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A quels caractères reconnaît-on l'intelligence pratique ?

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« Longtemps, la notion d'intelligence pratique n'a pu exister dans le vocabulaire de la psychologie.

Lorsque les philosophes parlaient d'intelligence, ils s'adressaient directement au pouvoir qu'ont les hommes de traduire leur pensée en langage et d'user de ces objets de pensée que sont les concepts, les idées abstraites et générales. Parler d'intelligence pratique; c'est rompre avec cette psychologie traditionnelle et rechercher les signes de l'intelligence dans des conduites et non dans des pensées, dans des mouvements et non dans des idées.

C'est nécessairement chercher des observations de psychologie objective, quitte, par la suite, à les compléter, les corriger, ou les interpréter, pour les relier aux informations que nous fournit l'introspection. L'intelligence pratique, avons-nous dit, ne peut être mise en évidence qu'à partir de l'étude objective des mouvements ou du comportement d'un être, soit animal, soit humain.

Mais ici une première difficulté apparaît : Dans le très grand nombre des mouvements effectués par un animal, un enfant, ou un adulte, comment allons-nous procéder pour distinguer des formes d'action frustes et brutales des formes « intelligentes » ? En effet, si nous pouvons caractériser une intelligence pratique, elle se situera nécessairement, et par rapport aux actes instinctifs, et par rapport aux actes élaborés par l'intelligence conceptuelle, au moyen de symboles et de signes. Il est une longue tradition psychologique qui oppose instinct et intelligence.

Les actes instinctifs, — si on laisse de côté les simples réactions du type réflexe, — sont déjà une conduite complexe qui se manifeste en réponse aux excitations externes.

On admet que cette conduite est agie sans apprentissage préalable, qu'elle fait partie des dispositions organiques de l'animal.

On a pu dresser l'instinct en face de l'intelligence, principalement à propos des conduites de savoir-faire.

Les célèbres descriptions de Fabre des moeurs des insectes, araignées, fourmis, sphex, etc., ont conduit à une définition de l'instinct où les caractères de Spécificité, d'immuabilité et d'innéité suffiraient presque à dire que ce n'est pas l'intelligence pratique.

Ils sont des automatismes, des actes stéréotypés, qui se reproduisent toujours identiques à eux-mêmes, d'avance estimés parfaits. On sait que des études de psychozoologie plus récentes ont contesté ces caractères, et tendent précisément à admettre une forme d'intelligence chez les animaux, une intelligence qui, bien entendu, ne se manifeste pas par un langage conceptualisé, mais par des réactions qui s'opposent directement à l'automatisme. Si nous plaçons un animal dans une situation à laquelle les réactions ordinaires ne peuvent faire face, nous obtiendrons deux types de comportement.

Soit la célèbre expérience du détour, dans laquelle on interpose un obstacle entre une nourriture alléchante et l'animal, un grillage par exemple, la face opposée de l'enceinte restant libre.

Une poule se précipite sur le grillage, recule, recommence, va et vient, sans fin, à moins que, par hasard, elle découvre l'issue.

Un chien essaye une ou deux fois d'atteindre directement la nourriture, puis il fait le détour.

La méthode des tâtonnements représente une conduite primitive.

On peut donc déterminer le niveau d'intelligence pratique de l'animal ou de l'enfant à partir d'une série de tests : problèmes de détour, problèmes d'éloignement, des obstacles.

La première caractéristique de cette intelligence sera la rapidité avec laquelle un animal est instruit par ses échecs ou erreurs; l'intelligence pratique, c'est d'abord savoir, grâce à l'expérience, corriger sa conduite. Contrairement aux conduites stéréotypées, la conduite intelligente est capable d'adaptation devant une situation nouvelle, de réagir par une conduite nouvelle, aux objets et aux conditions extérieures encore inconnus.

Autrement dit, une des caractéristiques du comportement intelligent est sa plasticité.

On peut remarquer ici que la plus grande difficulté consiste dans une inhibition des suggestions motrices de l'instinct.

Quand la poule aperçoit, à travers le grillage, la poignée de graine, sa réaction première est et reste de se précipiter Sur elle.

Elle est incapable de rompre le circuit perceptivo-moteur qui est une exigence de ses automatismes.

Le chien, au contraire, n'est pas soumis à ce circuit, il peut substituer une conduite mieux adaptée à la situation.

Bien entendu, il existe des degrés d'adaptation, et l'on en peut échelonner la plus ou moins grande précision. Dans le court laps de temps durant lequel le sujet freine ses automatismes, nous pouvons admettre que s'opère une véritable réorganisation du champ perceptif et que la découverte de la solution constitue une invention de ce qui reste à faire. Ceci est très sensible dans les problèmes d'utilisation d'instruments, et constitue ce qu'on appelle d'ordinaire l'ingéniosité.

On place hors de portée de l'animal une nourriture, et, dans le même champ perceptif, on dispose des caisses, des bâtons.

L'animal intelligent est capable de transformer une caisse qui est là, en moyen d'action.

Audelà, un animal, le Sultan de Koelhen, était capable de transformer des objets inutilisables immédiatement en instruments efficaces, par exemple, en enfilant l'un dans l'autre des bambous, — trop courts séparément, — pour réaliser une perche de longueur suffisante. Une caractéristique de l'intelligence pratique, est la possibilité de construire des instruments, de prolonger le bras et la main par des outils.

L'homme n'est pas seulement un inventeur de concepts, mais un homo faber, un homme artisan. Outre la station droite (qui élargit notablement le champ perceptif), la main — organe « à tout faire », non spécialisé — manifeste hautement l'essence du travail humain (en particulier, le fait que le pouce soit opposable aux autres doigts favorise la préhension et le maniement des objets). La main n'est « pas un outil, mais plusieurs » (Aristote, IVe siècle av.

J.C, Traité des Parties des animaux).

La main, a écrit Kant (XVIIIe s.) signale chez l'homme le « congé définitif» que l'intelligence donne à l'instinct. La main, organe doué d'expressivité.

Pensez aussi au caractère éminemment individuel de la main : empreintes digitales, graphologie, lignes de la main, expressivité de la main du musicien, etc. A la différence de l'animal, l'homme crée les moyens de son travail : les outils.

L'outil est une sorte de ruse de la raison, qui se détourne provisoirement du but à atteindre, pour construire un moyen d'action efficace : fabriquer un. »

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