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Texte n° XI : Abbé PREVOST, in Manon Lescaut, L’enterrement de Manon (extrait), 1731, p. 198, lignes 2178-22021

Publié le 17/06/2024

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« Texte n° XI : Abbé PREVOST, in Manon Lescaut, L’enterrement de Manon (extrait), 1731, p. 198, lignes 2178-22021 : 2178 Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon.

Mon dessein était 2180 d’y mourir mais je fis réflexion, au commencement du secon d jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages.

Je formai la résolution de l’enterrer, et d’attendre la mort sur sa fosse.

J’étais déjà si proche de ma fin, par l’affaiblissement que le jeûne et la douleur m’avaient causé, 2185 que j’eus besoin de quantité d’efforts pour me tenir debout.

Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j’avais apportées.

Elles me rendirent autant de force qu’il en fallait pour le triste office 2 que j’allais exécuter.

Il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre dans le lieu où je me trouvais.

C’était une campagne couverte de sable.

Je 2190 rompis mon épée pour m’en servir à creuser ; mais j’en tirai moins de secours que de mes mains.

J’ouvris une large fosse.

J’y plaçai l’idole de mon cœur, après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits pour empêcher le sable de la toucher.

Je ne la mis dans cet état qu’après l’avoir embrassée mille fois avec toute l’ardeur du 2195 plus parfait amour.

Je m’assis encore près d’elle.

Je la considérai longtemps.

Je ne pouvais me résoudre à fermer sa fosse.

Enfin mes forces recommençant à s’affaiblir, et craignant d’en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j’ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus 2200 aimable.

Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, 2202 j’invoquai le secours du Ciel, et j’attendis la mort avec impatience.

[…] Abbé PREVOST, in Manon Lescaut, L’enterrement de Manon (extrait), 1731, p.

198, lignes 2178-2202. Le texte et les notes sont repris de l’édition suivante : Abbé PREVOST, Manon Lescaut, éditions Belin-Gallimard, Coll. « Classico-Lycée », mai 2022, ISBN [979-10-358-2252-1]. 2 « Office » : travail. 1 IV INTRODUCTION : Présentation de l’auteur : (voir première séance du cours) Présentation de l’œuvre : (+ voir première séance du cours) Manon Lescaut met en scène la passion naissante du chevalier des Grieux pour Manon Lescaut.

C’est pour l’abbé Prévost l’occasion de réaliser un traité de morale sur les dangers de la passion.

Néanmoins l’abbé Prévost est une personnalité complexe, dont la vie oscille entre la vocation religieuse et les plaisirs mondains. Présentation de l’extrait : Le bonheur au Nouvel Orléans dure moins de dix mois et les vues de Synnelet sur Manon précipitent les amants vers le drame : Des Grieux rencontre fortuitement celui qui est devenu son rival et pense l’avoir tué dans un duel à l’épée.

La fuite dans le désert est alors la seule issue et c’est l’espoir de gagner une colonie anglaise qui anime les deux amants.

Mais les forces abandonnent Manon qui expire au terme de la première nuit.

Des Grieux ne peut se résoudre à se séparer de Manon et aspire à une union dans la mort. Structure du texte : Dans ce passage, il se montre dans un état de prostration avant que la crainte de la dégradation certaine du corps de Manon ne le pousse à l’action (l.

2178-2183).

Il se résout alors à employer ses dernières forces pour ouvrir une fosse (l.

2183-2191).

Se sentant défaillir, il y dépose Manon et reste auprès d’elle attendant la mort (l.

2191-2202). Problématique : En quoi le récit de cette cérémonie mortuaire, en marge des hommes et du monde, donne-t-il une image idéalisée de Manon ? I.

LIGNES 2178-2183 : DE LA PROSTRATION A L’ACTION : Des Grieux ne peut se résoudre à la séparation.

Son attachement pour Manon se traduit par sa proximité physique avec elle.

Le verbe d’état « Je demeurai », placé en début de phrase, traduit son immobilité, sa prostration.

Le lexique du corps, renvoyant aussi bien à Des Grieux (« bouche ») qu’à Manon (« visage », « mains »), et le participe passé « attachée » signalent le lien indéfectible qui unit les amants.

Il offre ainsi à ses auditeurs un tableau pathétique qui s’inscrit dans la durée, comme le suggère l’indicateur de temps associé à un comparatif de supériorité « plus de vingt-quatre heures ».

La perception du temps est ainsi bouleversée par l’émotion.

On notera également que le pronom « Je » ouvre la phrase qui se clôt par l’évocation laudative de l’aimée, exprimant un sentiment d’appartenance (« ma chère Manon »).

Des Grieux veut ainsi retenir l’objet de son amour par-delà la mort. Des Grieux sature ses propos d’expressions qui renvoient à sa fin prochaine à laquelle il ne peut échapper : « mourir » / « mort », « trépas », « fosse ».

Cet horizon fatal paraît d’autant plus certain qu’il est désiré : « Mon dessein », « Je formai la résolution ».

Par son récit qui adopte un style élevé, il se pose en héros tragique qui « atten[d] » et se soumet ainsi à son destin. Des Grieux envisage avec grandeur sa propre mort parce qu’elle l’unira à tout jamais à Manon.

Cependant, la locution verbale « fit réflexion », mise en relief par la conjonction « mais » qui la précède, traduit une action de sa pensée.

L’émotion et le désir tragique de mort cèdent la place à un raisonnement : il ne peut rester dans l’inaction car la dépouille de Manon serait alors dégradée.

La réalité du corps de l’être aimé, soumis à un environnement hostile, lui fait alors entrevoir une vision insoutenable qu’il exprime par la métaphore « pâture ».

La violence de cette image triviale est accentuée par le complément du nom « des bêtes sauvages ».

Des Grieux perçoit la réalité dans toute sa crudité, celle d’un cadavre soumis au temps qui passe et au.... »

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