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Texte : extrait du tome 4, de « L’on ne peut exprimer… » à « J’y consens, et je vous en prie. » La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette, scène d’amour, scène d’adieu

Publié le 21/09/2022

Extrait du document

« En français dans le texte Émission diffusée le 31 octobre 2020 Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle Parcours : individu, morale et société Œuvre : Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves Texte : extrait du tome 4, de « L’on ne peut exprimer… » à « J’y consens, et je vous en prie.

» La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette, scène d’amour, scène d’adieu I. ANALYSE LITTÉRAIRE Introduction Quand en 1678 paraît La Princesse de Clèves, écrit par Madame de La Fayette, les lecteurs sont enthousiastes.

Nombreuses sont les raisons de ce succès, à commencer par l’originalité du livre, qui rompt, par son réalisme et par la finesse de ses analyses psychologiques, avec les romans de son temps.

Les lecteurs découvrent ainsi, depuis la conscience même des personnages que nous dévoile la narratrice, la progression du sentiment amoureux du duc de Nemours et de la Princesse de Clèves. L’amour, entre eux, est partagé, mais pourtant impossible.

La Princesse, déjà mariée à Monsieur de Clèves qu’elle estime, mais qu’elle n’aime pas, lutte contre la passion qui s’empare d’elle, et refuse de se livrer à une aventure que la morale condamne, mais que la galanterie de la Cour d’Henri II ne désapprouverait pas.

La Princesse fait le choix de se montrer fidèle à son époux.

Mieux encore, afin d’écarter toute tromperie, elle lui avoue son inclination pour un homme dont elle tait le nom.

Fallaitil faire confidence de cette passion à son mari ? Cette sincérité, aussi exceptionnelle que l’est le personnage de la Princesse, étonne les lecteurs et suscite un vif débat dans la revue littéraire du Mercure Galant, comme dans les salons à la mode, renouvelant ainsi la tradition de la « question d’amour ». C’est une autre « question d’amour » qui, à quelques pages de la fin du roman, pourrait agiter le lecteur.

Monsieur de Nemours, en effet, par l’intermédiaire du Vidame de Chartres, a fait venir la Princesse à sa rencontre, la forçant ainsi à avoir avec lui un entretien qu’elle lui aurait certainement refusé s’il ne l’avait surprise.

À ce stade du roman, Madame de Clèves est libre.

Monsieur de Clèves est mort peu de temps auparavant, tué par sa jalousie.

« Plus de devoir, plus de vertu qui s’opposassent à ses sentiments, tous les obstacles étaient levés », décrète ainsi la narratrice.

Pour la première fois, la Princesse et le Duc peuvent se parler librement d’un amour que le devoir jusque-là faisait taire.

Pour la première fois surtout, le bonheur est à leur portée.

Et pourtant, dans l’extrait que vous allez entendre aujourd’hui, pas de happy end.

Madame de La Fayette refuse à ses héros la fin heureuse de ceux de L’Astrée, roman pastoral d’Honoré d’Urfé au succès exceptionnel et dont elle fut une lectrice passionnée.

Dans un « adieu » glaçant, la Princesse va ainsi faire le choix de se refuser au duc et de renoncer à lui pour jamais. Devait-elle abandonner Nemours alors que tous les obstacles semblaient levés ? Pouvons-nous seulement comprendre le sens de son refus ? De quoi ce renoncement, finalement, est-il le nom ? Écoutons donc la dernière conversation entre la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours, pour entrer dans ce débat ouvert par bien des lecteurs avant nous. Analyse Clôturant presque le roman, le passage que vous venez d’entendre a pourtant tout d’un commencement.

« Pour la première fois », nous dit la narratrice, Monsieur de Nemours et Madame de Clèves « se trouv[ent] seuls et en état de se parler ».

Madame de Clèves, qui porte encore le deuil de son époux, n’a pas accepté de bon cœur cet entretien.

Sous un prétexte fallacieux, le Vidame de Chartre, grand ami de Nemours, a invité Madame de Clèves, sa parente, à se rendre chez lui.

Reçue dans « le grand cabinet » du Vidame, la Princesse, rouge de surprise et d’émotion, voit surgir Nemours par un « escalier dérobé » et ne peut lui échapper.

Le Vidame se retire, laissant les deux personnages à ce que la Princesse nomme, dans l’extrait, leur « première conversation », qui pourtant n’en est pas une.

Souvent dans le roman, Monsieur de Nemours et Madame de Clèves se sont parlés, même seul à seul.

En quoi cette conversation est-elle alors si extraordinaire qu’elle efface, pour la narratrice comme pour les personnages, toutes les autres ? C’est qu’enfin, pour la première fois, Monsieur de Nemours et Madame de Clèves peuvent se parler avec une absolue sincérité de leur amour réciproque.

Chacun sait déjà ce que l’autre dissimule, au fond si peu, depuis le début du roman.

« Quoique je ne vous aie jamais parlé, je ne saurais croire, Madame, que vous ignoriez ma passion (…) », dit Nemours à la Princesse.

Et celle-ci de lui répondre : « Je ne vous dirai point que je n’aie pas vu l’attachement que vous avez eu pour moi ».

Les négations redoublées font sentir au lecteur de quels détours l’expression de leur amour a dû jusqu’ici se contenter.

Monsieur de Clèves mort, il est maintenant possible pour la Princesse de se passer des chemins sinueux de cette syntaxe et de faire, dans cet extrait, un second aveu, celui de la manière dont l’amour s’est emparé d’elle à la vue du Duc.

Cette conversation autorise enfin ce qui pourrait paraître comme un moment d’union : la sincérité, jusqu’ici, ne pouvait se vivre que dans le décalage à l’autre, en voyant sans être vu, comme Nemours qui comprend que la Princesse l’aime en l’espionnant à Coulommiers, ou comme la Princesse, qui ne pouvait dévoiler ses sentiments que dans ses monologues intérieurs. La sincérité frappante de cette conversation élève les deux personnages bien au-delà des jeux mondains et des intrigues galantes de la Cour. Frappante, cette conversation l’est également par sa dimension théâtrale.

L’entrée de Monsieur de Nemours dans le décor du « grand cabinet » marque le début de la plus longue scène du roman, qui s’achève par un « adieu » d’héroïne tragique.

Le temps de la lecture rejoint presque le temps de l’action : la narratrice, dont la voix apparaît discrètement dans de brefs résumés, s’efface devant les répliques et les tirades des personnages.

Le lecteur, aidé des didascalies qui organisent la scène, vit, aux côtés de Nemours, les espoirs et désespoirs de la passion : au « silence », qui s’impose au début de l’extrait et que Nemours « rompt », succède le dialogue.

Madame de Clèves « [veut] s’en aller », Nemours la retient.

Alors la Princesse s’assoit, elle ne se relèvera que pour sortir, juste après notre extrait.

Entre ces deux moments, Nemours, écoutant la Princesse lui dire qu’elle l’aime, connaît une joie sans mesure, que Stendhal comparera dans De l’Amour à la victoire de Napoléon à Marengo.

À ce bonheur intense succède immédiatement une terrible souffrance : « Car enfin cet aveu n’aura point de suite », dit la Princesse de Clèves.

Et de donner alors ses raisons, que Nemours n’entend pas, et qui donnent à penser au lecteur. Car cette scène, en effet, est celle d’un refus et de ses raisons.

Raison morale, tout d’abord, et refus d’un amour qui ne se contenterait pas d’être dit et qu’il faudrait à présent vivre.

C’est au nom de son devoir que la Princesse s’oppose à ce passage à l’acte : « Mon devoir (…) me défend de penser jamais à personne, et moins à vous qu’à qui que ce soit au monde, par des raisons qui vous sont inconnues », dit-elle à Nemours qui sait très bien, en réalité, de quoi elle parle.

Madame de Clèves accuse Nemours de la mort de Monsieur de Clèves, à qui le rapport incomplet d’un gentilhomme qu’il avait envoyé pour les espionner avait fait croire que la relation entre sa femme et son amant était consommée.

L’argumentation est excessive, mais rigoureuse.

Aux prémisses de son raisonnement, Madame de Clèves considère que la conduite de Nemours a coûté la vie à Monsieur de Clèves « comme [s’il la lui avait] ôtée de [ses] propres mains ».

Or, dit-elle, elle ne pourrait que renoncer à lui, si cela s’était passé ainsi.

Fondé sur des hypothèses, ce raisonnement n’en conduit pas moins Madame de Clèves à affirmer sa volonté d’abandonner Nemours.

Comment ne pas sentir l’excès du raccourci emprunté par la Princesse, qui fait du Duc un assassin ? Anticipant la réaction de Nemours, et sans doute celle du lecteur, la Princesse rappelle que la morale du « monde » n’est pas la sienne : « Je sais bien que ce n’est pas la même chose à l’égard du monde ; mais, au mien, il n’y a aucune différence, puisque je sais que c’est par vous qu’il est mort, et que c’est à cause de moi ».

Ici encore, comme plus haut dans le roman lors de l’aveu à Monsieur de Clèves, la Princesse se distingue de la conduite commune par sa hauteur morale : peu importe le jugement de la Cour, Madame de Clèves ne s’inquiète pas d’une superficielle réputation.

Elle s’est profondément approprié les valeurs d’une morale aristocratique diffusée par sa mère, Madame de Chartres, et, comme celle-ci l’avait espéré juste avant sa mort, elle ne craint pas « de prendre des partis trop rudes et trop difficiles » pour s’y conformer. Mais cette morale n’est-elle pas, au fond, un prétexte ? C’est ce que veut croire le duc de Nemours. Balayant brutalement les arguments de la Princesse qui « ne sont point de véritables raisons », il dit de sa pensée qu’elle est « vaine et sans fondement ».

Dans une image saisissante, Nemours invoque le « fantôme de devoir » derrière lequel se dissimule le souvenir de Monsieur de Clèves, reléguant les arguments de Madame de Clèves à une irrationnelle défense.

Comment ne pas entendre, en la voix de Nemours, une voix de la raison contre « les raisons » de la Princesse ? D’autant que le lecteur sait que Madame de Clèves a pu parfois s’arranger avec cette morale, qu’elle convoque ici devant le Duc, en mentant pour dissimuler la lettre perdue par le Vidame de Chartres ou en cachant le nom de l’auteur du vol de son portrait… La morale ne serait-elle donc pas ici, pour la Princesse, comme un dernier rempart pour ne pas livrer les raisons plus profondes de son refus ? Quand le rempart tombe, c’est une autre Madame de Clèves qui se découvre alors à nous dans une seconde partie du texte. Acceptant un instant de se contredire et d’alléger le poids de sa conscience, avant de revenir plus loin sur ses propos, elle déclare à Nemours : « Je sais que vous êtes libre, que je le suis, et que les choses sont d’une sorte que le public n’aurait peut-être pas sujet de vous blâmer, ni moi non plus, quand nous nous engagerions ensemble pour jamais ».

Son devoir, avoue-t-elle « ne subsiste que dans [son] imagination ». Quand tous les faux-semblants ont disparu, que reste-t-il des raisons de la Princesse pour dire adieu à Nemours ? Peut-être cet adieu est-il le signe d’une lucidité absolue et unique sur la passion amoureuse. L’éducation donnée par Madame de Chartres avait mis en garde la Princesse, avait commencé à l’éclairer : « Madame de Chartres faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour, elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité (…) ».

Des leçons de sa mère, de son expérience de la Cour, Madame de Clèves a compris que la passion amoureuse n’était pas éternelle.

Nemours lui-même, comme elle le rappelle dans notre extrait « [a] déjà eu plusieurs passions » et en aura sans doute encore.

La lucidité de Madame de Clèves lui fait sentir que, comme dans l’amour interdit du roman courtois, c’est l’obstacle lui-même qui renforce la passion amoureuse.

Toutefois, l’impossible assouvissement des désirs, qui maintient la passion, la conduit au renoncement.

L’on considère souvent qu’affleure dans ce pessimisme l’influence janséniste du temps de l’auteur de notre roman : ainsi la Princesse de Clèves pourrait-elle ici dire avec Pascal qu’en amour comme en tout, « on aime mieux la chasse que la prise », ou avec La Rochefoucauld, grand ami de Madame de La Fayette, que « pour avoir ce que nous avons souhaité, nous ne laissons pas de souhaiter encore.

Nous nous accoutumons à tout ce qui est à nous ; (…) la joie n’est plus vive, on en cherche ailleurs que dans ce qu’on a tant désiré ».

C’est que les Hommes, plus que tout, cherchent le divertissement et craignent le repos et l’ennui, qui les obligeraient à regarder en eux.

Ainsi Nemours a-t-il certainement raison de rappeler à Madame de Clèves, par deux fois dans notre extrait, qu’il n’y a d’autre obstacle à cet amour qu’elle-même : paradoxalement, pour Madame de Clèves, fuir l’amour, s’y refuser, c’est tenter de le conserver. Fuir l’amour, c’est aussi, pour Madame de Clèves, essayer de se soustraire aux ravages d’une passion qui ôte toute maîtrise de soi.

Nous pourrions entendre, dans cet extrait, un écho à la Phèdre de Racine, écrite un an avant la parution de notre roman.

« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », disait Phèdre en parlant de sa passion insensée pour son beau-fils Hippolyte.

Très loin de cette folie, Madame de Clèves déclare : « (…) les passions peuvent me conduire ; mais elles ne sauraient m’aveugler ».

Tout au long de cet extrait, le lecteur assiste bien à un combat contre la passion,.... »

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