texte 4 - Molière, Le Malade imaginaire, III, 12 comm linéaire
Publié le 04/05/2022
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Texte 4 – Molière, Le malade imaginaire, III, 12, 1673
BÉLINE ; ARGAN, étendu dans sa chaise ; TOINETTE.
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TOINETTE, feignant de ne pas voir Béline : Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel étrange accident !
BELINE : Qu’est-ce, Toinette ?
TOINETTE : Ah ! madame !
BELINE : Qu’y a-t-il ?
TOINETTE : Votre mari est mort.
BELINE : Mon mari est mort ?
TOINETTE : Hélas ! oui ! le pauvre défunt est trépassé.
BELINE : Assurément ?
TOINETTE : Assurément ; personne ne sait encore cet accident-là ; et je me suis trouvée ici toute
seule.
Il vient de passer entre mes bras.
Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.
BELINE : Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau.
Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger
de cette mort !
TOINETTE : Je pensais, madame, qu’il fallût pleurer.
BELINE : Va, va, cela n’en vaut pas la peine.
Quelle perte est-ce que la sienne ? et de quoi servait-il
sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une
médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours ; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur,
fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
TOINETTE : Voilà une belle oraison funèbre !
BELINE : Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein ; et tu peux croire qu’en me servant, ta
récompense est sûre.
Puisque, par un bonheur, personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son
lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire.
Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont
je veux me saisir ; et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années.
Viens,
Toinette ; prenons auparavant toutes ses clefs.
ARGAN, se levant brusquement : Doucement.
BELINE : Ahi !
ARGAN : Oui, madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?
TOINETTE : Ah ! ah ! le défunt n’est pas mort.
ARGAN, à Béline, qui sort : Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau
panégyrique que vous avez fait de moi.
Voilà un avis au lecteur, qui me rendra sage à l’avenir, et qui
m’empêchera de faire bien des choses.
Molière, Le Malade imaginaire, III, 12, 1673.
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