le mythe de la femme fatale
Publié le 08/09/2024
Extrait du document
«
L1 S4 Textes fondateurs : autour de la Bible
Le mythe de la femme fatale
Ce que le terme « femme fatale » vous évoque : belle, séductrice, destructrice, scandaleuse,
sulfureuse, passionnée, toxique, manipulatrice, ensorceleuse, perfide, cruelle, traîtresse…
« Fatale » : au sens propre → fatalité d’un destin tragique, mortel (le « fatum » latin) pour l’homme
pris dans ses filets.
→ Lire l’article en ligne « La ‟femme dangereuse”, cette construction culturelle »
https://theconversation.com/la-femme-dangereuse-cette-construction-culturelle-104447
Quelques femmes « fatales » mythologiques et bibliques : Mégère, Chimère, Charybde, Scylla, les
sirènes, Méduse, Circé, Médée, Pandore, Hélène de Troie, Lilith, Eve, Dalila, Jézabel, Salomé,
Judith… Voir Adeline Gargam et Bertrand Lançon, Histoire de misogynie.
Le mépris des femmes de
l’Antiquité à nos jours, Paris, Arkhé, 2020.
Quelques femmes « fatales » dans la littérature : Carmen, Esmeralda, Manon Lescaut, Nana…
1.
Archétypes de la « vierge » et de la « putain », deux facettes d’un même fantasme
Figure qui ne fonctionne pas sans son antagoniste, la vierge, la bonne épouse, la mère.
Opposition
traditionnelle entre « la vierge » et « la putain ».
Mireille Dottin-Orisini, Cette femme qu’ils disent
fatale, Paris, Grasset, 1993, p.
360 : « La femme est un fantasme misogyne.
»
•
Balzac, La Cousine Bette (1846) : étude lexicale comparée
Adeline Hulot : l'épouse et mère dévouée
Valérie Marneffe : la maîtresse vénale
« la Vertu », « sainte et pure femme », « un
ange », « innocente », « la respectable femme »,
« honneur », « sacrifice », « morale »,
« pudeur », « dignité », « noblesse », « belle »,
« sans tache », « bonne chrétienne »,
« exemplaire »...
« le Vice », « Ève », « Dalila », « MarieMadeleine », « la venimeuse », « le serpent »,
« la chatte », « le diable », « diabolique »,
« capricieuse », « délicieuse », « cruelle »,
« courtisane », « charmante », « à se damner »,
« coquette », « jolie », « irrésistible »,
« spirituelle », « piquante »...
Effet sur les hommes : « ensorcelés », « pris au
piège », « perdus », « ruinés », « amoureux »,
« désespérés », « torturés »...
Effet sur les hommes : admiration, respect,
ennui, lassitude, remords.
•
Carmen et Micaëla dans l’opéra Carmen de Bizet (1875)
•
Films : Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel (1977) : la danseuse de flamenco de Séville,
Conchita, interprétée par Carole Bouquet et Angela Molina / Blue Velvet de David Lynch (1986) :
Sandy et Dorothy Vallens
1
2.
Salomé
A lire : article en ligne « Salomé, itinéraire d’une jeune fille
https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245
impudique »
Selon l’historien Flavius Josèphe, Salomé, princesse juive morte vers 72 après J.-C., est la fille
d’Hérodiade et la belle-fille d’Hérode Antipas (21 av.
J.-C.
env.-3 apr.
J.-C.).
Selon les Évangiles de
Marc (vi, 14-29) et de Matthieu (xiv, 1-12), Hérode Antipas emprisonne Jean le Baptiste, qui a
condamné son mariage avec Hérodiade car elle est sa nièce.
Hérode hésite cependant à faire
exécuter un prophète aimé du peuple.
Le jour de l’anniversaire d’Hérode, Salomé exécute une danse
devant lui et ses convives.
Envoûté, son beau-père lui promet de lui offrir ce qu’elle demande.
Poussée par Hérodiade, Salomé demande la tête de Jean le Baptiste sur un plateau.
Hérode Antipas,
2
pour respecter son serment, fait décapiter le prophète.
Salomé prend le plateau qui porte la tête de
Jean le Baptiste et le remet à sa mère.
Les évangiles n’attribuent aucune connotation érotique à la performance de Salomé, qui n’est pas
nommée mais désignée par la périphrase « la fille » ou « la fillette », et âgé de onze ou douze ans.
Trois siècles plus tard, sous la plume de Saint Augustin dans ses « sermons », Salomé est
métamorphosée en fille impudique qui exhibe ses seins dans une danse effrénée : « Tantôt, elle se
courbe de côté et présente son flanc aux yeux des spectateurs ; tantôt, en présence de ces hommes,
elle fait parade de ses seins ».
À l’instar d’autres figures comparables dans les sociétés patriarcales,
elle incarne un péril féminin contre lequel les hommes doivent se prémunir.
C’est surtout au XIXe siècle que Salomé devient véritablement un mythe littéraire et un fantasme
érotique, qui influence de nombreux auteurs.
Elle fascine Flaubert, dans le troisième de ses contes,
Hérodias, en 1877.
Le personnage exprime à la fois l’attrait et la terreur que provoque en lui le
pouvoir de séduction.
La décollation du saint symbolise la castration de l’homme aliéné par le désir.
Salomé fascine également Huysmans, qui évoque, au chapitre V de son roman À rebours (1884), le
célèbre tableau de Gustave Moreau, Apparition (1876) :
« Dans l’oeuvre de Gustave Moreau, conçue en
dehors de toutes les données du Testament, des
Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé,
surhumaine et étrange qu'il avait rêvée.
Elle n’était
plus seulement la baladine qui arrache à un vieillard,
par une torsion corrompue de ses reins, un cri de désir
et de rut ; qui rompt l’énergie, fond la volonté d’un
roi, par des remous de seins, des secousses de ventre,
des frissons de cuisse ; elle devenait, en quelque sorte,
la déité symbolique de l’indestructible Luxure, la
déesse de l’immortelle Hystérie, la Beauté maudite,
élue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les
chairs et lui durcit les muscles ; la Bête monstrueuse,
indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant,
de même que l’Hélène antique, tout ce qui l'approche,
tout ce qui la voit, tout ce qu’elle touche.
[…] Ici, elle
était vraiment fille ; elle obéissait à son tempérament
de femme ardente et cruelle ; elle vivait, plus raffinée
et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise ; elle
réveillait plus énergiquement les sens en léthargie de
l’homme, ensorcelait, domptait plus sûrement ses
volontés, avec son charme de grande fleur vénérienne,
poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des
serres impies.
»
Dans sa pièce Salomé (1891), l’écrivain irlandais Oscar Wilde, la jeune fille fait décapiter Jean le
Baptiste parce qu’elle en était amoureuse et fut éconduite.
Elle baise la tête coupée du Baptiste
avant de la jeter dans un bassin.
La pièce est adaptée pour l’opéra de Richard Strauss en 1905.
Salomé devient un symbole érotique dans l’art, et sans doute le public ne retient-il d’elle que la
danse provocatrice « des sept voiles » de l’opéra (voir aussi le tableau de Gaston Bussière en 1925),
3
alors que les
Évangiles ne mentionnent pas une danse de ce genre.
Plus largement, la figure de la danseuse envoûtante et fascinante en littérature, souvent liée à une
esthétique orientaliste, rappelle la figure de Salomé (même sans la citer).
•
Hugo, Notre Dame de Paris (1831)
« Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.
Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe
sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette
éblouissante vision.
Elle....
»
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