A la fin de son ouvrage, La Préciosité et les précieux, de Thibaut de Champagne à J. Giraudoux, René Bray, cherchant à définir une « éthique de la préciosité », note (page 395) : « Ne pourrait-on dire que, dans la préciosité, le poète, au fond, est toujo
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En général l'attitude littéraire exprime une volonté de communication avec les autres hommes: écrire, c'est avant tout, semble-t-il, proposer ses idées au jugement d'autrui, à son approbation. Telle est essentiellement la position de l'écrivain classique, celui-ci allant même jusqu'à considérer qu'un ouvrage n'a de prix qu'après avoir été approuvé par de nombreuses générations de lecteurs. « Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix ». dit Racine en parlant de sa tragédie de Phèdre. Il ne semble pas que sur ce point romantiques, réalistes, parnassiens aient une position très différente. Malgré sa tendance à se considérer parfois comme un génie méconnu, le romantique veut ardemment parler aux hommes, délivrer « un message » : Hugo par exemple, prend le théâtre pour une tribune et pour une chaire, et il cherche à emporter la conviction. Or un critique de la première moitié du XXe siècle, R. Bray. connu pour ses travaux sur le XVIIe siècle, nous suggère que, dans la littérature, feraient peut-être exception à cette volonté de communication la préciosité et les précieux : le précieux serait l'écrivain « seul devant soi. cherchant sa propre approbation ». Sans doute veut-il » se distinguer des autres », ce qui implique au moins l'existence des autres, mais ce n'est pas à ces « autres » qu'il remet en dernière analyse le droit de juger de son succès ou de son échec : « Le juge suprême, c'est toujours soi, la préciosité est une « danse devant le miroir. » Cette solitude ne donne du reste pas le bonheur au précieux. Son « attitude est désespérée ». elle n'est jamais « vraiment optimiste ». Jugement brillant et qui renverse bien des notions acquises : une pointe de paradoxe n'est pas exclue. Mais, par-delà, ne sommes-nous pas conduits à l'essentiel de la préciosité, à cet univers artificiel dont seul le précieux a la clef, force et faiblesse à la fois de l'attitude précieuse?
«
A la fin de son ouvrage, La Préciosité et les précieux, de Thibaut de Champagne à J.
Giraudoux, (1948), René Bray,
cherchant à définir une « éthique de la préciosité », note (page 395) : « Ne pourrait-on dire que, dans la préciosité,
le poète, au fond, est toujours seul devant soi ? Qu'il quête ou non l'applaudissement, il cherche d'abord sa propre
approbation.
Se distinguer des autres, c'est se donner du prix à soi et pour soi : le juge suprême, c'est toujours soi.
La préciosité est une « danse devant le miroir ».
Cette attitude est assez désespérée.
Le précieux n'est jamais
vraiment optimiste.
» Vous expliquerez et discuterez ce jugement sans vous en tenir nécessairement à la poésie et
au mouvement précieux du XVIIe siècle.
Intro:
En général l'attitude littéraire exprime une volonté de communication avec les autres hommes: écrire, c'est avant
tout, semble-t-il, proposer ses idées au jugement d'autrui, à son approbation.
Telle est essentiellement la position
de l'écrivain classique, celui-ci allant même jusqu'à considérer qu'un ouvrage n'a de prix qu'après avoir été approuvé
par de nombreuses générations de lecteurs.
« Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix
».
dit Racine en parlant de sa tragédie de Phèdre.
Il ne semble pas que sur ce point romantiques, réalistes,
parnassiens aient une position très différente.
Malgré sa tendance à se considérer parfois comme un génie méconnu,
le romantique veut ardemment parler aux hommes, délivrer « un message » : Hugo par exemple, prend le théâtre
pour une tribune et pour une chaire, et il cherche à emporter la conviction.
Or un critique de la première moitié du
XXe siècle, R.
Bray.
connu pour ses travaux sur le XVIIe siècle, nous suggère que, dans la littérature, feraient peutêtre exception à cette volonté de communication la préciosité et les précieux : le précieux serait l'écrivain « seul
devant soi.
cherchant sa propre approbation ».
Sans doute veut-il » se distinguer des autres », ce qui implique au
moins l'existence des autres, mais ce n'est pas à ces « autres » qu'il remet en dernière analyse le droit de juger de
son succès ou de son échec : « Le juge suprême, c'est toujours soi, la préciosité est une « danse devant le miroir.
» Cette solitude ne donne du reste pas le bonheur au précieux.
Son « attitude est désespérée ».
elle n'est jamais «
vraiment optimiste ».
Jugement brillant et qui renverse bien des notions acquises : une pointe de paradoxe n'est pas
exclue.
Mais, par-delà, ne sommes-nous pas conduits à l'essentiel de la préciosité, à cet univers artificiel dont seul
le précieux a la clef, force et faiblesse à la fois de l'attitude précieuse?
I La pointe de paradoxe
Au premier abord, l'histoire de la préciosité, notamment son épanouissement au XVIIe siècle, rend un peu
surprenantes ces pensées, volontairement paradoxales.
1 Préciosité et parade mondaine.
En effet la préciosité est généralement mise en liaison avec le développement de la
vie mondaine au début du XVIIe siècle, d'une vie luxueuse et brillante, et surtout d'une sorte de parade que
gentilshommes et nobles daines s'offrent les uns aux autres; elle est donc bien désir de briller devant quelqu'un.
Le
luxe, en matière littéraire, c'est l'esprit, et l'esprit suppose un interlocuteur.
Si l'un des genres favoris de ces
mondains est l'« énigme ».
encore faut-il qu'il y ait quelqu'un à qui proposer l'énigme! La préciosité semble
essentiellement liée à la possibilité d'un dialogue.
2 Préciosité et parade amoureuse.
Le dialogue par excellence, c'est le dialogue d'amour, et la littérature précieuse
voit se développer le compliment (la Guirlande de Julie est un recueil collectif de compliments offerts à Julie
d'Angennes par le duc de Montausier et les habitués de l'Hôtel de Rambouillet), la lettre et le madrigal amoureux.
Sans doute s'agit-il d'un amour pétrarquisant ou platonique, sans doute la tête y est-elle souvent plus intéressée
que le cœur; il n'en reste pas moins vrai que l'amour précieux est souvent profond, fidèle, et R.
Bray lui-même
signale de nombreuses pages de Voiture ou de Mlle de Scudéry où l'analyse amoureuse semble dépasser le bel esprit
et le jeu.
3 Préciosité et parade intellectuelle.
Enfin, conversations mondaines ou conversations d'amour supposent toujours
chez les précieux un fonds de culture qui exclut la solitude et l'isolement.
Le précieux parle le plus souvent par
allusions à une tradition littéraire et intellectuelle déjà ancienne, tradition d'une société, d'une classe, d'un groupe.
La langue précieuse vit de tout ce qu'autrui lui a apporté, elle est pleine de clins d'oeil et de signes de ralliement,
sur un fonds commun de culture et de connaissances.
Et pourtant, à nous en tenir au strict terrain historique, la préciosité a pu se développer après la mort de cette
société à laquelle elle paraissait si intimement liée.
Il y a eu des précieux sans société pour les soutenir : dans son
Anthologie de la poésie précieuse, R.
Bray fait une place à Baudelaire.
Mallarmé, Verlaine.
Apollinaire.
P.-J.
Toulet.
et.
bien entendu, à Giraudoux: et il note que la « préciosité a gagné toutes les branches vivantes de la poésie
d'aujourd'hui ».
Il semble donc qu'en son essence, sinon toujours en fait, l'art précieux n'exige pas nécessairement la
présence d'autrui.
II La solitude du précieux
Il suffit en effet de poser simplement la question de la valeur universelle de l'art précieux pour remettre les choses
en place.
Au désir profond de communication du classique, au cri du romantique : « Ah! insensé, qui crois que je ne
suis pas toi », au symboliste même qui veut avancer jusqu'au moi universel (« Je est un autre », dit Rimbaud; « Je
suis maintenant impersonnel et non plus Stéphane que tu as connu ».
dit Mallarmé), le précieux répond par la.
»
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