Allégorie de la caverne
Publié le 30/04/2023
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Texte: Platon, La République (extrait)
1) Qui sont les prisonniers de la caverne?
Platon affirme explicitement l'universalité de la représentation allégorique d'une condition
humaine primaire que constitue l'assujettissement des prisonniers.
Avant d'établir les modalités
auxquelles une irréalité systématique soumet les prisonniers, Platon rappelle en effet qu'il s'efforce
de représenter au mieux par cette irréalité "l'état de notre nature relativement à l'instruction et à
l'ignorance ", un enfermement intrinsèque à l'humanité et à l'esprit non éduqués et ainsi réduits à
n'user de que la perception sensible et des croyances sociales, tout au plus de la raison appliquée à
ces visions du monde, pour appréhender le monde phénoménal.
De ce fait, faute de possibilité de
percevoir le réel (ici allégorisant le monde intelligible) que confèrera "l'instruction", les prisonniers
"n'attribueront de réalité qu'aux ombres", dont l'expérience sensible, qu'ils tiendront pour
confrontation immédiate au réel, n'est en réalité que la mal-perception d'une illusion comme réalité.
(La connaissance véritable de soi et d'autrui, la costruction du soi qui en résulte, ses bienfaits
relationnels et sociopsychologiques, leur seront de ce fait également inaccessibles: n'ayant "jamais
vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres", les prisonniers s'assimileront aux
ombres, et leur réalité à la représentation.) Au-delà même de l'impossibilité réelle et causale de
s'extraire de l'illusion, ces hommes qui "nous ressemblent" ne peuvent exercer librement leur raison
qui, même retraçant parfaitement le mouvement des ombres, ne saura jamais décrire ceux des objets
dont l'ombre leur parvient car elle ignorera l'existence même de ces objets, et n'accèdera à leur
essence qu'à travers l'ombre.
(Seul le prisonnier affranchi, allégorie du philosophe, accèdera à
l'intelligible.) Se heurtant aux limites distordantes de la perception évidente et immédiate, acceptant
l'illusion pour monde et le sensible pour vérité, la raison ne donnera lieu à aucune volonté de
s'affranchir – au contraire, les prisonniers ne percevront pas le caractère restrictif de leur condition,
ne pouvant la différencier de la condition libre.
Une lecture sociopolitique de ce récit, où les
marionettistes constitueraient une transposition du système sociopolitique dont émanent les
représentations que tous tiennent pour vraies, amène à concevoir les prisonniers comme des
membres manipulés et assujettis à un système institutionnel non-démocratique où, faute d'éducation
et de possibilité d'exercer librement leur raison, les citoyens n'ont su mettre en place une démocratie
soucieuse du Bien et de la justice.
2) Que représentent les chaînes?
La signification symbolique des chaînes, à la fois jougs et attaches, se construit de l'antithèse
les opposant au monde intelligible auquel elles empêchent les prisonniers d'accéder.
Les chaînes
constituent en effet d'emblée un obstacle à la liberté d'action et de décision que représente le
mouvement, obstacle certes incorporé et extrinsèque ("les jambes et le cou enchaînés") mais
restreignant également l'esprit ("ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les
empêchant de tourner la tête" métonymique de l'esprit), empêchant l'esprit de chacun d'accéder au
réel allégorisant l'intelligible, chacun étant ainsi réduit, "forcé[]" à tenir pour réalité une illusion.
La
contrainte pourtant impersonnelle des chaînes s'impose à chacun mais n'est plus réellement perçue
comme telle, en ceci que sa dimension anormale (dans une perspective extérieure) est effacée faute
d'expérience d'un monde autre, et interdit causalement tout accès à cette expérience autre, tout
mouvement, et indirectement une interaction réellement libre (comme le suggère la proposition
circonstantielle de condition "si donc ils pouvaient d'entretenir ensemble").
La chaîne de chaque
prisonnier, attache astreignant à cette condition primaire, l'assujettit ainsi à une position préétablie
dans le pseudo-monde restreint que constitue la caverne et l'ensemble des prisonniers, ensemble qui
ne peut se connaître ni réellement devenir communauté faute d'interaction.
Toutefois une
interprétation sociopolitique de ce récit suggère d'attribuer à la chaîne, contrainte et attache, un
signifié renvoyant à la sphère politique, à la soumission des êtres de chaque prisonnier non
seulement au dogme que deviennent les croyances émergeant parmi l'entassement de personnes
soumises à cette condition, mais également à l'impossibilité de s'en extraire (vers une croyance
rationnelle) qu'impose une tyrannie, l'entretenant par l'impossibilité d'une véritable éducation source
de liberté (le prisonnier affranchi étant libre dans le monde intelligible) dans l'objectif de se servir
du dogme pour soumettre et se maintenir.
3) Que représentent les ombres?
Les ombres que les marionettistes reconstruisent au regard des prisonniers se définissent
comme signifiantes par leur caractère perceptible.
Se présentant en phénomènes à la perception
sensible immédiate des prisonniers, les ombres constituent en effet des représentations simplistes et
réductrices d'éléments d'un monde artificiel, que les marionettistes mettent en place par les
propriétés structurelles de ce système.
Lorsqu'un marionettiste place un objet entre la source de
lumière (équivalente ici à une notion de perceptibilité) et la paroi, lorsque des formes-signes
évoquant certaines caractéristiques phénoménales de ces objets (et non forcément leur essence,
celle-ci relevant de l'intelligible allégorisé par le réel, ni de leur substance presque effacée) sont
"projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face", se laissent deviner des objets dont
émaneraient ces ombres tenues par les prisonniers pour les objets eux-mêmes comme substance.
Le
caractère factice de ce que perçoivent de cette manière les prisonniers qui "n'attribueront de réalité
qu'aux ombres des objets fabriqués" transparaît avec une explicitude particulière dans la
contradiction que l'on constate entre la réalité et la perception sonore des paroles-échos perçues
comme émanant des ombres elles-mêmes et non des marionettistes – alors que les prisonniers
croiraient n'entendre "autre chose que l'ombre qui passerait devant eux", sachant qu'il est
physiquement et causalement impossible qu'une ombre émette une parole, l'auditeur constatera que
l'illusion des ombres parlantes, que les prisonniers tiennent pour réel, est tout à fait contraire à la
réalité.
Limites du sensible, les ombres ne permettent qu'un usage restreint de la raison – les ombres
restant malgré tout illusoires et ne permettant aucun accès à l'intelligible, auquel la délivrance par la
philosophie est nécessaire; comprendre les dynamiques de ces ombres ne permet pas aux
prisonniers de saisir l'intelligible de l'essence des objets dont elles sont perçues comme signifiants.
Décrire les mouvement des ombres ne revient en aucun cas à décrire la substance ni l'essence des
objets auxquels la perception assimile ces ombres.
Sciemment disposées par les marionettistes, les
conceptions que laissent construire les dynamiques des ombres deviennent, du fait de leur place
d'unique expérience d'un monde, ces ombres-phénomènes perçus laissent émerger et représentent
des croyances communes érigées en dogmes sociopolitiques, même irrationnels, s'imposant même
au prisonnier délivré allégorisant le philosophe, restreignant la liberté de penser de chacun, et ne
pouvant être questionnés, faute de....
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