Le Temps du Rêve : analyse sémantique du mythe de la création aborigène
Publié le 09/08/2022
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Analyse de Mythe: Le Temps du rêve
On estime que l'origine de la civilisation aborigène remonte à plus de 50 000 ans mais il est
encore impossible de la dater précisément car sa culture se transmettait exclusivement par la
parole et la gravure.
De plus, l'invasion coloniale du 18ème siècle a dégradé durablement le
savoir, les rites et la mémoire de la nation aborigène en leur imposant l'assimilation à la
"normalité" européenne.
Il y aurait plus de 500 peuples aborigènes différents, divisés en clans
possédant chacun son territoire, sa langue et une version parfois différente du mythe originel.
Le mythe que je vais présenter est le mythe de la création aborigène, plus précisément selon la
version de la tribu Warramunga, située sur l'île Groote Eylandt (au nord de l'Australie).
Résumé du mythe
Autrefois, l'univers était néant et seul Baiame, le dieu créateur, existait: c'était le Temps du
Rêve.
Un jour il s'endormit et pendant son sommeil, il rêva d'une vie passée, présente et
future.
Son rêve fut si intense que le corps de l'univers commença à s'agiter.
Ses aides, Punjel (l'Architecte), Nungeena (la Nature) et Yhi (le Soleil) désirèrent donner
forme à son rêve.
Pour ce faire, Punjel proposa de créer des millions de travailleurs appelés
"Yowies", à qui il donna trois instincts: les instincts de nutrition, de reproduction et
d'ambition, ainsi que la mémoire.
Il créa en même temps le "Dowie" et le "Mullowill".
Un Yowie représente l'âme de toute chose et de tout être vivant; c'est le caractère,
l'inconscient et le conscient, liés en un tout.
Chaque Yowie est le résultat amélioré d'une
évolution depuis une multitude de formes de vies inférieures (ex: herbe=> plante=> buisson=>
arbre).
Lors de la mort physique, le Yowie quitte le corps et part séjourner pour
toujours dans le Dowie, qui représente la vie après la mort, une sorte de dimension parallèle.
Le Mullowill est l'enveloppe magnétique qui entoure le corps des êtres vivants et les
séparent du Dowie.
Les Yowies formèrent un corps solide, qu'on nomma Tya (la Terre).
Les végétaux inférieurs apparurent, avec le sol et la glace, puis finirent noyés quand le
soleil rayonna sur la Terre pour créer l'eau.
Ensuite Ularu, le Serpent Arc-en-ciel,
créa les mers, les terres et les lacs ainsi que les montagnes, tandis que Baiame créa les forêts.
Marmoo (l'esprit du mal et des domaines inférieurs du Dowie), jaloux de la création
de Baiame, décida d'envahir la Terre avec des insectes qui ravageraient les végétaux.
Nungeena créa à son tour les oiseaux pour débarrasser la Terre des insectes et refaire
pousser la nature.
Cependant elle la nourrit trop et celle-ci devint incontrôlable: les trois instincts donnés
aux Yowies par Baiame poussèrent les espèces vivantes à vouloir se dominer entre elles.
Pour rééquilibrer les espèces, Baiame inventa les premiers animaux marins, les méduses,
qui finirent à leur tour par se multiplier et se battre entre elles.
Nungeena décida alors
de créer la tortue, qui amena l'apparition des animaux terrestres en pondant à la surface.
Parmi ceux-ci apparurent les Bunyips, des bêtes terrifiantes qui endommagèrent tout sur
leur passage.
Ularu envoya alors un climat froid sur Tya pour réduire leur nombre
et permettre à la Terre de se soigner.
Finalement, Baiame créa la première tribu humaine et se manifesta sur Terre sous forme
humaine afin de les présenter à la Nature et aux animaux.
Il enseigna aux humains l'histoire de la création, le but de l'existence, les lois fondamentales
ou «Lois de la Vie» et le savoir ancestral qui inclut les soins à prodiguer à la Terre, la chasse,
l'utilisation du feu, le savoir vivre et la médecine...
Puis Baiame retourna dans le monde des
esprits.
L'humanité progressa et vécut en harmonie, jusqu'au grand déluge, il y a 10 000 ans,
lorsque la Terre fut inondée et que la famine et le cannibalisme s'installèrent chez les humains.
C'est alors que les Anciens de la tribu firent appel à Baiame pour les secourir.
Celui-ci se manifesta près du Lac Narran pour rappeler aux êtres vivants l'histoire de
la création et le sens de leur existence.
Il leur demanda de tracer un cercle représentant
son corps et sa création appelé aujourd'hui Bora Ring: un endroit sacré, rempli d'énergie,
qui sert aux rituels importants et qui protège ceux qui se tiennent à l'intérieur des
esprits malfaisants.
Source: Cyril Havecker, Le temps du rêve.
La mémoire du peuple aborigène australien.
France, Editions
du rocher, 2003, p.
19-33, 40-44, 97, 129-133.
Pourquoi est-ce un mythe?
Ce récit transmis de génération en génération depuis des millénaires et pouvant
varier sensiblement d'une tribu à l'autre est fondateur de la culture aborigène.
Il régit leur façon de voir et de penser: il révèle que la vie, le monde et les êtres vivants
ont une origine surnaturelle qui les surpasse et que la création a un sens.
Les aborigènes, comme d'autres peuples autochtones, ont une religion dite «animiste»,
c'est à dire que pour eux chaque objet, élément, être vivant ou plante est doté
d'une âme propre (le Yowie), similaire et de même valeur que l'âme humaine.
Chaque Yowie a un rôle défini dans le grand plan de la Vie, censé faire évoluer
le cosmos vers l'absolu et participe à l'équilibre de la Nature.
Selon eux, il n'y a pas de «karma»: les événements positifs ou négatifs ne constituent pas
l'issue morale d'une action, ils font partie du plan de Baiame et sont nécessaires à chacun
pour comprendre son rôle à jouer.
Si on meurt sans avoir compris et accompli son rôle,
le Yowie se conserve pour une vie postérieure et tout est à recommencer,
jusqu'à ce que la tâche soit accomplie.
Les lois, les rites et les événements culturels
(ou du moins ce qu'il en reste après la colonisation) sont régis par un ensemble rigoureux
de règles, respectées depuis très longtemps et dont la majorité sont issues de ce mythe.
Ce sont les règles dictées aux humains par Baiame lors de sa manifestation sur Tya.
Source: Cyril havecker, Le temps du rêve.
La mémoire du peuple aborigène australien.
France, Editions
du rocher, 2003, p.
43-49, 73-74.
Notion de sacré et rite initiatique
Selon Mircéa Eliade, le sacré concerne tout objet ou lieu qui sert la transcendance.
Les
aborigènes accordent beaucoup d'importance aux terres qu'ils occupent car non seulement
elles regorgent d'être vivants mais il en émane une énergie spirituelle dont ils ont besoin pour
leurs cérémonies et rituels et, de manière plus générale, pour se rattacher à leur culture.
Leurs
terres sont sacrées: elles symbolisent la création de Baiame et la naissance de l'humanité.
Cependant, le sacré n'a pas toujours la même teneur en fonction des endroits.
Ainsi, un enfant
aborigène, tant qu'il ne se trouve pas sur les sites hautement sacrés, peut se balader librement
sur les terres et jouer avec d'autres enfants, mais il a le devoir d'être respectueux envers tout
son environnement et tous les animaux, tout comme il le serait devant un autre être humain.
Par contre un «site hautement sacré» est réservé exclusivement aux activités spécifiques
essentielles, comme par exemple le Lac Narran.
Ce lieu, et plus particulièrement le "Bora Ring" ou cercle sacré, apparu lors de la seconde
manifestation (ou hiérophanie) de Baiame sur Terre sous forme humaine est devenu
hautement sacré grâce au cercle tracé par les humains selon les instructions de Baiame durant
le chapitre du déluge.
Le Bora Ring est primordial car il a une empreinte symbolique
considérable.
Il est au coeur de leur identité historique et donne notamment lieu à la
cérémonie d'initiation Bora qui concerne les jeunes aborigènes qui s'apprêtent à passer à l'âge
adulte et sans laquelle ils ne peuvent accéder à aucune fonction importante de la société.
Cette cérémonie, de la même façon que lors de la seconde manifestation de Baiame,
sert en partie à les introduire au mythe de la création de la Terre et de l'univers et à leur
enseigner les Lois de la Vie, dictées par celui-ci, au travers de chants, de peintures corporelles
et des danses ancestralles.
C'est en quelque sorte une façon de reproduire un passage
du mythe originel, en un lieu sacré.
Source: Cyril havecker, Le temps du rêve.
La mémoire du peuple aborigène australien.France, Editions
du rocher, 2003, p 44, 77-79.
Analyse structurale et psychologique, aspects apolliniens et dionysiaques
Création/équilibre
Destruction/ désordre
Baiame crée les Yowies qui forment la terre et
les végétaux inférieurs
Yhi chauffe la terre et transforme la glace en
eau
Tous les végétaux inférieurs meurent noyés
Ularu crée les cours d'eau et le relief,
Baiame crée les forêts
Marmoo crée les insectes pour détruire
l'oeuvre de Baiame
Nungeena crée les oiseaux pour chasser les
insectes, répare la nature
Nature trop nourrie, les espèces entrent
en compétition
Baiame crée les méduses
Méduses se multiplient et se dominent entre
elles
Nungeena crée la tortue, naissance des
premiers animaux terrestres
Les Bunyips ravagent la terre
Baiame instaure un climat froid pour limiter
les Bunyips
Baiame crée la première tribu humaine
10 000 ans plus tard: grand déluge
En réduisant le récit en mythèmes, à la façon de Levi-Strauss, j'ai constaté qu'il y....
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