Aristote: Des lois bien faites
Extrait du document
«
« Des lois bien faites doivent, à la vérité, déterminer elles-mêmes autant
de cas qu'il se peut, en laisser le moins possible à la décision des juges...
il ne se peut que le législateur prévoie ces choses.
» ARISTOTE.
Introduction
Lorsqu'il s'agit de juger un délit ou de résoudre un litige, deux instances
interviennent : la loi qui définit le cadre du jugement, et le juge qui applique la
loi en l'adaptant au cas particulier.
Pour faire de bonnes lois, il est nécessaire de
réfléchir au rôle exact du juge : doit-on simplement lui donner des directives très
générales, ou faut-il encadrer son action avec la plus grande précision possible
pour restreindre au strict nécessaire son initiative personnelle ? C'est nettement
pour cette deuxième option qu'Aristote se prononce dans ce texte.
Il s'attache
en effet à souligner les aspects de l'humanité, et donc de l'imperfection du juge,
qui risquent de rendre son jugement peu fiable si la loi lui laisse trop de liberté.
La plus grande partie du texte est consacrée à cette démonstration et s'articule
autour de trois arguments : les hommes au jugement droit ne sont pas si faciles
à trouver ; le juge est soumis à la pression de l'urgence ; et il risque toujours de
se laisser entraîner par les passions.
Après avoir exposé ces raisons, Aristote
concède que l'établissement des faits ne peut être prévu par la loi et qu'à ce
niveau le rôle du juge est irremplaçable.
Nous expliciterons ces arguments en nous demandant dans quelle mesure ils confèrent encore au juge une autorité
suffisante pour que le jugement soit reconnu valide.
Étude ordonnée et intérêt philosophique
La préoccupation d'Aristote apparaît dès les premiers mots du texte : son but est de déterminer ce qu'il faut pour que
les lois soient «bien faites ».
Cette interrogation est un des aspects d'une réflexion plus large sur la politique : quelles
sont les conditions requises pour que la cité soit harmonieuse ?
Produire une bonne législation est une opération complexe et qui doit intégrer bien des paramètres ; aussi ne trouvonsnous pas ici la totalité de la réponse mais l'examen d'un aspect important, la détermination de la fonction du juge et de
son rapport à la loi.
Aristote se prononce d'emblée en faveur d'une loi très contraignante — non pas à l'égard du
citoyen, mais à l'égard du juge.
Ce dernier est en effet un homme comme les autres et se voit confier une des tâches
les plus ardues qui soient : juger d'autres hommes.
La loi doit aller dans le sens de la plus grande précision possible, dit
Aristote, ce qui revient à réduire autant que faire se peut la part de la jurisprudence.
Le philosophe avance trois
arguments en faveur de cette position.
Le premier argument consiste à tenir compte de la relative rareté des hommes susceptibles d'être de bons juges.
Descartes affirmera plus tard que «le bon sens est la chose au monde la mieux partagée » mais il ajoutera également
qu'il ne suffit pas d'avoir l'esprit bon et que l'essentiel est de l'utiliser bien.
C'est ce qui n'est pas donné à tout le
monde.
Il faut en effet que se trouvent réunies dans le même homme une « saine intelligence» et « l'aptitude à juger
».
Il faut donc être intelligent, c'est-à-dire à la fois capable de bien organiser ses idées et de le faire assez vite ; et
que l'intelligence soit saine, c'est-à-dire bien en phase avec la réalité, à l'opposé du fou qui peut être d'une vive
intelligence mais s'avère incapable de juger adéquatement la réalité.
L'aptitude à juger peut désigner l'équité, ce sens
de la juste proportion qui permet le véritable discernement.
Comme les hommes présentant toutes ces qualités réunies sont relativement rares, il faut que les lois soient
suffisamment bien faites pour que d'une part, le recours au juge ne soit pas permanent, et que d'autre part, un juge
même médiocre ait les moyens de bien faire son métier.
Ce premier argument met implicitement en valeur le fait que les individus doivent avoir affaire à une institution judiciaire
dont les magistrats sont les administrateurs, et non à des individus souverains se prononçant en leur nom propre.
Le deuxième argument en faveur de lois précises est fondé sur la question du temps et sur l'opposition entre la durée
dont dispose le législateur pour rédiger une loi juste et l'instant dans lequel le juge doit rendre son verdict : cette
opposition est analogue à l'opposition entre réflexion et décision, qui renvoie à la distinction plus générale entre théorie
et pratique.
En l'occurrence, pour que la pratique soit juste, il faut qu'elle soit encadrée par une théorie précise.
La loi
peut développer en de longs volumes le détail des cas et des raisons, le juge doit faire en peu de temps la synthèse
entre ce qu'il sait de la loi et ce qu'il connaît de la situation.
Peut-être y a-t-il là une difficulté : si la loi est très détaillée et envisage le plus de cas possible, ne risque-t-elle pas
de devenir touffue et impraticable parce que le juge se perd dans des subtilités et ne peut plus déterminer avec
certitude dans quelle catégorie il faut ranger l'affaire qu'il instruit ? Le caractère bref de l'acte de jugement implique
donc un juste équilibre : la loi ne doit pas être vague mais elle ne doit pas non plus être pléthorique.
Cet argument n'est cependant pas le principal.
Le problème le plus important auquel la précision de la loi doit apporter
une solution est celui de la subjectivité du juge.
De même que le législateur a devant lui la durée et le juge seulement
l'instant, le premier se place dans la perspective de la généralité pour des cas possibles dans l'avenir alors que le
second juge ici et maintenant des cas «actuels et déterminés », c'est-à-dire notamment vécus par des êtres de chair.
Lorsque le législateur envisage un cas général, il peut faire abstraction de tous les facteurs affectifs, de toutes les
circonstances dramatiques ou émouvantes, de tout ce qui fait l'incarnation de chaque cas.
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