À la question : Qu'est-ce qu'être normal ? Freud répondait:Aimer et travailler. Cette réponse vous paraît-elle fondée ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
AMOUR: 1.
Sens courant : sentiment d'affection passionnée d'un être humain pour un autre.
2.
Sentiment de profond attachement (à
un idéal moral, philosophique, religieux) impliquant don de soi et renoncement à son propre intérêt (exemple : l'amour de la justice).
Norme, normal
Du latin norma, « équerre », « règle », « modèle ».
1) Norme : règle, ligne de conduite socialement prescrite caractérisant les pratiques d'un groupe déterminé.
2) Type idéal ou règle par
rapport auxquels sont formulés des jugements de valeur.
3) Normal : qui est conforme à la règle commune ou à la moyenne statistique
(exemple : une taille normale).
4) Par opposition à pathologique (ou à sain) : qui n'est pas affecté par la maladie.
TRAVAIL: Du latin populaire tripalium, «machine à trois pieux » destinée à immobiliser les chevaux pour les ferrer, d'où « instrument de
torture ».
Toute activité visant à la production d'une oeuvre utile.
Spécialement, ensemble des activités accomplies par l'homme pour produire des
biens et des services en contrepartie desquels il est rémunéré.
• Le travail est souvent associe a la peine et a la souffrance.
Dans la Bible d'ailleurs, Dieu punit le premier péché en chassant Adam du
jardin d'Eden et en l'obligeant à cultiver désormais une terre stérile : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
• Pour Marx, le
travail humain contribue à transformer l'homme tout autant que la nature.
En effet, contrairement à l'animal, qui agit par pur instinct,
l'homme détermine dans sa conscience le but qu'il veut atteindre avant de le réaliser.
« Ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais
architecte de l'abeille la plus experte, écrit Marx, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.
» • Le
travail salarié constitue, selon Nietzsche, « la meilleure des polices » : « il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le
développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance ».
La dernière chose à faire sur un tel sujet serait de se lancer dans une critique du conformisme que
semble prêcher Freud.
Et, pourtant, c'est la première chose qu'on a envie de faire.
La réponse de
l'homme qui a consacré sa vie à la compréhension du pathologique a un petit côté «Sois sage et taistoi» qui peut surprendre le candidat qui n'a pas lu Malaise dans la civilisation.
La question qui
accompagne la citation ne fait même que renforcer la tentation.
Le candidat-lecteur de Freud pourra introduire le sujet en s'étonnant de la réponse du père-fondateur
de la psychanalyse.
Mais cet étonnement philosophique devra être immédiatement suivi d'un effort de
compréhension.
De même, le candidat qui ignore tout de Freud et qui aura introduit, par exemple, en
se demandant si l'impératif moral du christianisme («Aime et travaille») a une valeur universelle et
définit vraiment la normalité, de même ce candidat devra, dans une première partie, se demander en
quoi l'amour et le travail définissent le comportement humain normal, et pour cela s'interroger sur leur
sens.
La première partie analysera donc les verbes «aimer» et «travailler» : Aimer = ne pas aimer que soi,
aimer autrui (les autres), mais aussi (puisqu'il n'y a pas de complément d'objet direct) aimer la vie, le
monde (comportement suicidaire mélancolique, apathique = maladie) –.
Amour synonyme d'activité,
de désir (non narcissique) ouvert sur le monde humain.
Travailler = être utile à la collectivité, aux
autres, mais aussi s'accomplir soi-même en apprenant un métier et se rendre ainsi maître des choses
et de soi, s'assumer, ne pas dépendre toujours des autres — force et liberté, bref « se réaliser».
En ce
sens, la formule de Freud définit une normalité éthique: les verbes « aimer» et «travailler» sont
justement des infinitifs impliquant une conduite active du sujet.
On sera également attentif à la liaison
et: il ne s'agit pas que d'aimer; il ne s'agit pas non plus que de travailler –> oubli d'autrui (de sa propre famille, etc.)/n'être capable que
d'aimer, si cela veut dire : demande d'amour perpétuelle et jamais assouvie, cela aboutit à la faiblesse, à la dépendance (forme
d'existence «relâchée»), etc.
Cependant, à la fin de la première partie, ou au début de la seconde, on aura perçu la connotation peut-être fâcheuse de la réponse de
Freud.
En tout cas, on aura attendu d'avoir compris dans un sens positif la formule pour en faire la critique.
Connotation de la réponse
freudienne: le «Aime et travaille» (impératifs que Freud ne ferait que transformer en infinitifs) de la morale chrétienne traditionnelle :
normalité = moralité? Dans ce cas: aimer = faire comme tout le monde, se marier/avoir des enfants, non par choix mais par conformisme
(soumission passive et même inconsciente à la loi commune) –> obéissance aveugle = normalité socio-culturelle non pas conformité
éthique (celle-ci étant peut-être compréhension de l'impossibilité d'échapper à celle-là mais devenant, du même coup, acceptation
volontaire/délibérée d'une forme d'existence).
Et l'on sait ce que «Travaille!» peut aussi signifier de soumission et d'exploitation: travailler
= non pas agir mais subir et se taire devant les injustices, ne pas se soucier des autres dans son travail mais uniquement du gagne-pain
—' même chose que précédemment : normalité socio-économique = comportement non d'un sujet libre niais d'un agent/simple organe ou
fonction d'un système, etc.
On sera ainsi conduit à se demander ce qu'il faut entendre par «normal» : s'il faut penser la normalité par
rapport à ce qui est pathologique (définition médicale : en ce sens – voir l'«ergo-thérapie », les techniques de réinsertion sociale – il vaut
mieux être comme tout le monde/famille, travail – à noter qu'il n'est pas question de patrie ici), on peut encore souscrire à ce que dit
Freud.
Mais si la normalité exclut, au-delà des normes sociales du comportement, la prise en considération de valeurs morales (liberté,
conscience), le «Aimer et travailler» de Freud est problématique.
La fin du devoir précisera donc à quelles conditions et dans quelle mesure la réponse de Freud est fondée.
Elle pourra aussi et enfin se
demander si travail et amour ne peuvent pas entrer en conflit: amour — désir, alors que travail — discipline et maîtrise, voire répression,
du désir sous sa forme pulsionnelle.
Si «aimer» veut dire: se laisser aller à ses pulsions, «aimer et travailler» n'est pas possible.
Donc:
aimer = aimer absolument (l'humanité, la vie, le monde) et, puisque le désir est là avec lequel il faut compter, aimer = sublimation du
désir, par exemple sous la forme de l'amour d'une personne (l'être cher) : femme, époux, enfant, ou même sous la forme de l'intérêt
pour son travail (dévouement, consécration à une oeuvre, politique, artistique, etc.).
On esquissera ainsi les contours d'une normalité
humaine idéale: vivre/agir dans une société où travail et amour s'impliqueraient mutuellement jusqu'à l' indissociation.
Et (puisqu'il faut
garder les pieds sur terre) on posera que la normalité implique la conscience d'elle-même, donc de la difficile articulation du désir et de la
société (aimer et travailler).
La réponse de Freud n'est donc pas seulement fondée sur des valeurs morales absolues, non plus que sur
des normes psycho-sociales purement «factuelles», mais sur l'observation et l'expérience du réel humain.
Et vous savez qu'à cet égard
Freud ne manquait pas de «matériel» !.
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