« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres ». Stéphane Mallarmé
Publié le 03/04/2023
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«
Dissertation de Culture générale
Libellé : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres ».
Stéphane Mallarmé
Le 3 mai 1987, Dalida se donne la mort dans sa résidence parisienne
de Montmartre.
Quelques secondes avant, la diva signe ce message
pathétique : « La vie m’est insupportable, pardonnez-moi ».
Dalida n’en
est point à son coup d’essai : elle est déjà passée à l’acte en 1967 avant
d’être sauvée in extremis.
Entre ces deux dépressions, Dalida découvre la
psychanalyse et la littérature de l’absurde.
Elle lut Lacan, Freud, Kafka ou
encore Sartre.
Néanmoins, le déchirement intérieur de l’artiste est tel que
rien ni personne n’a pu le contenir.
L’engrenage macabre ne tardera pas à
s’installer et à emporter une des voix du siècle.
Comment ne pas penser
ici à Stéphane Mallarmé et au vers inaugural se sa célèbre Brise marine ?
« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres » dit-il.
A la imite de
l’anacoluthe (Figure de style : Rupture ou discontinuité dans la
construction d'une phrase), l’alexandrin de Mallarmé se prote à lire
comme un soupir de désespéré, mimant un déchirement intérieur
incommensurable.
Le poète se donne tout de même le temps de préciser
l’origine de son mal : l’ennui.
Néanmoins, l’ennui, au sens d’un chagrin
existentiel, est ici plus une conséquence qu’une cause première.
En fait, la
frustration du poète est la conséquence du désenchantement du monde et
de la cessation du désir.
Dans cette même perspective, la symétrie des
deux hémistiches (moitié de vers composée de 6 syllabes) permet
d’opposer deux formes de désir-plaisir : le désir matériel, symbolisé par
« la chair », et le désir intellectuel figuré par « les livres ».
L’interjection
« hélas », conjuguée à la modalité exclamative, porte à son paroxysme la
double tonalité tragique et pathétique de l’alexandrin.
Mallarmé dépeint le
Moi désenchanté qu’il est.
Un Moi qui a tout vu, tout visité, tout
consommé.
Ce Moi qui a épuisé tous les désirs est maintenant en proie à
un désir de sens auquel rien ni personne ne peut répondre.
C’est donc de
l’absence et du silence du désir que notre libellé traite.
Absence de
l’enthousiasme fondateur de l’action et du bonheur, le mutisme du désir
étouffe l’énergie et la foi qui sécrètent la vie.
Désormais il n’y a plus de
lieux de plaisir ni d’espérance dans le plaisir, les désirs le nourrissant
étant taris.
Que faire alors lorsque le plaisir ne répond plus, semble dire
le soupir ? La question qui se pose est celle du destin de l’Etre dans
l’impossible plaisir.
Ce n’est pas un renoncement, mais une disparition, un
insaisissable, un vide laissé par les sources du plaisir.
Que devient, donc,
l’homme ; que reste-t-il de lui confronté au silence du plaisir ? Notre
problème se posera, en effet, sous cette exigence d’analyse : Nous
commencerons par interroger l’origine du mal, avant de porter la réflexion
à la dimension erronée de nos représentations quant aux notions de désir
et de plaisir.
Ceci fait, le dernier volet de notre analyse mettra en lumière
le concept de joie en tant qu’alternative susceptible de transcender les
autres formes approximatives du plaisir.
De toute évidence, l’alexandrin de Mallarmé fait entendre une langueur
proche de l’abandon amer, comme si le poète disait ne plus ressentir le
désir du plaisir.
De fait, n’étant plus appelé par la tension du vivre ni par
l’espérance d’une jouissance à venir, l’on peut bien imaginer que le plaisir
n’ait plus de sens lorsque s’éteint la flamme du désir.
Le plaisir peut
ennuyer.
Mallarmé nous dit avoir fait le tour ; le tour des plaisirs, des
jouissances.
Il a épuisé la part de satisfaction que peut donner la chair et
a visité les exaltations intellectuelles des lectures.
Il les a connues, les a
ressenties, mais faut-il attendre d’autre ou de plus ? Ce qu’il nous propose
de retenir c’est que le plaisir s’épuise dans sa répétition, se ressemble
dans sa multiplication et devient commun et platement banal au fur et à
mesure de sa reproduction.
L’allégorie platonicienne des « Tonneaux sains
et tonneaux percés » le dit bien.
En fait, c’est toute une théorie du plaisir
qui semble être énoncée, celle qui stipule que le plaisir n’est pas lié à une
mécanique sans cesse identique à elle-même, sans cesse égale en
intensité et en effets.
D’ailleurs, le plaisir finit par ennuyer.
Il ennuie,
parce qu’il s’épuise dans sa reproduction et cesse de promettre le
renouveau.
N’est-ce pas tout le problème des addictions et de ces spirales
exponentielles et tragiques des plaisirs artificiels qui appellent à se
différencier d’eux-mêmes pour être encore plaisirs ? Baudelaire ou
Théophile Gautier dans leurs Paradis artificiels interrogent la fugacité du
plaisir et sa vanité.
Ils dénoncent surtout la vanité des efforts investis par
l’homme en vue de reproduire machinalement la sensation agréable du
plaisir.
Emporté par la soif du bonheur, l’homme moderne érige l’argent et
le plaisir en une religion nouvelle.
Ainsi, les sociétés contemporaines sont
avant tout caractérisées par le culte qu’elles rendent presque toutes au
matérialisme.
Le capital est le centre de gravité de l’action humaine.
Le
bien-être se mesure à la richesse et au statut référentiel de chacun.
Des
flots de biens matériels sont à la disposition des consommateurs à des
prix de plus en plus stimulants.
L’optimisation de la consommation est dès
lors conçue comme une condition du bonheur.
Cependant, le plaisir est un être, non un avoir.
Dans l’expérience du
plaisir il y a la rencontre avec un événement et non un automatisme
toujours semblable en valeur et en intensité.
Autrement dit, le plaisir ne
s’obtient pas sur recette ou à la demande, par application d’un protocole
dont on sait qu’il procure (ou a procuré) du plaisir une fois déjà.
C’est une
émanation fortuite, un élan immédiat de l’âme.
Toute la valeur du désir
réside dans son surgissement immédiat, souvent là et quand on s’y attend
le moins.
Gustave Flaubert le montre avec brio dans l’incipit de l’Education
sentimentale.
Le coup de foudre entre Frédéric Moreau et Mme Arnoux
retrouve tout sa splendeur à travers ce passé simple : « Et leurs yeux se
rencontrèrent ».
Cet immédiat du désir amoureux, Stendhal l’appelle
« cristallisation ».
Il en fournit un des exemples les plus illustratifs à
travers l’idylle de Julien Sorel et Mme de Rénal.
C’est ce que Bergson
reprend à travers le concept d’ « instant amoureux ».
Une chose demeure
certaine : la flamboyance du désir lui vient de cette rupture qu’il introduit
dans l’ordre du monde et des choses.
La sensation agréable de plaisir qu’il
apporte transgresse la linéarité du temps vécu et emporte le Moi au-delà
des lois de l’espace-temps.
La rencontre fortuite de l’ami oublié
transgresse la banalité du quotidien, et « fait ma journée ».
Cette même
rencontre provoquée par le choix d’un itinéraire qui la permettra
désenchante et vide l’événement de son intensité.
Penser ici à la
madeleine alchimiste de Proust serait éclairant : « Un plaisir délicieux m’avait
envahi, isolé, sans la notion de sa cause.
Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la
vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon
qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence
n’était pas en moi, elle était moi.
J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent,
mortel.
D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût
du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même
nature.
D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde
gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un
peu moins que la seconde.
Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble
diminuer.
Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi.
» Proust Du côté de chez Swann - A la recherche du temps perdu
(Faites une recherche sur le
texte duquel la citation a été extraite)
Le plaisir revient alors à ce qui ne se contrôle pas ou ne se programme
pas, voir ne se recherche pas.
Là où l’on sait qu’il se trouve, là où on ne
le trouvera pas, ou on le trouvera plus.
Or, ce qui semble le plus
désespérer Mallarmé, c’est que le plaisir n’ait pas de mémoire.
L’ennui et
la lassitude devant les objets du désir révèlent le délitement de la
mémoire du plaisir vécu.
Se souvenir du plaisir vécu ne produit pas un
plaisir nouveau ou un désir de renouvellement du plaisir.
Néanmoins, trop
de désirs tue le Désir.
Nous sommes bien loin de cette réjouissance
évoquée par Epicure dans La Lettre à Ménécée et dans laquelle le
moraliste grec puise une source paisible et intérieure d’un plaisir
authentique et à chaque fois nouveau.
En ce sens, le plaisir pour Mallarmé
semble épuiser le désir, le vider de sa tension.
N’est-ce pas la course
dramatique....
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