A quelle condition une démarche est-elle scientifique ?
Extrait du document
«
Dans un sens général, une condition est la chose dont un phénomène a besoin pour se produire.
Dans un sens plus philosophique, on
distingue entre condition nécessaire (cette condition est indispensable pour produire un effet, mais elle ne le produit pas seule, il lui
faut l'aide d'autres conditions) et condition suffisante (cette condition suffit à elle seule pour produire un effet).
Une démarche est une entreprise de l'esprit qui a pour point de départ un problème, une interrogation sur la cause ou la finalité d'une
chose, et qui entreprend de mettre un terme à ce problème en en rendant raison.
La métaphore de la « démarche », c'est-à-dire du
mouvement physique, met en évidence cette orientation de l'esprit vers un but.
Il semble qu'il y a bien lieu de s'interroger sur la nature d'une démarche scientifique, car celle-ci a une spécificité, obéit à des règles et
des canons qui la distinguent d'une démarche intellectuelle au sens large, d'une démarche artistique etc.
Nous nous demanderons à quelles conditions une démarche doit répondre pour être une démarche proprement scientifique.
I.
a.
Une démarche est scientifique à condition de plier son discours à des normes internes
L'ascèse de la subjectivité
Dans un premier temps, nous verrons à quelles normes un discours doit se plier pour correspondre à une démarche proprement
scientifique.
L'une des premières normes de ce type de discours est l'ascèse de la subjectivité : l'homme de science n'a pour guide que
la raison et la démonstration, il se garde de toute contamination de son discours par sa propre individualité, qui pourrait mettre en
danger la validité de ses observations.
Cela se traduit par un silence sur sa propre personne et sa perception intime des problèmes ;
mais également par l'usage d'un style scientifique, c'est-à-dire d'un style dépourvu de style : Cohen, dans Structures du langage
poétique, montre qu'un style scientifique ne produit aucun écart par rapport à l'usage commun de la langue.
b.
Le refus des arguments d'autorité
L'une des autres conditions à laquelle doit répondre une démarche scientifique est le refus des arguments d'autorité.
Une démarche
scientifique produit un discours qui met à nu sa propre entreprise de découverte de la vérité, entreprise reproductible par chacun, mais
elle ne proclame jamais rien dont elle ne rend pas raison.
Le souci de la rigueur et d'une démarche balisée, progressive, caractérise
également la démarche proprement scientifique.
II.
Une démarche est scientifique à condition que son discours soit encadré par une communauté de
spécialistes
a.
Le contrôle du discours par la communauté des spécialistes
Mais pour être scientifique, une démarche doit répondre à une autre condition : elle doit intégrer son discours dans une communauté
de spécialistes.
En effet, une démarche scientifique doit être vérifiée dans ses présupposés et son argumentation par d'autres individus
que ceux qui l'ont produite.
Pensons à la démarche scientifique de l'historien, dont le discours sur le passé, nécessairement partiel,
sinon partial, doit être complété par le discours d'autres spécialistes s'il veut prétendre à la vérité.
b.
La scientificité est une norme fluctuante
Mais il faut bien voir que la scientificité est une norme évolutive dans le temps, que ce que nous appelons science a connu d'autres
formes par le passé.
A la fin du XVIIe siècle, un discours était encore scientifique lorsqu'il faisait intervenir une composante littéraire,
lorsque la galanterie se mêlait à l'argumentation : pensons aux Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle.
Par conséquent,
une démarche est scientifique à condition de s'intégrer à la norme contemporaine de la scientificité, définie par la communauté des
savants.
III.
a.
Une démarche est scientifique à condition de reposer sur des présupposés eux-mêmes invérifiables
Le postulat de la causalité
Cependant, le propre d'une démarche scientifique est de reposer sur un certain nombre de postulats, sans lesquels la science est
impossible.
Le premier de ces postulats est celui de la causalité : sans reproductibilité et concaténation des phénomènes, aucun savoir
scientifique ne peut être produit, mais uniquement des constatations ponctuelles.
Néanmoins, la causalité elle-même reste un postulat,
non une vérité certaine, car nous ignorons la raison des lois naturelles que nous observons, quand bien même nous nous avérons
capables de les découvrir.
b.
Le postulat de l'existence d'une raison suffisante
Le principe Leibnizien de raison suffisante (tout a une raison de pourquoi il est et de ce qu'il est) est un autre présupposé que doit
adopter toute démarche scientifique.
En effet, sans la croyance dans la possibilité d'une démonstration, et dans la légitimité de la
recherche d'une cause, la démarche scientifique ne pourrait exister.
Néanmoins, ce principe fondamental demeure un postulat, puisqu'il
n'est pas certain que les régularités à l'œuvre dans notre monde ne soient pas encore un effet de l'universelle contingence.
Conclusion :
A première vue, une démarche est scientifique lorsque le discours qu'elle s'efforce de produire obéit à certaines normes.
Mais il faut
bien voir que ces normes ne sont pas des absolus, qu'elles sont fixées par une communauté de spécialistes qui définissent une
acception contemporaine de la scientificité.
En définitive, la démarche scientifique repose sur des postulats logiques eux-mêmes
indémontrables, étrangers à toute démarche de vérification scientifique, sans lesquels la possibilité même d'une démarche scientifique
disparaitrait..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La démarche scientifique implique-t-elle un certain genre de croyance ?
- Quelle place doit avoir la réflexion philosophique dans la démarche scientifique ?
- A quelle condition une connaissance est-elle scientifique ?
- À quelles conditions une démarche est-elle scientifique ?
- Quelle place doit avoir la réflexion philosophique dans la démarche scientifique ?