Alors que la plupart des moralistes recommandent à l'homme de limiter ses besoins, économistes et sociologues s'accordent assez communément pour voir, dans la multiplication des besoins, le signe d'une civilisation plus avancée. S'agit-il là, à votre avi
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Introduction. — Nous sommes les témoins, et les victimes, de mouvements revendicatifs dont l'arme essentielle est la grève. Or que demandent généralement ces grévistes ? Une augmentation de salaire, à cause de besoins nouveaux dont nos aïeux n'avaient même pas l'idée. Faut-il se réjouir de cette multiplication des besoins ou devons-nous, au contraire, la déplorer ? Si nous nous en tenions aux leçons des moralistes d'autrefois, nous regretterions la simplicité des moeurs antiques. Mais pour les économistes et les sociologues contemporains, ces besoins sont le signe d'une civilisation avancée. Ces deux attitudes impliquent-elles deux conceptions irréductibles de la vie humaine ou peut-on, au contraire, les concilier ? I. — LES DEUX ATTITUDES A. Les moralistes. A peu d'exceptions près et quel que soit leur système particulier, les moralistes prêchent la restriction des désirs et des besoins. La chose semble aller de soi. Spontanément, en effet, notre désir se porte vers des objets d'où nous espérons des satisfactions sensibles, du plaisir ; il nous détourne du devoir, de la recherche du bien et nous induit sans cesse en tentation. La tentation se fait même de plus en plus pressante car, un premier besoin satisfait, surgit le plus souvent le besoin de quelque chose de plus ou de mieux et qui, par là même, attire plus fortement. Il est facile de le voir, quiconque vise à la vertu, à la perfection morale ou simplement à la fidélité au devoir s'efforcera de restreindre ses besoins. Bien des moralistes, il est vrai, principalement dans l'antiquité, plaçaient le but de la vie dans le bonheur. Or on ne saurait être heureux tant que les besoins ne sont pas satisfaits. Mais, ainsi que nous l'avons marqué, il ne saurait jamais obtenir complète satisfaction : ce qu'on a obtenu suscite l'idée et le désir de quelque bien meilleur ; et ainsi on court sans fin à la poursuite d'un bonheur qui s'éloigne à mesure qu'on fait un pas vers lui. C'est pourquoi, tout comme les moralistes qui mettent le but de la vie dans la perfection morale ou dans la vertu, ceux qui n'envisagent que le bonheur préconisent, eux aussi, la restriction des besoins. Qu'il suffise d'évoquer la doctrine d'Épicure.
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Alors que la plupart des moralistes recommandent à l'homme de limiter ses besoins, économistes et
sociologues s'accordent assez communément pour voir, dans la multiplication des besoins, le signe d'une
civilisation plus avancée.
S'agit-il là, à votre avis, d'un irréductible conflit entre deux conceptions de
l'homme ?
Introduction.
— Nous sommes les témoins, et les victimes, de mouvements revendicatifs dont l'arme essentielle est
la grève.
Or que demandent généralement ces grévistes ? Une augmentation de salaire, à cause de besoins
nouveaux dont nos aïeux n'avaient même pas l'idée.
Faut-il se réjouir de cette multiplication des besoins ou devons-nous, au contraire, la déplorer ?
Si nous nous en tenions aux leçons des moralistes d'autrefois, nous regretterions la simplicité des moeurs antiques.
Mais pour les économistes et les sociologues contemporains, ces besoins sont le signe d'une civilisation avancée.
Ces deux attitudes impliquent-elles deux conceptions irréductibles de la vie humaine ou peut-on, au contraire, les
concilier ?
I.
— LES DEUX ATTITUDES
A.
Les moralistes.
A peu d'exceptions près et quel que soit leur système particulier, les moralistes prêchent la restriction des désirs et
des besoins.
La chose semble aller de soi.
Spontanément, en effet, notre désir se porte vers des objets d'où nous espérons des
satisfactions sensibles, du plaisir ; il nous détourne du devoir, de la recherche du bien et nous induit sans cesse en
tentation.
La tentation se fait même de plus en plus pressante car, un premier besoin satisfait, surgit le plus
souvent le besoin de quelque chose de plus ou de mieux et qui, par là même, attire plus fortement.
Il est facile de le
voir, quiconque vise à la vertu, à la perfection morale ou simplement à la fidélité au devoir s'efforcera de restreindre
ses besoins.
Bien des moralistes, il est vrai, principalement dans l'antiquité, plaçaient le but de la vie dans le bonheur.
Or on ne
saurait être heureux tant que les besoins ne sont pas satisfaits.
Mais, ainsi que nous l'avons marqué, il ne saurait
jamais obtenir complète satisfaction : ce qu'on a obtenu suscite l'idée et le désir de quelque bien meilleur ; et ainsi
on court sans fin à la poursuite d'un bonheur qui s'éloigne à mesure qu'on fait un pas vers lui.
C'est pourquoi, tout
comme les moralistes qui mettent le but de la vie dans la perfection morale ou dans la vertu, ceux qui n'envisagent
que le bonheur préconisent, eux aussi, la restriction des besoins.
Qu'il suffise d'évoquer la doctrine d'Épicure.
B.
Les économistes et les sociologues.
Au contraire, celui qui vise à l'amélioration quantitative et qualitative de la production se montre satisfait de voir les
besoins s'accroître.
En effet, cet accroissement entraînera celui de la demande des produits du travail et de la
consommation ; pour répondre aux appels du consommateur, il faudra produire davantage et améliorer les
techniques de la production...
Ainsi la multiplication des besoins devient, dans le domaine économique, le ressort du
progrès.
Le sociologue ne contribue pas à ce progrès, comme le fait l'économiste.
Du moins il l'observe et, autant qu'il le
peut, le mesure pour en faire état.
Sans doute, il s'intéresse surtout aux moeurs, aux idées, aux modalités des
rapports humains...
Mais les besoins font partie du psychisme des peuples qu'il étudie et par leur multiplication
même, révèlent une transformation profonde : des idées nouvelles se sont répandues, l'existence traditionnelle ne
satisfait plus et on aspire à mieux...
Pour le sociologue, ces besoins manifestent une civilisation avancée
le civilisé a une masse de besoins dont le primitif n'a pas la moindre notion.
Ainsi le sociologue et l'économiste ont à l'égard des besoins que le progrès technique multiplie une attitude qui
semble diamétralement opposée à celle du moraliste : ils s'en félicitent au lieu que celui-ci la regrette.
II.
- Y A-T-IL CONFLIT IRRÉDUCTIBLE ?
Le moraliste ne se place évidemment pas au même point de vue que le sociologue et l'économiste.
Mais de cela
même peut résulter que leurs jugements sont moins opposés que complémentaires.
A.
Points de vue différents.
Le moraliste considère la valeur morale de la conduite humaine.
Pour lui ne valent que les actes dans lesquels
l'homme se comporte vraiment en homme, c'est-à-dire en être raisonnable et libre, s'ordonnant lui-même vers ce
qu'il juge bien.
Or le primitif qui a fort peu de besoins semble pouvoir se rapprocher de cet idéal, non seulement aussi
bien que le civilisé aux besoins innombrables, mais beaucoup mieux que lui.
En effet, avec les besoins augmentent
les impulsions qui nous détournent de la poursuite des valeurs proprement humaines.
L'économiste et le sociologue au contraire font abstraction de la valeur morale.
Ils ne tiennent compte que de la
réalité extérieure et se défendent de conjecturer ce qui se passe dans les âmes.
Ainsi l'économiste classe les peuples et les régions d'après les indices que lui fournissent les statistiques officielles
ou les enquêtes privées : produit global par tête d'habitant, consommation d'énergie mécanique, longueur des voies
ferrées, bref, d'après le développement de leur économie.
Peu lui importe le pourcentage des ressources utilisées en
dépenses que réprouve le moraliste.
Le sociologue, lui, ne se cantonne pas dans le domaine matériel et ne classe pas les sociétés d'après leur production.
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