchirait le Rubicon, au même titre qu'il est compris dans le concept « triangle » qu'il a trois côtés.
Pour Leibniz toute proposition vraie est donc analytique, et l'on aurait pu prévoir que César franchirait le Rubicon.
C.
Ce déterminisme est pour Leibniz l'œuvre de la création divine : Dieu a tout prévu, il a calculé parmi tous
les mondes possibles celui qui était le meilleur, et c'est celui-là qu'il a créé.
En effet, dans le paragraphe 13 du Discours de métaphysique, Leibniz
explique la différence entre possible et compossible.
Le possible impose une
limite à la création divine : Dieu n'aurait par exemple pas pu décider que
2+2=5, cela ne relève pas de sa création.
Par contre, Dieu doit faire une
sorte de travail d'assemblage, puisqu'il y a des choses qui sont compossibles
ou non, c'est-à-dire qui sont possibles ensemble ou non.
Si Dieu décide que
César franchira le Rubicon, alors il doit faire attention aux conséquences,
car une fois qu'il a choisi cela, certaines choses deviennent incompossibles
avec cet événement.
Ainsi, il se peut donc qu'un acte qui semble mauvais
soit choisi par Dieu sans pour autant qu'il soit mauvais dans l'absolu, puisqu'il
entraine d'autres événements qui, lorsqu'ils forment un tout, sont
préférables à un autre assemblage.
Pourtant, Leibniz tient à ne pas affirmer
l'existence d'une fatalité sans borne : pour lui, le fait que Dieu puisse choisir
un monde montre bien qu'il y a bien des futurs contingents.
Mais les futurs
ne sont contingents que du point de vue de Dieu.
L'homme n'est donc pas à
même de savoir ce qui arrivera, puisque cette détermination des substances
individuelles est le résultat du libre choix de Dieu : elle est à la fois
nécessairement comprise dans le sujet, et contingente, puisque rien n'aurait
empêché que Dieu choisisse de faire un monde dans lequel César ne franchit
pas le Rubicon.
Transition : la détermination absolue des actes humains n'implique donc pas
que nous puissions savoir ce qui va arriver avant que cela n'arrive.
Mais dans
ce cas, c'est notre connaissance qui fait obstacle à ce savoir, et non la nature de la réalité elle-même.
II.
Est-ce la nature de notre connaissance ou la nature de la réalité elle-même qui nous empêche
de savoir que César franchira le Rubicond ?
A.
Laplace, dans l'Essai philosophique sur les probabilités écrit dès l'introduction que c'est en raison de la finitude
de notre savoir et de notre capacité à calculer que nous ne pouvons prévoir le futur.
Dans cette doctrine du
déterminisme absolu, la seule raison pour laquelle ne nous pouvons prévoir ce qui va arriver est que nous ne.
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