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texte 4 - Molière, Le Malade imaginaire, III, 12 comm linéaire

Publié le 04/05/2022

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Introduction Le XVIIème siècle est l’âge d’or du théâtre, mais c’est aussi le siècle de ses plus graves remises en question. Malgré l’engouement du public et de la cour pour ses spectacles grandioses, les doctes de l’époque classique reprochaient en effet à ces divertissements d’éloigner leurs contemporains du Bien, de la morale et de la religion, pour leur offrir un tableau plaisant du vice. Les auteurs de comédies étaient les plus mal vus par ces intellectuels : pour eux, le rire et le spectacle étaient des instruments du diable. Dès ses premières pièces, Molière, le plus fameux des dramaturges, dut donc prouver à ces doctes qu’ils avaient tort et jugeaient mal des comédies. Il subit de nombreux revers et fut victimes de plusieurs « querelles » qui menèrent à l’interdiction de certaines de ses pièces. En 1673, il écrit une ultime comédie, qui doit synthétiser toutes ses idées, en particulier son apologie1 du théâtre. Il choisit pour cela la forme de la « comédie mêlée de musiques et de danses », un spectacle total qu’il donne à Paris dès le mois de février. Il nous semblerait intéressant d’y étudier comment il y défend les spectacles comiques, en étudiant l’une des dernières scènes de la pièce, la scène 12 de l’acte III, où le dramaturge recourt au procédé du théâtre dans le théâtre : Argan, le personnage principal, est comme souvent chez Molière, victime d’une « manie » : il est persuadé d’être gravement malade et ne peut se passer de médecins. Béline, une jeune femme qu’il a épousée en secondes noces, profite de sa faiblesse pour lui extorquer de l’argent et déshériter ses enfants. Béralde, le frère du 1 Une apologie = discours de défense face à une accusation (voc. juridique) « malade imaginaire », ainsi que Toinette, la servante au grand cœur, imaginent avec lui un subterfuge pour démasquer cette femme cupide. Ils demandent à Argan de contrefaire le mort et lui proposent d’observer les réactions de son épouse. Nous nous demanderons donc comment cette scène de théâtre dans le théâtre permet à l’auteur de prouver les bienfaits du spectacle. Nous étudierons les trois mouvements de ce texte : dans un premier temps, des lignes 1 à 10, Toinette annonce à Béline la mort prétendue d’Argan. Dans un deuxième temps, des lignes 11 à 24, Béline dévoile par conséquent son dégoût pour Argan et ses véritables intentions. Enfin, dans un troisième temps, des lignes 25 à 31, Argan rompt l’illusion théâtrale et conclut que le théâtre dans le théâtre a atteint son but : le spectacle comique guérit de tous les maux.

« Texte 4 – Molière, Le malade imaginaire, III, 12, 1673 BÉLINE ; ARGAN, étendu dans sa chaise ; TOINETTE. 1 5 10 15 20 25 30 TOINETTE, feignant de ne pas voir Béline : Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel étrange accident ! BELINE : Qu’est-ce, Toinette ? TOINETTE : Ah ! madame ! BELINE : Qu’y a-t-il ? TOINETTE : Votre mari est mort. BELINE : Mon mari est mort ? TOINETTE : Hélas ! oui ! le pauvre défunt est trépassé. BELINE : Assurément ? TOINETTE : Assurément ; personne ne sait encore cet accident-là ; et je me suis trouvée ici toute seule.

Il vient de passer entre mes bras.

Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise. BELINE : Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau.

Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort ! TOINETTE : Je pensais, madame, qu’il fallût pleurer. BELINE : Va, va, cela n’en vaut pas la peine.

Quelle perte est-ce que la sienne ? et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours ; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets. TOINETTE : Voilà une belle oraison funèbre ! BELINE : Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein ; et tu peux croire qu’en me servant, ta récompense est sûre.

Puisque, par un bonheur, personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire.

Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me saisir ; et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années.

Viens, Toinette ; prenons auparavant toutes ses clefs. ARGAN, se levant brusquement : Doucement. BELINE : Ahi ! ARGAN : Oui, madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ? TOINETTE : Ah ! ah ! le défunt n’est pas mort. ARGAN, à Béline, qui sort : Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi.

Voilà un avis au lecteur, qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses. Molière, Le Malade imaginaire, III, 12, 1673. »

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