Aristote
Extrait du document
«
"Le choix n'est certainement pas la même chose que le souhait, bien qu'il
en soit visiblement fort voisin.
Il n'y a pas de choix, en effet, des choses
impossibles, et si on prétendait faire porter son choix sur elles on
passerait pour insensé ; au contraire, il peut y avoir souhait des choses
impossibles, par exemple de l'immortalité.
D'autre part, le souhait peut
porter sur des choses qu'on ne saurait d'aucune manière mener à bonne
fin par soi-même, par exemple faire que tel acteur ou tel athlète
remporte la victoire ; au contraire, le choix ne s'exerce jamais sur de
pareilles choses, mais seulement sur celles qu'on pense pouvoir produire
par ses propres moyens.
En outre, le souhait porte plutôt sur la fin, et le
choix sur les moyens pour parvenir à la fin : par exemple, nous
souhaitons être en bonne santé, mais nous choisissons les moyens qui
nous feront être en bonne santé ; nous pouvons dire encore que nous
souhaitons d'être heureux, mais il est inexact de dire que nous
choisissons de l'être : car, d'une façon générale, le choix porte, selon
toute apparence, sur les choses qui dépendent de nous." ARISTOTE
[Introduction]
L'être humain est ainsi fait qu'il ne saurait se contenter de sa situation présente.
Pascal, en formulant que « nous ne tenons jamais au temps présent », n'énonce
pas une nouveauté : Aristote le sous-entend en proposant ici une comparaison entre ce qu'il nomme le « choix » et le
« souhait », dont il montre qu'ils peuvent ne pas viser les mêmes choses et impliquent des attitudes, mentales mais
aussi pratiques, que l'on doit nettement différencier.
Si tous les deux cherchent ce qui pourrait nous combler, on doit
en venir à se demander s'ils sont à eux seuls capables d'assurer notre bonheur.
[I.
Le choix est lié à un possible réalisable]
Lorsque Aristote affirme dès le début de son texte que le choix n'est pas « la même chose » que le souhait, il se
contente d'évoquer leur voisinage, sans entrer davantage dans le détail.
Ce qui les rend ainsi « voisins », c'est que l'un
et l'autre visent des choses ou des situations par définition absentes.
Tous les deux nous donnent la possibilité d'aller
— au moins mentalement — au-delà de ce qui constitue l'environnement actuel.
À cet actuel s'oppose ce qui apparaît
comme plus ou moins possible, et c'est pourquoi Aristote commence à établir ses distinctions entre les deux concepts
par référence au possible et à l'impossible.
C'est pour constater que le choix, contrairement au souhait, ne peut jamais porter sur des choses impossibles.
Celui
qui prétendrait choisir des choses impossibles apparaîtrait insensé, c'est-à-dire privé du bon sens ou du sens commun,
en dehors des normes de la raison.
En effet, pour qu'il y ait choix authentique, il faut que s'offrent à moi deux voies
également réalisables.
Dès lors, prétendre choisir l'immortalité est bien « insensé », dans la mesure où le choix ne m'est
pas offert entre le fait d'être mortel et la capacité d'être immortel.
Cette dernière n'appartenant qu'aux dieux, mon
statut d'être humain m'impose le caractère mortel, par rapport auquel je n'ai aucun choix à effectuer.
Ce qui confirme la relation entre le choix et le possible (au sens de ce qui peut effectivement se passer, ce qui n'est
pas en contradiction avec les conditions générales de réalisation de quelque chose), c'est que le choix ne s'exerce que
sur les choses « qu'on pense pouvoir produire par ses propres moyens ».
C'est donc parce que le choix concerne mon
avenir tel qu'il peut se produire, qu'il porte sur des éléments par rapport auxquels je peux être moi-même actif.
Si un
choix m'est offert, la solution que je privilégie implique un « engagement » de ma personne, c'est-à-dire que je
détermine bien mon action en fonction de ce que j'ai choisi.
Le choix est ainsi lié étroitement à ce que la philosophie
qualifiera, bien après Aristote, de « projet » : il me donne une occasion de réaliser ce que je veux obtenir.
D'où, à la fin du texte, la remarque importante concernant le fait que le choix porte aussi « sur les choses qui
dépendent de nous », qui indique que le choix appelle, dans sa réalisation même, l'exercice de ma volonté active.
De
ce point de vue, il doit exister une proportion entre ce que je choisis et mes propres moyens d'action : choisir, c'est se
situer dans la logique du vraisemblable, du réalisable, d'une action qui est bien à notre portée, parce cela s'appuie sur
le réel tel qu'il existe d'abord.
C'est bien à partir de ma situation concrète que j'ai à choisir le cadre de mon activité, et
cela suppose un accord entre ce que m'offre cette situation et mes moyens d'action.
[II.
Le souhait n'est pas limité par le possible]
Au contraire, le souhait de connaît pas de limitation de ce genre.
On peut souhaiter même des choses impossibles ;
cela ne signifie pas que l'on ne souhaite qu'elles, mais cela indique que l'on est, lorsqu'on formule un souhait, indifférent
au caractère (réalisable ou non, vraisemblable ou non) de ce que l'on souhaite.
On peut ainsi souhaiter l'immortalité,
alors que l'on devine qu'elle est impossible à obtenir : le souhait ne se soucie pas des conditions d'obtention réelle de
son but.
La conséquence en est que le souhait peut s'effectuer à propos de choses ou de situations sur lesquelles on n'a
aucune efficacité.
Lors d'un concours d'acteurs ou d'une réunion d'athlètes, je peux ainsi souhaiter la victoire de l'un
plutôt que de l'autre.
II est possible que le souhait se réalise, mais cette réalisation ne dépendra aucunement de moimême ; elle sera uniquement due à la performance accomplie par l'acteur ou l'athlète, à sa capacité de se monter
supérieur aux autres concurrents, et au fait qu'il aura été jugé tel (pas seulement par moi, mais bien par le jury.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- ARISTOTE : L'ANIMAL RATIONNEL
- Poétique d'Aristote
- « Le bonheur est une fin en soi » ARISTOTE
- « L’art imite la nature » ARISTOTE
- [ Art et imitation ] chez Aristote