A-t-on le droit d'obliger quelqu'un à vivre ?
Extrait du document
«
[Dans la mesure où l'on affirme que la vie humaine est une valeur et que respecter les valeurs est un
devoir, on a le droit d'obliger quelqu'un à vivre, car on a le devoir de faire respecter les valeurs.]
La vie est une valeur absolue
Comme l'ont montré aussi bien Baruch Spinoza qu'Emmanuel Kant, nulle éthique ne peut accepter de
quiconque qu'il renonce à se conserver.
C'est une impossibilité radicale parce qu'une telle acceptation serait
en contradiction avec l'affirmation de la valeur de la vie.
«Une nature dont la loi serait de détruire la vie (...)
serait en contradiction avec elle-même.» (Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs).
Kant
fera de la personne une valeur absolue.
La personne est ce qui se distingue de la chose, comme la fin se
distingue des moyens.
Tout être dont l'existence ne dépend pas de la libre
volonté, mais de la nature, n'a qu'une valeur relative, c'est-à-dire en rapport avec
autre chose que lui-même.
Les êtres naturels sont des choses.
Les êtres
raisonnables, c'est-à-dire capables d'agissements libres, sont des personnes,
c'est-à-dire des fins en soi.
Ils ne peuvent servir simplement comme moyens, et
par suite limitent notre libre activité, puisqu'ils sont l'objet d'un inconditionnel
respect.
La personne est une fin objective, dont l'existence même est une fin en
soi, qui ne peut être remplacée par aucune autre.
Étant fin en soi, on lui doit un
absolu respect.
La personne humaine est la seule valeur absolue existante, il n'y
en a pas d'autres sur le plan pratique.
L'impératif catégorique pour toute volonté
humaine repose donc sur le principe que : "La nature raisonnable existe comme fin
en soi." C'est ainsi que nous devons nous représenter notre propre
existence ainsi que celle d'autrui, et ce principe doit sous-tendre toutes nos
actions.
La moralité, soit l'usage de la raison dans le domaine pratique, repose par
conséquent sur la maxime suivante : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité,
aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en
même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen."
Tu ne tueras pas
Chez les Stoïciens, on trouve des penseurs pour affirmer qu'il est permis, et même courageux, de mettre soimême un terme à une vie trop dure.
Mais, ces mêmes Stoïciens disent aussi que, en définitive, le droit de
sortir de la scène où chacun a été introduit est réservé au «Maître du Théâtre», c'est-à-dire à Dieu.
Chaque
homme doit se persuader que la Providence lui a assigné un rôle à jouer sur la terre.
Il ne doit pas désirer
changer de rôle ou de condition, mais il doit s'efforcer de jouer correctement son rôle ; « Souviens-toi que tu
joues dans une pièce qu'a choisie le metteur en scène: courte, s'il l'a voulue courte, longue, s'il l'a voulue
longue.
S'il te fait jouer le rôle d'un mendiant, joue-le de ton mieux; et fais de même, que tu joues un boiteux,
un homme d'Etat ou un simple particulier.
Le choix du rôle est l'affaire d'un autre.
» (Pensée 17).
Le même interdit se retrouve dans les commandements bibliques.
Mon corps n'appartient pas qu'à moi.
Par définition, je ne suis pas véritablement propriétaire de mon corps.
L'idée même « d'appropriation », qui
s'applique au domaine des biens, est inconcevable pour une personne car ce n'est pas un objet.
D'autant plus
que la propriété a trois caractéristiques.
La première est le droit d'usus, c'est-à-dire la liberté de disposer de
son corps.
La seconde est le droit de fructus, soit la possibilité d'utiliser son corps à des fins commerciales.
Enfin, la troisième est le droit d'abusus, c'est-à-dire avoir le choix de conserver ou non mon corps dans son
intégralité.
Dans la réalité, seul le droit d'usus est vérifié (bien que l'on puisse considérer que je ne dispose
pas entièrement de mon corps dans la sexualité puisque, par exemple, la doctrine de Sade est majoritairement
rejetée).
Ainsi, je ne dispose pas, pratiquement, du droit de fructus : la prostitution est condamnée
socialement, juridiquement et religieusement, le recours à une mère-porteuse (qui est donc rémunérée) reste
encore illégal dans la plupart des pays, faire des spectacles avec des gens difformes (comme Elephant Man)
est répréhensible et socialement rejeté.
Je ne peux donc utiliser mon corps à des fins commerciales.
Enfin, le
droit d'abusus ne s'applique pas non plus avec le corps.
Aux États-unis, il est maintenant quasiment interdit
de fumer : je me dois de conserver mon corps dans sa totalité.
Je n'ai pas le droit de me détruire petit à petit.
Aussi, la plupart des systèmes de lois punissent-ils l'assistance au suicide ou à la mutilation.
Ainsi, en
m'interdisant de jouir du droit de fructus et d'abusus, la justice s'octroie un droit de regard sur la façon dont
je traite mon corps.
En France, arrêté à un contrôle de police, je ne peux ni refuser un alcotest ni une prise de sang.
Mon corps
n'est donc plus soumis à mon autorité mais à celle de la justice.
En effet, dans le modèle français, l'Homme.
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