A quelles conditions un dialogue est-il véritable ?
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RAPPEL DE COURS: LE DIALOGUE
Dans les Méditations métaphysiques (1641), Descartes prétend
reconstruire toutes les vérités à partir de lui seul.
La première
certitude à laquelle les Méditations aboutissent est en effet celle de
l'existence du sujet pensant : « je pense donc je suis » est une
certitude absolue, qui peut être affirmée quand bien même il n'y
aurait au monde aucune autre vérité, quand bien même ni le monde
ni les autres n'existeraient.
C'est cette situation qu'on nomme (pour
la critiquer) solipsisme, c'est-à-dire la tendance du sujet pensant à
n'affirmer aucune autre réalité que lui-même.
Pourtant, la simple expérience du dialogue contredit le solipsisme, et
c'est sans doute pour des raisons profondes et non seulement «
littéraires » que bien des philosophes ont écrit des œuvres sous
forme de dialogue : Platon bien sûr, mais aussi Berkeley, Leibniz,
Hume...
Dans les dialogues de Platon par exemple, on voit souvent
Socrate, qui mène le jeu, discuter avec un jeune homme qui ne lui
répond au fond que par oui ou par non.
En apparence ici, la pensée
de Socrate est magistrale et ne se forme pas de façon « dialogique
».
Mais pourquoi Platon éprouve-t-il alors le besoin de l'exposer sous
forme de dialogue ? Ce n'est pas seulement pour la rendre plus
vivante.
En vérité, l'assentiment de l'interlocuteur est une manière de
traduire le besoin où est la pensée de s'objectiver.
Même si l'autre ne
me fait pas changer d'avis (ce qui reste bien entendu toujours
possible dans une situation idéale de dialogue), le simple fait de lui
demander de se ranger à mes raisons leur donne un statut qu'elles
n'auraient pas eu si je les avais énoncées tout seul.
« Dans l'expérience du dialogue, écrit Merleau-Ponty, il se constitue
entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne
font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont
appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération
commune dont aucun de nous n'est le créateur ».
Le dialogue fait
penser.
Il manifeste que penser est penser avec autrui, en se
confrontant avec autrui : penser par soi-même ne doit pas se
confondre avec le refus du commerce de la pensée des autres.
Platon disait d'ailleurs que penser est comme un dialogue intérieur de
l'âme avec elle-même.
Comme l'écrit le philosophe allemand
contemporain Jurgen Habermas, la raison est « communicationnelle »
: ce n'est pas celle du sujet cartésien, isolé face au monde et se
définissant à partir de soi seul.
Un monde sans autrui ne serait pas
seulement un monde où il serait impossible de vivre, mais aussi un
monde où il serait impossible de penser.
A quelles conditions peut s'instaurer un dialogue de bonne foi entre les hommes ? Une telle question prend tout
son sens lorsque l'on considère les joutes oratoires qui prennent la tournure de combats de mots, assortis d'effets
rhétoriques ordonnés à la visée de domination.
"Avoir le dernier mot"; cette préoccupation de pouvoir ou d'amourpropre semble le plus souvent l'emporter.
Dès lors, tout semble permis dans ce qui conserve l'apparence d'une
discussion, mais ressemble plutôt à une juxtaposition de propos sans références communes, à un dialogue de
sourds.
De fait, tant que la discussion comporte des enjeux de pouvoirs, et met en présence des interlocuteurs qui
ne songent qu'à se terrasser, la mauvaise foi, les glissements de sens, les manipulations sophistiquées lui confèrent
une dimension polémique sans rigueur ni principes.
Autre chose, la recherche dialoguée du vrai, qui présuppose que les interlocuteurs se reconnaissent mutuellement la
puissance du jugement, et n'aient pas d'autre souci que de progresser ensemble dans la démarche entreprise.
L'exigence de vérité a partie liée avec le souci de l'universel: ce qui vaut pour moi doit aussi valoir pour l'autre.
Si
une de mes assertions paraît devoir être réfutée, pour manque manifeste de rigueur logique, ou du fait qu'elle ne
prend pas en compte des éléments de réflexions essentiels, alors la réfutation ne signifie pas défaite, mais progrès
effectif.
Le dialogue philosophique est amitié.
Amour du vrai et de la sagesse, la philosophie tient sa raison d'être de
la recherche raisonnée de l'universel.
A la bonne foi des interlocuteurs doit répondre un triple souci: donner aux
mots employés un sens mutuellement reconnu (univocité); ne pas jouer sur l'implicite et le non-dit afin de "faire
passer" une argumentation chargée de présupposés; poursuivre une exigence de cohérence dans les enchaînements
discursifs (principe de non-contradiction) afin que l'échange reste rationnel sur le plan logique.
Platon écrit toute son oeuvre sous forme de dialogues.
Cette tradition littéraire propre à la philosophie, née avec la
démocratie grecque, s'est prolongée au moins jusqu'au XVIIe siècle (Leibniz, Berkeley, Hume ont écrit des dialogues
philosophiques), et il n'est guère de philosophe pour ne pas reconnaître la vertu éminemment philosophique de tout
dialogue véritable.
Pourquoi accorde-t-on cette vertu au dialogue ?
1 – Il suppose l'égalité des interlocuteurs.
La relation qui passe par le dialogue est par nature contraire à la relation.
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