A quoi reconnaît-on qu'une expérience est scientifique ?
Extrait du document
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L'expérience possède une place privilégiée au sein des sciences, notamment depuis l'émergence des sciences
expérimentales.
Cependant, quels critères appliquer afin de déterminer la scientificité d'une expérience ?
Si le concept d'expérience relève d'abord du champ de la pratique – au sens d'une expérience personnelle – il
s'agit de montrer comment elle peut s'intégrer dans un système théorique.
Or, le peut-elle sans condition ? Nous
verrons ce que l'expérience suppose afin d'acquérir une qualité scientifique, au point même de se demander si elle ne
serait pas en soi une création.
En effet, la simple observation de faits naturels, fût-elle répétée, suffit-elle à faire
d'une expérience quelque chose de scientifique ?
I – Les différents sens de l'expérience
L'expérience est un concept polysémique, c'est-à-dire qui possède plusieurs sens.
Il peut s'agir, à un premier
niveau, d'une forme de pratique acquise au fil du temps.
Ainsi, quelqu'un qui a longtemps exercé un métier possède
une solide expérience en la matière.
Toutefois, il nous est demandé de nous interroger sur la qualité scientifique de
l'expérience ; c'est donc en d'autres termes que nous devrons comprendre l'expérience : au sens où elle ne fait plus
appel à une pratique, mais à un savoir.
Dès lors, un premier axe de réflexion se dégage : si l'expérience ne peut pas être comprise comme une
pratique, c'est que l'on exclut l'expérience du vendeur par exemple, mais aussi l'expérience comme confrontation à
des faits.
Expliquons-nous.
Peut-on dire que l'expérimentateur, dans son laboratoire, se contente d'observer des
faits ? Par exemple, la réaction qui se produit quand deux gaz se rencontrent.
En ce sens, le scientifique se livre-t-il
uniquement à une pratique ?
Je puis, en tant que spectateur ignorant tout des lois scientifiques, constater la même chose que le
scientifique (telle explosion, tel changement de couleur dans une solution, etc.) ; mais pourrais-je comprendre ce
qui s'est réellement passé ? Pourrais-je donner un sens à ces faits, sans me borner à les décrire ? Ainsi, le
scientifique fait bien appel à un savoir : or, qu'est-ce que cela signifie et est-ce en ce sens que l'expérience devient
véritablement scientifique ?
II – Duhem et l'expérience de physique
L'idée d'expérience est liée, au premier abord, à la notion de pratique ; cependant, cette pratique peut-elle
s'entendre, s'avérer féconde et être scientifique si elle n'est pas reliée à un savoir, c'est-à-dire un ensemble de
théories, de lois et de propositions lui donnant son sens ? Pour le physicien Pierre Duhem, une expérience
scientifique correspond précisément à cette liaison entre observation des faits et interprétation théorique.
Sans
cela, l'expérience reste une pratique, un événement inerte qui ne peut rien nous apprendre sur quoi que ce soit.
En effet, l'expérience scientifique n'est pas simplement la production en laboratoire de tel ou tel phénomènes,
au moyen d'instruments appropriés permettant son observation minutieuse.
Duhem prend ainsi l'exemple d'un
physicien dont l'expérience produit l'oscillation d'une bande lumineuse sur une règle en celluloïd ; celui-ci est-il en
train de constater l'oscillation de la bande lumineuse ? Non, il mesure la résistance électrique d'une bobine.
Or, pour
comprendre cela, il ne faut pas se contenter d'observer, mais il faut aussi interpréter.
L'expérience est donc scientifique uniquement dans la mesure où les faits pratiques sont interprétés grâce à
une théorie, c'est-à-dire replacés dans un ensemble de propositions abstraites au moyen d'un symbolisme abstrait :
les mathématiques.
III – La nature de l'expérience scientifique selon Hacking
De ce point de vue, l'expérience devient scientifique lorsqu'elle quitte le terrain naïf des faits.
Il est encore
possible de dire qu'elle ne devient scientifique que dans la mesure où elle est construite.
Poursuivant l'idée de
Duhem, Hacking montre que l'expérience scientifique est proprement créée dans les laboratoires.
En effet, il s'agit de lutter contre l'idée selon laquelle les phénomènes naturels seraient là, attendant d'être
découverts et analysés par la science.
Or, les scientifiques ne se livrent jamais simplement à des observations
naturelles, mais créent en laboratoire, où la contingence des phénomènes est réduite grâce à des instrument et des
théories sophistiquées, des expériences nouvelles, qui n'ont pas leur équivalent dans la nature.
Ces phénomènes purs et isolés constituent la base de l'expérimentation scientifique.
Or, de ce point de vuelà, l'expérience n'est plus ce qui est promu au rang scientifique par l'interprétation que l'on en fait, mais par le statut
propre qui est le sien : l'expérience ne devient pas scientifique ; elle l'est ou pas.
Conclusion :
Ainsi, l'expérience recouvre un champ conceptuel large, qui s'étend de la simple pratique au savoir théorique
lui-même.
Or, afin de devenir proprement scientifique, c'est-à-dire, étymologiquement, de relever de la sphère de la
connaissance, l'expérience doit se plier aux exigences d'une interprétation symbolique, abstraite et mathématique.
Cependant, il ne faut pas croire que l'expérience est scientifique dès qu'elle se soumet à l'interprétation.
De fait,
l'expérience est scientifique ou ne l'est pas : il ne s'agit donc pas de plaquer une interprétation sur n'importe quelle
expérience, mais de la créer et d'amener avec elle tout un protocole fait de théories et de lois au sein desquelles.
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