Abstraire, est-ce se couper du réel ?
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Abstraire apparaît d'emblée comme le contraire d'agir au niveau réel. En effet, c'est se livrer à un exercice de l'esprit. Bien plus, même sur le plan de la conscience ou de la pensée, abstraire semble s'opposer radicalement à l'action. D'abord, abstraire n'est pas concevoir au sens de la psychologie classique (c'est-à-dire se représenter une action avant de l'accomplir). Au niveau de la pensée réfléchie, le problème reste identique puisque le fait d'abstraire n'est censé obéir à aucune finalité pratique : abstraire, ce n'est pas réfléchir avant d'agir.
Cependant, on ne saurait se limiter à envisager une opération de l'esprit comme devant nécessairement être au service d'une action concrète sur le réel. Car il y a un autre moyen, plus conforme à sa nature, par lequel l'esprit peut établir un contact avec le réel : c'est sur le mode de l'appréhension du monde. Mais, il faut immédiatement préciser qu'abstraire ne renvoie pas à un mode de perception directe des choses qui constituent le réel sensible. Le fait d'abstraire n'a donc sur ce plan-là rien à voir avec l'expérience, au sens d'intuition directe du réel.
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Souvent, quand on parle d'abstraire, on est loin de donner à cette opération une quelconque valeur réelle.
Abstraire, ce serait se situer uniquement du côté de l'abstrait, de la théorie et de la spéculation, alors qu'être dans
le réel, ce serait toujours être du côté du concret, de la pratique et de l'action.
Pourquoi alors se demander si abstraire, c'est se couper du réel ? Mais les pôles de l'abstraction et du réel
laissent, tous les deux, place à la manifestation d'un sujet, ce qui invite à réviser une opposition supposée radicale.
En effet, un sujet entre en relation avec le réel autant par l'activité de son esprit et sa faculté d'abstraction que
par sa présence et son activité concrète dans le monde.
La question est alors de savoir en quoi abstraire participe à notre manière d'être au monde ? Mais d'abord,
qu'est-ce qui justifie la condamnation de l'abstraction comme une activité qui nie le réel ? Ce jugement ne traduit-il
pas une méconnaissance de la valeur réelle de l'abstraction ? Enfin, n'y a-t-il pas des limites et conditions à poser
en association avec cette valeur ?
Abstraire apparaît d'emblée comme le contraire d'agir au niveau réel.
En effet, c'est se livrer à un exercice
de l'esprit.
Bien plus, même sur le plan de la conscience ou de la pensée, abstraire semble s'opposer radicalement à
l'action.
D'abord, abstraire n'est pas concevoir au sens de la psychologie classique (c'est-à-dire se représenter une
action avant de l'accomplir).
Au niveau de la pensée réfléchie, le problème reste identique puisque le fait d'abstraire
n'est censé obéir à aucune finalité pratique : abstraire, ce n'est pas réfléchir avant d'agir.
Cependant, on ne saurait se limiter à envisager une opération de l'esprit comme devant nécessairement être
au service d'une action concrète sur le réel.
Car il y a un autre moyen, plus conforme à sa nature, par lequel l'esprit
peut établir un contact avec le réel : c'est sur le mode de l'appréhension du monde.
Mais, il faut immédiatement
préciser qu'abstraire ne renvoie pas à un mode de perception directe des choses qui constituent le réel sensible.
Le
fait d'abstraire n'a donc sur ce plan-là rien à voir avec l'expérience, au sens d'intuition directe du réel.
Cela est vrai, mais le réel vaut non seulement comme réel perçu mais aussi comme réel représenté.
Or
l'opération d'abstraction est justement connotée à un mode de représentation intellectuelle (et pas du tout
sensible).
Autrement dit, l'utilité de cette opération serait à chercher moins du côté de la perception sensible que de
la connaissance intellectuelle.
Mais même ici, le sens courant apparente l'abstraction à un processus stérile et vide
de sens.
Abstraire ne produirait que des abstractions c'est-à-dire des généralités vagues et éloignées du réel vécu.
Ainsi, sur tous les plans, pragmatique, pratique ou même théorique, abstraire ne semble que consommer un
divorce total avec le réel.
On le comprend d'autant mieux, qu'abstraire signifie couramment faire abstraction c'està-dire négliger, sur le plan théorique comme sur le plan pratique.
Il est clair, par exemple, que faire abstraction du
marché réel pour évaluer ou bien assurer la bonne marche d'une entreprise peut conduire à des méprises et à des
mécomptes graves.
Dans ces conditions, abstraire ne permet en aucun cas de retrouver le réel, et encore moins
d'avoir prise sur lui.
D'où l'expression se perdre dans des abstractions.
Cela signifie au mieux produire un discours,
mais un discours creux et vide de sens.
Mais l'opinion rend-elle vraiment compte de l'opération d'abstraction ? En effet, si abstraire était seulement
synonyme de faire abstraction c'est-à-dire éliminer de son esprit et non produire quoi que ce soit, comment se fait-il
que cette opération fournisse malgré tout ne serait-ce que des abstractions ? Cette activité est peut-être moins
une non-activité qu'une activité niée.
En effet, on oublie souvent qu'abstraire signifie aussi considérer à part un élément du réel.
A ce titre,
Bergson a montré dan son œuvre appelée La Pensée et le Mouvant, que l'abstraction est un processus de saisie
essentiel dans l'ensemble du règne animal.
C'est ce processus qui permet la reconnaissance d'un objet à travers
celle de ses caractéristiques intéressantes, et donc isolées comme telles par le sujet.
Bergson rejoint ainsi un texte
de Rousseau, celui-ci se demande en effet, comment un singe, par exemple, reconnaîtrait à chaque fois une noix
différente, dans son existence concrète et singulière, d'une autre noix, s'il n'a pas en quelque sorte abstrait des
qualités comme une forme, ou une couleur spécifiques ? Comme on peut le voir, l'abstraction va jusqu'à conditionner
l'action dans le réel.
Le texte de Rousseau illustre par ailleurs cette affirmation de Bergson : " Chez tous les animaux
autres que l'homme, abstraction et généralisation sont vécues et non pas pensées ".
Mais, Rousseau associe plus
nettement l'abstraction à l'homme et à la naissance du langage, " car, dit-il, pour ranger les êtres sous des
dénominations communes et génériques, il en fallait connaître les propriétés et les différences ".
Or connaître les
propriétés et les différences implique de les avoir au préalable isolées par abstraction.
Et puisqu'il est question de
propriétés distanciées grâce au langage, il en résulte que l'abstraction est bien une opération purement
intellectuelle.
Abstraire, c'est alors détacher intellectuellement des propriétés de leur support concret.
Mais quel est
plus précisément le rapport entre abstraction, langage et réel ?
Benveniste (dans son œuvre intitulé Problème de linguistique générale) relie ces trois notions en définissant.
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