Aide en Philo

Alain

Extrait du document

Nos idées, par exemple de mathématique, d'astronomie, de physique, sont vraies en deux sens. Elles sont vraies par le succès ; elles donnent puissance dans ce monde des apparences. Elles nous y font maîtres, soit dans l'art d'annoncer, soit dans l'art de modifier selon nos besoins ces redoutables ombres au milieu desquelles nous sommes jetés. Mais, si l'on a bien compris par quels chemins se fait le détour mathématique, il s'en faut de beaucoup que ce rapport à l'objet soit la règle suffisante du bien penser. La preuve selon Euclide n'est jamais d'expérience ; elle ne veut point l'être. Ce qui fait notre géométrie, notre arithmétique, notre analyse, ce n'est pas premièrement qu'elles s'accordent avec l'expérience, mais c'est que notre esprit s'y accorde avec lui-même, selon cet ordre du simple au complexe, qui veut que les premières définitions, toujours maintenues, commandent toute la suite de nos pensées. Et c'est ce qui étonne d'abord le disciple, que ce qui est le premier à comprendre ne soit jamais le plus urgent ni le plus avantageux. L'expérience avait fait découvrir ce qu'il faut de calcul et de géométrie pour vivre, bien avant que la réflexion se fût mise en quête de ces preuves subtiles qui refusent le plus possible l'expérience, et mettent en lumière cet ordre selon l'esprit qui veut se suffire à lui-même. Il faut arriver à dire que ce genre de recherches ne vise point d'abord à cette vérité que le monde confirme, mais à une vérité plus pure, toute d'esprit, ou qui s'efforce d'être telle, et qui dépend seulement du bien penser. Alain

« "Nos idées, par exemple de mathématique, d'astronomie, de physique, sont vraies en deux sens.

Elles sont vraies par le succès ; elles donnent puissance dans ce monde des apparences.

Elles nous y font maîtres, soit dans l'art d'annoncer, soit dans l'art de modifier selon nos besoins ces redoutables ombres au milieu desquelles nous sommes jetés.

Mais, si l'on a bien compris par quels chemins se fait le détour mathématique, il s'en faut de beaucoup que ce rapport à l'objet soit la règle suffisante du bien penser. La preuve selon Euclide (1) n'est jamais d'expérience ; elle ne veut point l'être.

Ce qui fait notre géométrie, notre arithmétique, notre analyse, ce n'est pas premièrement qu'elles s'accordent avec l'expérience, mais c'est que notre esprit s'y accorde avec luimême, selon cet ordre du simple au complexe, qui veut que les premières définitions, toujours maintenues, commandent toute la suite de nos pensées.

Et c'est ce qui étonne d'abord le disciple, que ce qui est le premier à comprendre ne soit jamais le plus urgent ni le plus avantageux.

L'expérience avait fait découvrir ce qu'il faut de calcul et de géométrie pour vivre, bien avant que la réflexion se fà»t mise en quête de ces preuves subtiles qui refusent le plus possible l'expérience, et mettent en lumière cet ordre selon l'esprit qui veut se suffire à lui-même.

Il faut arriver à dire que ce genre de recherches ne vise point d'abord à cette vérité que le monde confirme, mais à une vérité plus pure, toute d'esprit, ou qui s'efforce d'être telle, et qui dépend seulement du bien penser." (1) Euclide : mathématicien grec du IIIe siècle. Repérer le thème du texte, l'objectif de l'auteur et sa thèse. Thème : le vrai doit être compris en deux sens. Objectif de l'auteur : montrer que la vérité pure relève de la seule pensée. Thèse : la vérité est l'accord de l'esprit avec lui-même. Présenter l'ordre logique selon lequel s'articulent les idées en les expliquant. L'auteur annonce d'emblée le thème de sa réflexion : nos idées, dans les sciences par exemple, sont vraies en deux sens. Le premier sens du mot "vrai" est explicité par le terme "succès".

Explication : une idée est vraie lorsqu'elle permet une action efficace sur le monde.

L'efficacité est preuve de vérité.

Effectivement une loi physique est vérifiée lorsqu'à partir d'elle on prévoit un phénomène et que cette prévision est confirmée par les faits.

Par ailleurs la connaissance des lois permet de transformer la nature pour satisfaire nos besoins.

"On ne commande à la nature qu'en lui obéissant", disait Bacon.

Ainsi une idée vraie en ce premier sens donne "puissance dans ce monde". RAPPEL: "On ne commande à la nature qu'en lui obéissant" BACON Cette phase signifie que, pour agir ou transformer la nature, il convient d'en connaître les mécanismes.

Ce n'est pas, par exemple, en rêvant comme Icare au vol des oiseaux que l'homme a pu s'élever dans les airs mais en dégageant les lois de la physique.

Bacon rompt ici avec une attitude purement passive et contemplative de la Nature qui était le propre des Anciens. Que suppose qu'on tire efficacité d'une idée ? A quelles conditions cela est-il possible ? Ces questions nous amènent à approfondir ce sens du mot vrai.

La réponse est reprise en plusieurs endroits du texte on peut retenir cette expression : les idées sont vraies en ce "qu'elles s'accordent avec l'expérience".

Autrement dit elles coïncident avec le réel, ce qui est une définition de la vérité.

Ainsi dans ce premier sens, est vraie l'idée conforme à l'objet, confirmée par "le monde" c'est-à-dire par les faits.

On retrouve ici le principe de l'expérimentation scientifique et de la vérification des hypothèses. Le second sens du vrai s'oppose à celui-ci.

Il est d'abord présenté négativement : le critère n'est plus l'accord avec l'expérience, on ne cherche plus la preuve dans la confrontation aux faits ; bien plus il y a refus de l'expérience. Comment alors le définir positivement ? Par l'accord de l'esprit avec lui-même.

Pour comprendre cette définition, il faut examiner, comme le suggère Alain, ce qui se passe en Mathématiques.

Un théorème de géométrie, d'où vient sa vérité, comment est-elle établie ? Non par vérification expérimentale par un calcul extrêmement précis sur des figures, mais par démonstration.

Qu'est-ce donc qu'une démonstration ? C'est une pure démarche de pensée qui, partant d'une définition ou d'un théorème déjà établi, par déduction parvient à une conclusion qui s'impose nécessairement.

Tout le génie d'Euclide réside en cette conversion d'une géométrie pratique, mesure des sols, à un système purement pensé par raisonnement.

La seule condition qu'impose alors la vérité, c'est la validité du raisonnement, c'est-à-dire la noncontradiction.

Autrement dit, l'esprit, maniant ses propres idées, ne doit pas se contredire au cours de sa démarche, mais rester en accord avec lui-même.

Cette démarche est assimilée à un "ordre du simple au complexe" en ce sens que des affirmations premières, définitions ou axiomes, qui sont désignées par le mot "simple", le raisonnement enchaînera logiquement toute une suite de conséquences, qui sont désignées par le mot "complexe".

On reconnaît dans cette expression les termes qu'utilise Descartes pour formuler la troisième règle de sa méthode.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles