Aristote: Nature et Divin
Extrait du document
«
Le monde d'Aristote est hiérarchique.
Les êtres y ont tous une nature, une essence, plus ou moins parfaite, c'est-àdire plus ou moins proche de la substance parfaite, incorruptible, la forme pure : Dieu.
Tous les êtres, sourdement
ou consciemment, tendent vers ce suprême vivant.
Le destin de chaque être est de devenir ce qu'il est, en
réalisant sa nature.
1.
Le monde des choses muables
A.
Le mouvement
Le monde est en perpétuel mouvement.
Il y en a deux sortes : naturel s'il se produit conformément à la nature de
la chose ; violent s'il résulte d'une contrainte.
Le mouvement, chez Aristote, ne désigne pas seulement le déplacement, mais tous les changements, qu'ils soient
qualitatifs, quantitatifs ou substantiels.
La décoloration, la perception, la naissance, la croissance, la locomotion
sont des mouvements.
La physique, ou science de la nature (physis : surgissement, naissance, croissance), étudie l'ensemble des êtres
qui se meuvent spontanément.
Le mot « nature » désigne soit cet ensemble, soit le principe de changement interne
à chaque être, qui n'est autre que son essence.
Alors qu'une plante croît d'elle-même, de la graine à l'arbre, les
objets artificiels ne se fabriquent pas eux-mêmes.
B.
La finalité du mouvement
Le changement naturel a une fin, il est orienté.
Ce qui pousse au changement un être naturel, c'est sa nature, qu'il
doit réaliser : il devient ce qu'il est.
Ainsi la graine devient arbre.
On ne passe pas du non-être absolu à l'être, mais
de l'être en puissance (virtuel) à l'être en acte (effectif) : le gland n'est pas absolument autre que le chêne, il est
chêne en puissance.
Le repos qui achève le mouvement est signe de perfection, la fin ayant été atteinte.
Le changement n'est pas une suite discontinue d'apparitions et de disparitions ; il y a quelque chose qui change,
et demeure sous les qualités contraires : la matière.
Elle appelle une forme, dont elle « éprouve » le manque, la
privation.
Mais la croissance est toujours suivie du vieillissement.
Les mouvements naturels de dégradation manifestent la
résistance de la matière à l'action structurante de la nature.
2.
Les principes de l'être
A.
Matière et forme
Les êtres d'une même espèce ont une même nature, qui se transmet de génération en génération, et perdure ainsi
à travers les individus.
Les chiens meurent, mais l'espèce canine demeure.
Comme l'artisan, qui n'a qu'une seule idée
universelle de chaudron pour fabriquer une infinité de chaudrons, la nature (que l'art' imite) n'a qu'une idée,
immanente, inconsciente, de chaque espèce pour réaliser une infinité d'exemplaires dans la matière changeante.
On
l'appelle la forme.
La forme d'un être n'est pas son apparence extérieure, mais son essence, la loi de sa construction, la force interne
qui ordonne la matière.
Elle est immatérielle.
Mais la forme n'existe pas séparément de la matière (l'idée de chaudron n'existe pas, en soi, en dehors du
chaudron, sinon de manière purement intellectuelle dans l'intelligence).
Ce qui existe vraiment, c'est le composé
forme-matière.
La forme n'est pas quelque chose, mais ce par quoi le quelque chose est tel ou tel, tout comme
l'idée de chaudron n'est pas un chaudron, mais ce qui permet de construire tous les chaudrons.
B.
Les quatre causes
Expliquer les phénomènes, c'est en trouver les causes : elles sont de quatre sortes.
La cause matérielle est ce dont est faite la chose, comme le marbre pour la statue.
La cause formelle est la
définition de la chose, son essence qui en ordonne la matière, comme l'idée de la statue.
La cause motrice est ce
qui permet à la forme de s'incarner dans la matière, comme le burin pour la statue.
La cause finale, enfin, est le but
de la chose, comme le plaisir esthétique pour la statue.
La science moderne ne conserve que les causes motrice et matérielle.
Tout est ainsi ramené au mécanisme, qui ne
connaît que la cause antécédente, sans plus aucune considération du caractère orienté des phénomènes.
En disant
par exemple que la cause de la statue est le mouvement du burin, on dit quelque chose de vrai, mais on laisse de
côté l'essentiel : le projet du sculpteur.
C.
Finalisme et mécanisme
De même, dans le domaine naturel, on oublie parfois que les mécanismes physico-chimiques constatés sont au
service d'une fin (le fonctionnement d'un organe par exemple).
La fonction du tout est la cause de l'existence et de
l'agencement des parties.
La médecine, d'ailleurs, ne peut faire l'économie de ce principe pour étudier un organe.
La fonction visuelle est la cause finale de l'agencement des cellules dans l'oeil.
Le hasard n'explique rien.
Le déterminisme (qui dit que tout phénomène s'explique par une cause antécédente) n'est pas contradictoire avec
la finalité*.
Pris dans un ordre immanent qui les dirige, les mécanismes sont des moyens déterminés au service d'une
fin.
Celle-ci n'est pas extérieure à l'être naturel, elle lui est interne ; elle est sa loi propre.
Par myopie, le scientifique
réductionniste peut l'oublier– un peu comme s'il disait qu'un livre est dû à un « incroyable enchaînement aléatoire »
de mouvements d'une machine à écrire !
S'en tenir aux causes motrices peut être utile pour la science, mais ne lui donne pas le droit de réduire l'être à la
matière désordonnée.
Inversement, oublier les causes motrices, c'est négliger la réalisation effective et rester dans.
»
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