Aristote
Extrait du document
«
"Pour ce qui est des choses susceptibles d'être autrement, il en est qui
relèvent de la création (poïesis), d'autres de l'action (praxis), création et
action étant distinctes (...).
Aussi la disposition accompagnée de raison
(logos) et tournée vers l'action est-elle différente de la disposition,
également accompagnée de raison, tournée vers la création; aucune de
ces notions ne contient l'autre; l'action ne se confond pas avec la
création, ni la création avec l'action.
Puisque l'architecture est un art
(technè); que cet art se définit par une disposition accompagnée de
raison et tournée vers la création ; puisque tout art est une disposition
accompagnée de raison et tournée vers la création, et que toute
disposition de cette sorte est un art (technè); l'art et la disposition
accompagnée de la raison conforme à la vérité se confondent.
D'autre
part, tout art a pour caractère de faire naître une oeuvre et recherche les
moyens techniques et théoriques de créer une chose appartenant à la
catégorie des possibles et dont le principe réside dans la personne qui
exécute et non dans l'oeuvre exécutée.
Car l'art ne concerne pas ce qui
est ou ce qui se produit nécessairement, non plus que ce qui existe par un
effet de la seule nature – toutes choses ayant en elles-mêmes leur
principe.
Du moment que création et action sont distinctes, force est que
l'art se rapporte à la création, non à l'action proprement dite.
Et en une
certaine mesure, art et hasard s'exercent dans le même domaine, selon
le mot d'Agathôn : «L'art aime le hasard, le hasard aime l'art.»
Donc, ainsi que nous l'avons dit, l'art est une disposition susceptible de création, accompagnée de raison
vraie ; par contre, le défaut d'art est cette disposition servie par un raisonnement erroné dans le domaine du
possible." ARISTOTE.
Aristote propose ici une définition de l'art qui s'applique à toute forme de production, aussi bien à celles qui, pour nous,
relèvent de l'artisanat qu'aux oeuvres d'art; c'est que l'art est d'abord une manière d'agir, l'exercice d'une liberté.
La création, ou poïesis, d'où vient d'ailleurs le mot poésie, diffère de la praxis, d'où vient cette fois le mot pratique; il
convient de se méfier de la résonance trop familière de ces mots, qui désignent en grec des catégories de l'action.
Toute action s'exerce dans le domaine de la contingence, c'est-à-dire des choses ou des événements qui peuvent
exister de différentes manières, contrairement à celles qui adviennent nécessairement, c'est-à-dire qui ne peuvent
être autrement qu'elles ne sont.
Une telle distinction peut paraître inutile car trop évidente ; elle nous rappelle
pourtant que certaines choses sont hors de notre pouvoir, sont déterminées à l'avance, inévitables, ou fixées par la
nature : distinguer le possible de l'impossible est un préalable à l'exercice de la liberté.
Les types d'actions sont ici distingués par leur fin : la praxis a sa fin en elle-même, c'est-à-dire que l'action droite doit
être recherchée sans autre justification que l'amélioration de celui qui la pratique; ainsi, le citoyen qui exerce ses
responsabilités doit faire passer l'intérêt de la cité avant le sien propre, ou bien il ne mérite pas d'être dit libre.
La
poïesis est au contraire la production d'une oeuvre extérieure à son auteur, qui peut être utile, comme celle de
l'artisan, ou procurer la satisfaction par sa beauté.
Elle suppose la possession de l'art, au sens de technè, qui là encore
ne recouvre que partiellement le terme moderne de technique, lequel désigne aujourd'hui l'ensemble des procédés d'un
métier ou la science appliquée.
Ici, l'exemple de l'architecture montre que l'art comporte d'abord une part d'habileté,
une aptitude à produire, une « disposition », mais que cette capacité, ce souhait de réalisation doivent être soutenus
par la raison, qui distingue le réel et le possible.
La justesse du raisonnement est également indispensable pour mener à bien la création : en dépit du fait qu'il
manifeste une disposition à créer, celui à qui ce type de raisonnement fait défaut sera dit « sans art ».
Par l'art, l'homme se rend donc capable d'agir, d'exercer sa liberté, d'une manière différente que par l'action morale ou
politique.
Par ce pouvoir d'agir sur le monde extérieur, il se fait le rival de la nature : la pierre est naturelle, et son
érosion dépend du hasard mais, sous l'empire de la raison et du travail, elle devient temple ou statue.
Né à Stagire (Macédoine) en 384 av.
J.-C., mort à Chalcis (Eubée) en 322..
»
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