Aristote: étonnement et philosophie
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Réagir • Bien cerner les implications de l'« étonnement ». • Préciser la relation entre mythe et philosophie. • Que peut signifier que la philosophie « est sa propre fin » ? • L'autonomie de la philosophie est-elle historiquement permanente ? INTRODUCTION • Platon l'affirmait déjà, Aristote le répète : la philosophie est « fille de l'étonnement ». Mais cette origine suffit-elle pour en définir les caractères ? Pour Aristote, il semble que oui. Ce qui est advenu de la philosophie à travers son histoire le confirme-t-il ?
«
" Ce fut l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques.
Au
début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent
à résoudre des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des étoiles, enfin la
genèse de l'Univers.
Apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance (et c'est pourquoi
aimer les mythes est, en quelque manière se montrer philosophe, car le mythe est composé de merveilleux).
Ainsi
donc, si ce fut pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu'ils
poursuivaient la science en vue de connaître et non pour une fin utilitaire.
Ce qui s'est passé en réalité en fournit la
preuve: presque tous les arts qui s'appliquent aux nécessités, et ceux qui s'intéressent au bien-être et à l'agrément
de la vie, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre.
Il est donc évident que
nous n'avons en vue, dans la philosophie, aucun intérêt étranger.
Mais, de même que nous appelons homme libre celui
qui est à lui-même sa fin et n'est pas la fin d'autrui, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui
soit libre, car elle seule est sa propre fin." ARISTOTE.
Dans un passage de la « Métaphysique » (Livre A, chapitre 2), Aristote explique l'origine de la philosophie et le but qu'elle
poursuit.
« Ce qui à l'origine poussa les hommes aux premières recherches philosophiques, c'était, comme aujourd'hui,
l'étonnement .
» L'admiration et l'incompréhension devant le monde poussent l'homme à chercher à comprendre et à
rendre compte de ce qui l'entoure.
Ainsi naît la philosophie, qui n'a d'autre but que de tendre à expliquer le monde.
Dans ce passage de la « Métaphysique », Aristote reprend l'enseignement de son maître.
En effet, Platon écrit dans le «
Théétète » : « il est tout à fait d'un philosophe, ce sentiment : s'étonner.
La philosophie n'a point d'autre origine… »
L'étonnement, pour les Grecs, est donc l'origine véritable de la recherche philosophique.
L'étonnement consiste en l'arrêt
admiratif devant une chose que l'on ne comprend pas.
Le mot n'est pas à comprendre au sens moderne cad la
stupéfaction devant quelque chose d'inhabituel.
Le sens commun, la plupart des hommes ne s'étonnent que devant un phénomène extraordinaire, qui échappe à la
routine, et dont il est clair qu'on ne le comprend pas, qu'on ne peut le classer dans les rubriques habituelles.
Or les
phénomènes les plus communs ne sont pas les plus connus, tant sen faut, et le sentiment de connaître ce que l'on voit
souvent n'est qu'une illusion.
L'étonnement qui frappe le philosophe concerne n'importe quelle chose, aussi banale soit-elle en apparence.
C'est d'abord
l'admiration devant la nature, et l'aveu de son incompréhension devant ses mécanismes.
« Or apercevoir une difficulté et
s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance […] ainsi donc ce fut pour échapper à l'ignorance que les premiers
philosophes se livrèrent à la philosophie.
»
Les exemples que donne Aristote sont éclairants ; les premières recherches se concentrèrent sur les objets à notre
portée, puis les phases lunaires, puis le cours du Soleil, puis la formation de l'Univers.
Deux points sont remarquables :
D'une part, la philosophie n'est pas ici séparée de la science ; les exemples de recherches philosophiques sont des
exemples qu'on qualifierait aujourd'hui d'astronomiques.
En fait la séparation de la science d'avec la philosophie est très
tardive.
Elle date du XVIII ème siècle, et tous les grands noms de la philosophie furent aussi, jusqu'à cette époque au
moins, des grands noms des sciences.
D'autre part, l'étonnement e s'exerce pas sur des choses extraordinaires, mais tout simplement devant ce qui est, et
dont la nature nous offre chaque jour le spectacle comme la course du Soleil, les marées, etc.
La philosophie essaie, tente,
de rendre compte de ce qui est.
C'est-à-dire de l'expliquer.
Soit simplement en en énonçant les mécanisme, soit en
essayant d'en donner le sens.
On en arrivera ainsi à des questions dites métaphysiques : « Pourquoi y-a-t-il quelque
chose plutôt que rien ? » (Leibniz).
Enfin, si la philosophie, selon Platon, commence par l'aveu de l'ignorance, son but est de faire cesser celle-ci.
Son but est la
connaissance.
Aristote insiste sur ce point essentiel, sur l'image que la science et la philosophie se font d'elles-mêmes : « Il
est évident qu'ils poursuivaient la science pour savoir, et non en vue de quelque autre utilité.
»
Les philosophes recherchent le savoir pour le savoir et non pour une quelconque utilité pratique immédiate.
Cela ne veut
en aucun cas dire que la philosophie n'a aucun intérêt.
Mais d'abord, qu'elle n'a pas pour but de satisfaire un besoin, qu'il
soit vital ou de confort.
C'est la preuve que donne Aristote : « Presque tous les arts qui regardent les besoins et ceux qui
s'appliquent au bien-être, étaient connus déjà quand on commença à chercher les explications de ce genre.
» C'est quand
les problèmes urgents de la vie sont résolus, que l'on se lance dans les sciences ou la recherche.
La philosophie n'est donc
pas une discipline asservie, liée aux nécessités vitales ou à la recherche d'un confort matériel.
Elle est une activité libre,
qu'on exerce pour son propre plaisir, pour son intérêt intrinsèque.
En clair, c'est une activité libre parce que désintéressée.
« Ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à ellemême sa propre fin.
Aussi est-ce encore à bon droit qu'on peut qualifier de plus qu'humaine sa possession.
»
C'est une constante de la philosophie grecque, et de la façon dont elle s'interprète : la philosophie nous arrache à la
condition simplement humaine , d'être périssable et obnubilé par sa survie, pour nous faire participer à un plaisir divin : la
compréhension pure et désintéressée.
Il se peut que cette vision paraisse naïve, après que Marx a assigné comme tache à la philosophie, non plus de connaître
le monde mais de le transformer, et surtout que Descartes a fait comprendre que la science se doit de viser notre bienêtre.
Mais elle est aussi le rappel que l'homme ne se réduit pas à un simple être naturel mais qu'il a part à un autre type
de plaisir, celui de la compréhension, voire de la compréhension.
Aristote nous rappelle que la philosophie naît et se nourrit d'un étonnement devant ce qui est.
Ce spectacle du monde
entraîne, pour le « naturel philosophe », le désir de comprendre l'ordre du monde, la nature des choses.
En ce sens la
naissance de la philosophie est contemporaine des sciences sans pourtant s'y réduire.
Enfin Aristote note qu'il existe chez
tout être humain un plaisir désintéressé de comprendre, qui se manifeste aussi dans l'art, mais qui atteint son sommet
dans la philosophie, laquelle nous fait participer, autant qu'il est possible, à une vie digne des dieux..
»
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