Alain: Peut-on refuser l'inconscient ?
Extrait du document
«
Être conscient, c'est d'abord être affecté par quelque chose, aussi la conscience peut-elle apparaître comme
essentiellement réceptive, voire passive.
La conscience est-elle libre, ou déterminée ? La conscience signifie-t-elle
l'acceptation résignée de l'ordre des choses, ou se définit-elle au contraire par sa capacité à le transcender, voire à le
refuser ? Se définit-elle dans la soumission ou dans la révolte ? Paradoxalement, le fait de prendre conscience de sa
propre impuissance peut aussi signifier être libre.
Connaître le bien et le mal, être capable d'en juger, est aussi du ressort de la conscience.
Jugeons-nous en toute
indépendance, ou sommes-nous influencés par notre éducation ? De plus, ce qui est bien pour l'un l'est-il
nécessairement pour l'autre ? Et s'il s'agit avant tout de soi, ne faut-il pas se connaître, pour savoir ce qui est bien
pour soi ?
L'idée d'un inconscient psychique pose deux types de problèmes.
D'abord la conscience peut paraître, non pas le lieu
d'une révélation ou d'une vérité, mais au contraire la source de l'illusion.
Prendre conscience pourrait signifier se
tromper sur soi-même et sur les choses.
D'autre part, l'hypothèse d'un inconscient dominateur nous conduit à mettre
en question la liberté humaine, l'autonomie individuelle, si tant est que celle-ci ait son siège et sa garantie dans la
conscience seule.
La conscience est-elle capable de porter un jugement critique sur elle-même, de s'interroger ? Sans
doute plus que l'instinct, et ce pouvoir de délibération ramènerait la liberté du côté de la conscience.
Avec la complicité de la raison, pour des raisons de convenance, la conscience nous empêche d'être nous-même et de
nous exprimer.
Ma conscience serait en réalité le regard d'autrui.
Quant à l'inconscient, ce qui peut en faire aussi une
hypothèse contraire à la liberté humaine, est qu'elle nous renvoie au corps.
Entre autres raisons parce que nos
fonctions physiologiques échappent pour une large part non seulement à notre conscience, mais aussi à notre
contrôle.
Il n'en va pas de même de nos actions, par lesquelles nous inscrivons délibérément notre subjectivité dans le monde.
Mais ces actions suffisent-elles pour autant à nous définir ? Le moi est-il bien ce qui se manifeste à travers elles, ou
est-il caché par elles ? Que reste-t-il alors de l'individualité de chacun, sinon une histoire fabriquée par une conscience
?
Qu'est-ce que le sujet, l'individu ? Peut-on réellement définir ce qui ne change pas, ce qui reste immuable dans un
être, au-delà de toutes les modifications que le temps et les circonstances ont apportées ? Ces modifications ne
constituent-elles pas de surcroît cet être dans son existence actuelle ?
Sommes-nous un être isolé, ou faisons-nous partie d'un tout? Est-ce la conscience qui, restant la même, permettrait
de définir cette identité, ou bien est-elle aussi soumise au monde et à l'histoire ? Deux conceptions s'affichent, l'une
qui fait de la conscience un guide, un prescripteur faisant écho aux exigences sociales, l'autre qui la conçoit comme
une instance critique, soucieuse avant tout de liberté.
ALAIN: Il y a de la difficulté sur le terme d'inconscient.
Le principal est de comprendre comment la psychologie a
imaginé ce personnage mythologique.
Il est clair que le mécanisme échappe à la conscience, et lui fournit des résultats
(par exemple, j'ai peur) sans aucune notion des causes.
En ce sens la nature humaine est inconsciente autant que
l'instinct animal et par les mêmes causes.
On ne dit point que l'instinct est inconscient.
Pourquoi ? Parce qu'il n'y a
point de conscience animale devant laquelle l'instinct produise ses effets.
L'inconscient est un effet de contraste dans
la conscience.
On dit à un anxieux : Vous avez peur ce dont il n'a même pas l'idée ; il sent alors en lui un autre être
qui est bien lui et qu'il trouve tout fait.
Un caractère, en ce sens, est inconscient.
Un homme regarde s'il tremble afin de savoir s'il a peur.
Ajax, dans l'Iliade, se dit : Voilà mes jambes qui me poussent !
Sûrement un dieu me conduit ! Si je ne crois pas à un tel dieu, il faut alors que je croie à un monstre caché en moi.
En
fait l'homme s'habitue à avoir un corps et des instincts.
Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente
le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité.
Le freudisme, si fameux, est un art d'inventer en chaque homme un
animal redoutable, d'après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours
interprété leurs rêves, d'où un symbolisme facile.
Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont toujours ce qu'il y a
d'indirect.
Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi,
auxquels on assiste.
On devine par là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation.
L'homme est obscur à luimême ; cela est à savoir.
Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient.
La plus grave
de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ;
une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller.
Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous,
sinon par l'unique sujet, Je.
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Quel est le véritable sens de la notion d'inconscient, selon Alain ?
2 Quelles expériences peuvent conduire à l'idée que nous serions gouvernés
par un inconscient ?
3 Quelle interprétation de l'inconscient faut-il récuser résolument ?.
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