Auguste Comte: Le but de la science est-il la réussite technique ?
Extrait du document
«
" Science, d'où prévoyance : prévoyance, d'où action ; telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière
exacte, la relation générale de la science et de l'art, prenant ces deux expressions dans leur acception totale.
Mais malgré l'importance capitale de cette relation, qui ne doit jamais être méconnue, ce serait se former des sciences
une idée bien imparfaite que de les concevoir seulement comme les bases des arts, et c'est à quoi malheureusement
on n'est que trop enclin de nos jours.
Quels que soient les immenses services rendus à l'industrie par les théories
scientifiques, quoique, suivant l'énergique expression
de Bacon, la puissance soit nécessairement proportionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier que les
sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental
qu'éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes."
Auguste Comte, Cours de philosophie positive (1830-1842)
Pour Auguste Comte, toute recherche gratuite et désintéressée est un non-sens.
Il pense, au contraire, que
la connaissance scientifique doit être au service de la société et que les recherches qui n'ont d'autres buts
qu'elles-mêmes ne sont que perte de temps et luxe inutile.
Le positivisme développe une conception
pratique voire pragmatique de la connaissance scientifique.
Ce que défend ce texte:
Auguste Comte distingue, dans ce texte, le domaine de la théorie, qui est celui de la science, et celui de la pratique,
qui concerne le champ de la technique.
Certes, la science permet la prévision des phénomènes grâce aux lois qu'elle établit sur les relations invariables qui
existent entre eux.
En s'appuyant sur le principe de causalité, elle nous permet en effet d'agir sur la nature, car nous
savons que telle cause produira tel effet sur les phénomènes qui la manifestent.
En outre, nous pouvons, grâce à cette prévision, agir pour empêcher que certains d'entre eux se produisent.
Ainsi,
lorsqu'un médecin connaît les effets induits par telle substance chimique sur l'organisme, il peut s'opposer au
développement d'une maladie en l'administrant au malade, sous forme de médicament.
Dans ce dernier
cas, on dira que la prévision (la connaissance des vertus d'une substance) a précédé et guidé l'action de soigner et la
guérison.
Ces vérités, Comte les rappelle au début de ce texte dans une formule simple : « science, d'où prévoyance :
prévoyance d'où action ».
Il s'agit là de l'expression la plus générale des relations qui s'établissent entre la science et
l'art et, par ce mot « art », il faut entendre l'ensemble des connaissances pratiques et appliquées, l'ensemble des
savoir-faire techniques qui donnent lieu à des métiers.
Cette relation, Descartes en avait déjà souligné l'importance dans Le Discours de la méthode, lorsqu'il y avait affirmé
que cette philosophie (science) appliquée était seule en mesure de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature ».
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
Toutefois, Comte cherche ici à dénoncer une confusion.
Quelle que soit l'importance que l'on accorde à l'idée de
science appliquée, c'est-à-dire tournée vers ses applications techniques les plus concrètes et les plus utiles, « ce
serait se former des sciences une idée bien imparfaite que de les concevoir seulement comme les bases des arts ».
L'auteur nous rappelle, en effet, que le but premier de la science est d'ordre théorique et concerne la connaissance.
Il
retrouve ainsi la conception grecque qui définissait la théoria comme une contemplation désintéressée, c'est-à-dire
ayant valeur par elle-même et non pour les commodités ou l'utilité pratique qu'elle peut nous apporter.
Il s'agit donc de nuancer la conception que Francis Bacon, avant Descartes, développa dans son Novum Organum et
selon laquelle notre puissance est « nécessairement proportionnée à la connaissance ».
Bacon cherchait à s'opposer
alors à la conception grecque de la science héritée de Platon et d'Aristote, enfermée dans des raisonnements
complexes et vides, et marquée par une méfiance constante à l'égard du témoignage des sens, empêchant tout
développement de la recherche expérimentale.
L'objectif d'Auguste Comte ne consiste donc pas ici à remettre en cause la valeur de l'expérimentation.
Celle-ci est
essentielle à l'exercice de la recherche scientifique, qui s'inscrit dans un rapport constant entre théorie et expérience.
Son propos ne porte pas sur l'expérimentation, mais sur les applications techniques tirées de la science, qui ne doivent
pas, selon lui, conditionner la recherche et primer sur elle.
La réhabilitation de l'expérimentation, opérée avec Bacon,
ne doit donc pas nous faire oublier que « les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée »
que celle qui consiste à nous apporter des perfectionnements et des commodités techniques.
Cette destination correspond à la satisfaction d'un besoin non du corps mais de l'esprit, celui, fondamental, qu'éprouve
notre intelligence de connaître les lois des phénomènes.
La science est donc par essence spéculative et c'est là sa
fonction première.
Elle ne doit donc pas laisser guider ses recherches par le seul intérêt pratique et technique mais
respecter son idéal de recherche de la vérité..
»
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